Spiritualité des images
Cathédrale de
Strasbourg
deux jeunes
femmes
-
a
Photos Roland
Mathis
2 mai 2005
Ces deux statues se tiennent de part et
d'autre du portail de l'Horloge,
édifié, sur le flanc sud, le plus ancien de la
cathédrale de Strasbourg.
Deux jeunes femmes du 13e
siècle. Celle de gauche est altière et magnifique. Elle
se tient cambrée et assurée sous sa couronne. Elle
porte une coupe et s'appuie sur une grande crosse en forme de croix.
Elle fronce les sourcils et plisse le front en signe de
mécontentement. Elle ne supporte pas la présence de sa
pauvre voisine.
Celle-ci est humiliée. Les yeux
bandés, signes sans doute d'un aveuglement coupable, la
tête inclinée de honte, elle garde encore en mains un
bâton brisé ose à peine tenir dans sa main gauche
un document indigne.
Elles sont belle et séduisantes, ces
deux femmes. Je voudrais chasser celle de gauche, après lui
avoir ôté sa couronne et arraché sa coupe et sa
crosse. Et consoler et protéger celle de droite au nom de la
compassion que le Christ met en nous.
Mais on me dit qu'au contraire la mauvaise
femme de gauche, celle qui est dominatrice, arrogante et odieuse
symbolise l'Église chrétienne et que la pauvre jeune
femme humiliée représente la synagogue !

Voyez comme elle a l'air
méchante !
.
Au 13e siècle
l'Europe vit une période faste. C'est, avec Strasbourg, toute l'Europe qui se
couvre de grandes et magnifiques cathédrales gothiques. On vit
une période glorieuse de développement
économique, commercial, militaire. En France c'est le
siècle de Saint-Louis. A Strasbourg, dans l'Empire allemand
l'ordre féodal règne également.
L'Église a fait alliance avec les
rois et les seigneurs. Elle a pris à son service la chevalerie
chrétienne. Elle est le support et la garante d'une belle
« chrétienté ».
La preuve, on multiplie les croisades.
Saint-Louis en conduit lui-même deux. On massacre les
infidèles au cri de « Dieu le veut ».
Le pape Innocent IV donne tout pouvoir
aux inquisiteurs, fait inaugurer la torture dans les prisons
d'Église. Le bûcher est généralisé
pour les « endurcis ».
On poursuit les hérétiques,
les sorcières, la magie, l'alchimie, le blasphème, la
sodomie, l'infanticide. L'Inquisition sévit partout
atrocement. On estime qu'elle aura fait entre 35000 et
50000 victimes.
Les Vaudois, disciples de Pierre Valdo, les
premiers protestants, auront été atrocement
persécutés au 12e siècle.
Au 13e, ce sont
notamment les Cathares, la féroce « croisade » de Simon de Montfort et le bûcher de
Montségur, sous le règne de saint Louis,
en 1244.
.
On a aussi beaucoup massacré les
Juifs autrefois mais au
13e siècle on est plus tolérant avec
eux car ils sont riches et exploitables financièrement. Mais
ils ne participent pas à la pensée unique et on les en
punit. A Strasbourg pourtant moins qu'en France :
On les soupçonne toujours sourdement
d'empoisonner les sources, de répandre la peste, de tuer des
enfants chrétiens pour utiliser leur sang dans des
cérémonies inhumaines, de profaner les hosties
consacrées, etc.
Ce ne sont pas forcément des motifs
religieux. Ce qu'on reproche aux juifs c'est d'être
différents ; d'être des hommes qui ne vivent pas
comme tout le monde. Ils ont leurs usages propres, auxquels ils sont
farouchement attachés.
Le 4e concile du
Latran les avait condamnés à porter une rondelle de
tissu distinctive, la « rouelle » et en 1242, Saint Louis en accord avec le pape
Grégoire IX, fait brûler en place de Grève
24 charretées de manuscrits hébreux notamment du
Talmud. En 1306 ils seront expulsés de France et
en 1320 on les massacrera en les accusant d'empoisonner les
sources. Mais en attendant, Saint Louis ne perd pas espoir de les
convertir au christianisme et les protège dans leurs personne,
en leur faisant néanmoins payer un impôt
spécial.
La ville de Strasbourg est relativement
tolérante à l'égard de la communauté (en
regard de ce qui pouvait se passer dans d'autres cité de
l'époque). Elle exige néanmoins des Juifs un
impôt annuel de 1000 livres ainsi qu'une taxe de
12 marks destinés à l'évêque de
Strasbourg et une autre de 60 marks destinée à
l'empereur d'Allemagne.
Mais la tolérance a ses limites. A
partir du 13e siècle, les juifs se voient proscrire
tous les métiers à l'exception de celui de boucher et
d'usurier.
.
L'Église et la
société civile se soutenant
mutuellement, font une superbe
civilisation, puissante, riche (mais pas pour tous !) dont la
pensée unique féodale et chrétienne est le
ciment unificateur.
Église triomphante se présente
aux portails des cathédrales sous les traits de ses
prophètes, ses apôtres, ses saints. Elle est tellement
intégrée à l'idéal totalitaire de la
société féodale, qu'elle ne voit pas les
aspirations qui menacent l'ordre établi. Elle prêche
l'Évangile de justice et de charité mais ses
solidarités temporelles lui ferment les yeux sur les
transformations nécessaires qui tendent à naître.
D'où les difficultés qu'elle fait à
François d'Assise et à saint Dominique qui, en fondant des ordres
mendiants, récusent par là même la
stabilité économique et la puissance sociale
féodales.
.
Jean Tauler, le dominicain
strasbourgeois disciple de
Maître Eckart prêchait un peu plus tard dans les
églises de Strasbourg et les petites gens venaient
l'écouter avec intérêt et plaisir. A-t-il
été choqué par ces deux statues lorsqu'il
passait comme nous devant la cathédrale ? S'adressait-il
intérieurement à la femme de gauche lorsqu'il
disait :
Veux-tu, avec saint Jean,
reposer sur le cœur aimable de Notre Seigneur
Jésus-Christ ?
Tu dois alors te laisser attirer à l'aimable image de notre
Seigneur Jésus-Christ et la contempler avec attention.
Tu dis considérer sa douceur et son humilité et la
profonde et ardente charité qu'il avait pour ses amis et ses
ennemis, le grand et docile abandon qu'il gardait sur tous les
chemins.
Considère ensuite la profonde douceur qu'il témoignait
à tous les hommes et aussi sa bénie pauvreté
[...]
Puis considère-toi toi-même avec attention ; vois
combien tu es différent de ce modèle et quelle distance
t'en sépare. Alors notre Seigneur te laissera reposer en
lui. 10e Sermon
C'est bien à l'orgueilleuse femme
de gauche, même si elle
représente l'Église, que le dominicain s'adresse en lui
disant :
Vois combien tu es
différent de notre Seigneur Jésus-Christ et quelle
distance te sépare de lui.
Mais j'aime qu'il ne perde pas espoir en
elle, qu'il s'adresse à son coeur en étant convaincu
qu'elle peut encore l'ouvrir à l'amour chrétien,
puisqu'il termine en lui promettant :
C'est alors que notre Seigneur
te laissera reposer en lui.
Notre-Dame de
Paris
deux jeunes
femmes
a
Deux jeunes femmes sculptées au
19e siècle, de
part et d'autre du portail central. Elles sont évidemment
copiées sur celles de Strasbourg mais me paraissent (ai-je
raison ?) bien moins choquantes.
Celle qui représente
l'Église ne me semble pas regarder sa voisine la Synagogue
avec la même agressivité que sa soeur de Strasbourg.
Elle ne se projette pas en avant, elle est méditative et
intériorisée, embarrassée par son calice et son
drapeau. L'Église qu'elle symbolise n'a plus du tout la force
et le dynamisme, l'impérialisme pour tout dire, qui
impressionnait tant le sculpteur du 13e siècle. Elle est majestueusement présente, tout à
fait immobile et sans aucune méchanceté. On passera
à côté d'elle en la reconnaissait bien, mais sans
lui attacher véritablement d'importance. C'est bien,
d'ailleurs, le problème de l'Église moderne !
Celle qui représente la Synagogue
est bien représentée
avec le même déhanchement que celle de Strasbourg et a
aussi les yeux bandés. Mais son visage me semble plutôt
calme et indifférent que triste et humilié. Elle ne
suscite guère la compassion. Il est vrai que les Juifs ne
souffrent plus guère les mauvais traitements d'une
Église qui a perdu sa force d'agressivité.
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