Années 30 - 70
Hypothèse
de la Source Q
Comparaison
des
évangiles synoptiques
La « Source Q » est le
premier texte chrétien, rédigé dans les
années 30 à 70. Il est perdu aujourd'hui, et son
existence ainsi que sa reconstitution sont
hypothétiques. Il est issu du milieu des
chrétiens « hébreux » de la communauté de
Jérusalem qui ne disposaient pas en ces années
là d'autre texte chrétien. Les milieux
« hellénistiques » connaissaient les
épitres de Paul. Les évangiles n'étaient pas
encore écrits.
On suppose l'existence de la Source Q en
constatant que les trois premiers évangiles,
ceux de Matthieu, de Marc et de Luc, présentent
des ressemblances littéraires si frappantes (on
les nommes « synoptiques » ce qui
signifie qu'on peut les lire simultanément) que
l'on est obligé de penser à une source commune
sans doute rédigée à cette époque.
On s'efforce de reconstituer cette Source en
étudiant les évangiles que nous possédons et qui
ont, bien entendu été écrits plus tard.
Voici deux exemples de cette lecture
« synoptique ».
1
L'homme à la main sèche
-
Matthieu 12
Étant parti de là, Jésus
entra dans la synagogue.
Il s'y trouvait un homme qui avait la main
sèche.
Ils demandèrentà
Jésus : Est-il permis de faire
une guérison les jours de sabbat ?
C'était afin de pouvoir l'accuser.
Il leur répondit :
Lequel d'entre vous, s'il
n'a qu'une brebis et qu'elle tombe dans une
fosse le jour du sabbat, ne la saisira pour
l'en retirer ? Combien un homme ne
vaut-il pas plus qu'une brebis !
Il est donc permis de faire du bien les
jours de sabbat.
Il dit à l'homme : Étends ta main. Il
l'étendit, et elle devint saine.
- Marc 3
Jésus entra de nouveau dans
la synagogue.
Il s'y trouvait un homme qui avait la main
sèche.
Ils observaient Jésus, pour voir s'il le
guérirait le jour du sabbat.
C'était afin de pouvoir l'accuser.
Et Jésus dit à l'homme qui avait la main sèche
:
Lève-toi, là au milieu.
Puis il leur dit : Est-il permis, le jour
du sabbat, de faire du bien ou de faire du
mal, de sauver une personne ou de la
tuer ?
Mais ils gardèrent le
silence.
Alors, promenant ses regards sur eux avec indignation, et en même
temps affligé de l'endurcissement de leur
cœur,
il dit à l'homme : Étends ta main. Il
l'étendit, et sa main fut guérie.
- Luc 6
Il arriva, un autre jour de
sabbat, que Jésus entra dans la synagogue, et qu'il enseignait.
Il s'y trouvait un homme dont la main droite était sèche.
Les scribes et les pharisiens observaient
Jésus, pour voir s'il ferait une guérison le
jour du sabbat.
C'était afin d'avoir sujet de l'accuser.
Mais il connaissait leurs
pensées.
Il dit à l'homme qui avait la main
sèche : Lève-toi, et
tiens-toi debout là au milieu.
Il se leva, et se tint debout.
Et Jésus leur dit : Je vous demande s'il
est permis, le jour du sabbat, de faire du
bien ou de faire du mal, de sauver une
personne ou de la tuer.
Alors, promenant ses regards sur eux tous,
il dit à l'homme : Étends ta main. Il le
fit, et sa main fut guérie.
Les trois textes étant
presque mot à mot les mêmes, il
saute aux yeux qu'il y a entre eux une parenté
littéraire, les auteurs ayant eu mutuellement
connaissance de leur textes ; il ne peut
s'agir de trois témoins narrant librement le
même événement, chacun avec son propre
vocabulaire.
On a mis en caractères gras les passages qui se
trouvent dans un évangile et pas dans les deux
autres.
Conclusions
-
Matthieu a connu et remanié Marc et non le
contraire
Un grand passage est propre à Matthieu :
Lequel d'entre vous, s'il n'a
qu'une brebis et qu'elle tombe dans une fosse
le jour du sabbat, ne la saisira pour l'en
retirer ? Combien un homme ne vaut-il pas
plus qu'une brebis ! Il est donc permis
de faire du bien les jours de sabbat.
Il a dû être ajouté
par Matthieu. En effet, il n'est pas admissible
de penser que l'inverse se soit produit, car
aucune raison ne pourrait justifier l'omission
délibérée d'un tel passage par Marc et Luc.
-
Luc a connu et remanié Marc et non le
contraire
Luc ajoute : il
enseignait.
La main malade était « la
droite »
Il connaissait leurs
pensées
Deux fois : « se
tenir debout »
Nous ferons à nouveau le raisonnement de
supposer qu'il s'agit de deux ajouts à
l'initiative de Luc ; car dans le cas
contraire on ne comprendrait pas que Marc ait
supprimé ces importants éléments de sens.
-
Matthieu et Luc ne se sont pas connus
Dans le cas contraire il faudrait admettre que
chacun a supprimé d'importants éléments de sens
du texte de l'autre.
Des remarques semblables à celles qui suivent
peuvent être faites tout au long des évangiles.
- Remarque
Dans Matthieu, Jésus justifie son attitude dans
le passage indiqué en italiques ; il avait
d'ailleurs dit précédemment une phrase que Luc
ne rapporte pas :
Je ne suis pas venu abolir la
Loi mais l'accomplir Matthieu 5. 17.
Matthieu écrit pour des chrétiens encore
marqués par la piété juive, auxquels il démontre
l'enracinement de Jésus dans cette spiritualité
qu'il ne contredit pas mais réforme.
Par contre l'évangéliste Luc n'éprouve pas le
besoin de justifier une quelconque fidélité de
Jésus à la Loi ; en disciple de Paul il
voit en Jésus le prédicateur de la grâce
indépendamment des mérites de la Loi.
Les biblistes
s'accordent pour proposer les relations
suivantes :
« Matthieu » et « Luc »
ne se connaissaient pas ; ils dépendent tous
deux de « Marc »
Il faudrait affiner cette affirmation en tenant
compte du fait que les textes évangéliques ont
continué à évoluer encore quelques temps après
leur rédaction.
2
Les
béatitudes
Voici un second
exemple de « lecture synoptique »
Matthieu
5
Heureux les pauvres en esprit, car le
royaume des cieux est à eux
Heureux les affligés, car ils seront consolés
Heureux les doux, car ils
hériteront la terre
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car
ils seront rassasiés
Heureux les miséricordieux,
car ils obtiendront miséricorde
Heureux ceux qui ont le coeur pur, car ils
verront Dieu
Heureux ceux qui procurent la paix, car ils
seront appelés fils de Dieu
Heureux ceux qui sont persécutés pour la
justice, car le royaume des cieux est à eux
Heureux serez-vous, lorsqu'on vous
outragera, qu'on vous persécutera et qu'on
dira faussement de vous toute sorte de mal, à
cause de moi.
Réjouissez-vous et soyez dans l'allégresse,
parce que votre récompense est (sera) grande
dans les cieux ; car c'est ainsi qu'on a
persécuté les prophètes qui ont été avant
vous.
Luc 6
Heureux vous qui êtes
pauvres, car le royaume de Dieu est à vous
Heureux vous qui avez faim maintenant, car
vous serez rassasiés
Heureux vous qui pleurez maintenant, car vous
serez dans la joie
Heureux serez-vous, lorsque les hommes vous
haïront, lorsqu'on vous chassera, vous
outragera, et qu'on rejettera votre nom comme
infâme, à cause du Fils de l'homme.
Réjouissez-vous en ce jour-là et tressaillez
d'allégresse, parce que votre récompense est
(sera) grande dans le ciel ; car c'est
ainsi que leurs pères traitaient les
prophètes.
Mais, malheur à vous,
riches, car vous avez votre consolation
Malheur à vous qui êtes rassasiés, car
vous aurez faim.
Malheur à vous qui riez maintenant, car
vous serez dans le deuil et dans les
larmes.
Malheur, lorsque tous les hommes diront du
bien de vous, car c'est ainsi
qu'agissaient leurs pères à l'égard des
faux prophètes.
(Jésus ne dit pas : parce que
votre punition sera grande en enfer)
On ne peut penser que
Matthieu et Luc aient communiqué entre eux pour
la raison que nous avons donnée en lisant
l'exemple précédent et qui fonctionnement
pareillement ici : on constate que
l'évangéliste Matthieu s'est livré à un travail
de spiritualisation que l'évangéliste Luc n'a
pas effectué. Ainsi, alors que Luc écrit :
Heureux, vous qui êtes
pauvres et vous qui avez faim aujourd'hui
Matthieu précise :
pauvres en
esprit, faim et soif de
justice.
On ne comprendrait pas,
si Luc s'était inspiré de Matthieu qu'il ait
omis ces précisions ; et si c'était Matthieu qui
s'était inspiré de Luc on ne comprendrait pas
qu'il ait omis les quatre malédictions que Luc
attribuait au Seigneur !
On doit reconnaître une parenté littéraire
évidente entre Matthieu et Luc qui ne provient
pas de Marc, puisque celui-ci ignore les
béatitude
Hypothèse
dite des « deux sources »
On fait l'hypothèse d’une 2e source commune
à Matthieu et à Luc que, faute de mieux, on
appelle la « source Q »,
de l'allemand « Quelle »
qui signifie source.
Ce texte hypothétique sera peut-être un jour
retrouvé dans une jarre comme les Manuscrits de
la mer Morte. Il a disparu en tant que tel
lorsque son contenu a été reproduit dans les
évangiles de Matthieu et de Luc.
Matthieu en a composé 5 grands discours :
chapitres. 5-7, 10, 13, 18, 23-25
Luc, qui suivait le texte de Marc l’a interrompu
en 9.51 en décrivant un long voyage de Jésus de
Galilée à Jérusalem à l’occasion duquel Jésus
prononce les paroles de Q. Il reprend le texte
de Marc en Luc 18.15.
Cette hypothèse « des deux sources » est très
généralement admise aujourd'hui. Il est
nécessaire de l'affiner en faisant trois
remarques.
1. Matthieu et Luc
ont bénéficié, chacun de son côté de sources
personnelles.
Ainsi, Matthieu connaît seul le récit des mages
et du massacre des innocents (Mat. 2), la
parabole des ouvriers de la 11e heure
(Mat 20), du jugement des peuples
(Mat. 25), etc.
Luc connaît seul le récit des bergers et de la
présentation au temple (Luc 2), la
résurrection sur la route de Naïn (Luc 7), le
fils prodigue (Luc 15), Zachée (Luc 19) etc.
2.
Les
textes de Matthieu, Marc et Luc
ont continué à évoluer encore quelques temps
après leur rédaction, sous l'influence des
communautés où ils ont vu le jour.
3.
De
petits accords de Matthieu et
Luc contre Marc sont souvent repérables dans les
passages provenant pourtant de Marc, ce qui est
difficilement explicable.
- Ainsi
Marc 6.14 : Le roi
Hérode. Alors que dans leurs passages parallèles
Matthieu 14.1 et Luc 9.7 disent : Hérode le tétrarque.
-
Autre exemple, dans le
récit de la Transfiguration commun aux trois
synoptiques, Matthieu 17.2 écrit :
« son visage resplendit comme le
soleil » et Luc 9.29 : « son
visage changea d'aspect », alors que Marc
ne mentionne pas « son visage ».
On reconstitue
la Source Q à l’aide d’une synopse –
livre publiant sur trois colonnes les trois
évangiles synoptiques – en lisant les passages
figurant dans Matthieu et dans Luc et non dans
Marc. Après les avoir placés côte à côte sur
deux colonnes, il faut essayer d’éliminer les
ajouts de chacun des évangélistes afin de
retrouver l’original qui figurait dans la Source
Q avant son utilisation par les deux
évangélistes.
Par exemple il est vraisemblable que la Source Q
disait : « Heureux les pauvres » et
que la mention « en esprit » soit une
précision propre à Matthieu.
De nombreux
travaux ont été publiés. En voici
quelques exemples :
- La source des paroles de Jésus (Q)
de Andreas Dettwiler et Daniel Marguerat - éd.
Labor et Fides
- L’Évangile inconnu, la Source des Paroles
de Jésus de Frédéric Amsler, éd. Labor et
Fides
- A la recherche de la Source, de
Jean-Marc Babut, éd. Cerf.
Nous donnons ici en regard les
textes que Matthieu et Luc ont en commun et
qu'ils n'ont pas pu prendre dans Marc, laissant
le lecteur imaginer lui-même l’original possible
de la Source Q.
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