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La Faculté de théologie protestante de Montauban

 

 

André Gounelle


professeur honoraire de l’Institut protestant de théologie, Faculté de Montpellier

 

 

Article paru dans la revue trimestrielle

Études théologiques et religieuses


2013/2


recension Gilles Castelnau

 

.

 

En voici des passages significatifs

Les commencements

En 1802, les articles organiques promulgués par Bonaparte, premier consul, donnent au protestantisme français le statut légal dont il avait été privé depuis la Révocation de l'Édit de Nantes en 1685. Après un peu plus d'un siècle de persécutions et de clandestinité, les Églises réformées s’organisent ou se réorganisent ; elles se préoccupent immédiatement de la formation de leurs pasteurs.
Ceux dont elles disposent ne sont pas assez nombreux ni assez bien formés. En 1800, il y a entre 150 et 180 pasteurs, il en faudrait le double (en 1830, ils seront environ 330). 90 % de ces pasteurs sortent du séminaire français de Lausanne, qui dispensait un enseignement élémentaire très inférieur à celui que recevaient les futurs pasteurs suisses à l'Université de la même ville. Le séminaire français préparait en trois ans des jeunes gens, dont quelques-uns, à leur arrivée, savaient à peine lire. Beaucoup ont fait preuve de dévouement et de courage, mais leur culture aussi bien générale que théologique était très faible; ils sont « ignorants et bornés », écrit en 1804 le pasteur Mestrezat. Ils étaient nettement en dessous de la tâche de redressement ou de reconstitution que demandait la nouvelle situation du protestantisme français. Quelques pasteurs, formés dans des universités étrangères, font exception, ainsi Vincent, Mestrezat, les frères Rabaut. En leur ensemble, les protestants français, longtemps privés de contacts et d'échanges et ayant d'autres soucis, ignoraient les recherches et débats qui avaient lieu ailleurs en Europe ; ils souffraient d'une carence et d'un retard considérables dans le domaine de la réflexion religieuse.

Le 17 septembre 1808, un décret impérial crée une Faculté de théologie protestante à Montauban. Pourquoi Montauban ? Trois raisons ont joué.

D'abord, on avait initialement pensé envoyer les étudiants à Genève, en aménageant et en étoffant la Faculté de cette ville. Mais Genève avait l'inconvénient d'être hors de France. De plus les autorités ecclésiales et universitaires de cette ville y étaient peu favorables ; elles envisageaient à la rigueur quelque chose d'analogue au séminaire de Lausanne, autrement dit, un établissement de niveau inférieur pour les Français dont elles avaient une piètre opinion, la Faculté dispensant un enseignement universitaire réservé aux Suisses et aux meilleurs des Français, ce qui ne répondait pas du tout aux projets et aux ambitions tant de l'Empire que des protestants français.

En deuxième lieu, à la différence de Nîmes, autre localisation envisagée, Montauban est une ville politiquement sûre ; il n'y avait pas eu un seul « non » au plébiscite de 1804 ratifiant l'instauration de l'Empire. D'autre part, le protestantisme était puissant à Nîmes et le gouvernement ne tenait pas à l'y renforcer. Quand en juillet 1808 Napoléon visite Montauban, où on l'accueille chaleureusement, le pasteur Robert Fonfrède, président du consistoire, fait habilement sa cour et emporte ou confirme la décision de l'Empereur en faveur de sa ville.

Troisième raison, aux XVIe et XVIIe siècles existait à Montauban une Académie protestante (« académie » signifiant alors établissement universitaire d'enseignement, enseignement dans diverses disciplines pas seulement en théologie). Cette Académie, sans avoir l’éclat de celles de Saumur et de Sedan, avait tenu un rang honorable et avait connu bien des malheurs (confiscation de ses bâtiments et déplacement à Puylaurens avant d'être supprimée à la Révocation).. Symboliquement, le choix de Montauban indiquait la continuité du protestantisme français au travers de la parenthèse tragique de la Révocation.

[...]

À une époque où la théologie protestante européenne se renouvelle considérablement, en confrontation tantôt amicale, tantôt hostile avec les Lumières, la Faculté de Montauban se montre prudente et traditionaliste. Ainsi, un professeur genevois, Ésaie Gasc, se voit rappelé à l'ordre en 1813 pour avoir critiqué la formulation du dogme trinitaire, à un moment où on en débat beaucoup en Suisse, en Allemagne et en Grande-Bretagne. À la suite de cette affaire les professeurs s'engagent à ne « s'écarter en rien (...) de la doctrine qui est reçue et professée dans les Églises réformées de France ». Les protestants français sont informés des travaux poursuivis à l'étranger non par la Faculté qui n'a pas l'air de les connaître, mais par la revue dirigée par le pasteur nîmois Samuel Vincent bien meilleur théologien que les professeurs de Montauban.

[...]

La période médiane


[...]
Pour nous faire une idée de la vie de la Faculté à cette époque, nous avons quelques textes, en général des rapports officiels, qui présentent des bilans positifs dont on peut déduire que tout va assez bien. Nous disposons aussi d'autres documents, plus nombreux, qui, au contraire, donnent le sentiment qu'en ce milieu de siècle la Faculté se porte mal ; « [elle] végète plus qu'[elle] ne vit » écrit en 1847 un journal religieux. Trois problèmes l'affectent.

D'abord, celui de la localisation à Montauban, qui n'est pas une ville universitaire. Il en résulte un grand isolement (que les textes exagèrent peut-être). Les étudiants ne peuvent pas y suivre les cours d'autres Facultés, les enseignants ne rencontrent pas des professeurs de disciplines différentes et se trouvent, du coup, loin des débats intellectuels du temps. Il manque une grande bibliothèque. Sa situation géographique excentrée marginalise la Faculté, et elle en souffre.
Il paraît à beaucoup absurde que le protestantisme français dispose d'une Faculté de théologie à Montauban et pas à Paris. Entre 1830 et 18S0, et aussi plus tard après 1870, les Églises réformées, de nombreux pasteurs, les professeurs et étudiants de Montauban tentent, à plusieurs reprises, d'obtenir du ministère le transfert de la Faculté dans la capitale. Ces démarches n'aboutissent pas.
Un protestant montalbanais, Léon de Maleville, député, sénateur, épisodiquement ministre, plaide pour le maintien de la Faculté dans sa ville, ce que souhaitent le département du Tarn-et-Garonne et la municipalité. Joue aussi la crainte que de jeunes étudiants venus de province succombent aux tentations très fortes de la vie parisienne. Certains ont soupçonné une opposition sourde et des menées souterraines de la hiérarchie catholique, assez satisfaite que la théologie protestante soit reléguée dans une ville reculée de province et absente de Paris. La Faculté qui ne publie ni journal ni revue n'a pratiquement pas de rayonnement dans le protestantisme, pas de contact avec les Églises. Un pasteur du Nord la qualifie de « sombre et silencieuse » et de « pieuse inconnue ».

[...]

Sous le Second Empire, des rapports du préfet et du recteur signalent le mauvais esprit des étudiants ; il faut comprendre qu'il y a parmi eux beaucoup de républicains, opposés au Second Empire. Un buste de Napoléon III disposé dans la salle du conseil de la Faculté est couvert d'inscriptions injurieuses et on lui casse à plusieurs reprises le nez ; à l'occasion d'un conseil de « révision de la garde mobile », des étudiants entonnent la « Marseillaise », considérée alors comme un chant subversif ; ils applaudissent le député républicain Jules Favre de passage à Montauban en 1867.
En ville, les étudiants sont turbulents, ils font parfois du tapage, malgré des interdictions explicites et répétées, il leur arrive de fumer en public, ils fréquentent cafés, salles de billards, théâtre, concerts, ce qui les expose à des sanctions. Leur comportement choque les Montalbanais, et tout particulièrement la bourgeoisie protestante de la ville.
Ils n'ont sans doute pas une conduite très différente de celle de la plupart des étudiants de l'époque, mais comme il n'y a pas d'autres étudiants à Montauban on les remarque beaucoup, et comme ce sont de futurs pasteurs on les juge sévèrement. À la Faculté même, l'ouverture du séminaire a favorisé une atmosphère « classe préparatoire » ou « grande école » avec bizutages, chahuts organisés, rites burlesques, chants satiriques, mais à la différence des grandes écoles on y travaille peu.

[...]

Les dernières années

[...]

Autour de 1900, la Faculté de Montauban est en bien meilleur état que quarante ou cinquante ans avant. Elle a en grande partie redressé la situation défectueuse que je viens de décrire. L'amélioration est évidente sur les trois points dont j'ai signalé qu'ils posaient un problème.

D'abord, elle n'est plus autant isolée. Certes Montauban reste à l'écart des circuits universitaires, mais la Faculté publie depuis 1874 une revue, la Revue de théologie et des questions religieuses, ce qui favorise contacts, échanges, collaborations avec l'extérieur. Des auteurs d'horizons et de nationalités variés y écrivent des articles. D'autre part, la Faculté développe une politique active d'invitation d'enseignants et de conférenciers extérieurs.
De plus, en 1877 a été créée à Paris une Faculté de théologie protestante pour prendre la relève de celle de Strasbourg devenue allemande. Des professeurs qui ont dû quitter Strasbourg y sont nommés ; d'emblée des enseignants de haute qualité, tels que Frédéric Lichtenberger, Auguste Sabatier, Eugène Menégoz, lui donnent un grand rayonnement. Cette création aurait pu être fatale pour la Faculté de Montauban ; on a d'ailleurs envisagé de la fermer et de nommer à Paris les professeurs montalbanais. Ils étaient eux-mêmes partisans de cette solution, préconisée par le Synode de 1872. Elle n'a pas été adoptée, en partie parce qu'on les tenait en piètre estime et qu'on craignait qu'ils n'abaissent le niveau de la nouvelle Faculté ; selon un mot cruel, souvent répété : « On n'allume pas une lampe à Paris pour la mettre sous le boisseau de Montauban. »
Il y a aussi la crainte dans les milieux orthodoxes qu'une Faculté à Paris soit trop influencée par une ambiance intellectuelle et ecclésiastique plutôt favorable aux idées libérales, l'isolement de Montauban apparaissant comme une garantie. Finalement, on a eu deux Facultés, entre lesquelles, au départ, règne une animosité certaine. Celle de Paris, écrit le Montalbanais Sardinoux, s'organise « sans nous, sinon contre nous ».
En fait, loin de souffrir de cette dualité, celle de Montauban en a plutôt bénéficié. Le mépris humiliant qu'elle a durement ressenti provoque une réaction salutaire. Ses théologiens ont désormais des rivaux dont ils doivent tenir compte, avec lesquels ils se mesurent et débattent, avant, un peu plus tard, de se concerter et de travailler avec eux ; les relations deviennent vite amicales et, en 1901, les professeurs de Paris publient un volume en hommage à la Faculté de Montauban à l'occasion du troisième centenaire de la fondation de l'Académie Protestante dans leur ville.
En 1902, Edmond Stapfer, qui a fait ses études jusqu'au doctorat à Montauban, devient doyen à Paris et travaille à un rapprochement entre les deux Facultés. La concurrence a obligé les Montalbanais à remonter le niveau de leur enseignement, à consacrer plus de temps à la recherche et à se montrer plus exigeant dans le recrutement des professeurs. Désormais, ils ne sont plus seuls au milieu d'un désert théologique; ils ont des vis-à-vis.

[...]

Enfin, l'enseignement est de meilleure qualité. L'intitulé des cours montre une ouverture aux problématiques contemporaines et aux théologies allemandes et anglo-saxonnes. Une préoccupation nouvelle, très actuelle au tournant du siècle, se fait jour : celle des rapports entre science et foi. Dans cette perspective, en plus des connaissances proprement théologiques, la Faculté entreprend de donner aux futurs pasteurs des notions de base en astrophysique et en sciences naturelles (avec deux montpelliérains Franz Leenhardt qui initie les étudiants à la théorie de l’évolution, puis Louis Perrier, médecin et préhistorien). Un petit observatoire, un laboratoire et un musée d’histoire naturelle sont installés.

[...]

C'est à ce moment où elle s'est redressée et a atteint un bon niveau universitaire que la Faculté va quitter Montauban pour Montpellier. Avec la séparation de l'Église et de l'État, elle est devenue un établissement d'enseignement supérieur privé qui ne dépend financièrement et administrativement que de l'Église reformée. Elle n'a plus besoin de l'accord du gouvernement pour changer de localisation.

[...]

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Dans l'histoire du protestantisme français, la page que je viens de retracer n'est pas la plus brillante ni la plus glorieuse. Elle me paraît cependant significative et instructive. Elle montre l'effort persévérant et continu des Églises Réformées, sorties exsangues d'un siècle de clandestinité et de persécutions, pour remonter la pente, pour se construire ou se reconstruire, pour aller de l'avant. Comme l'écrit en 1870, le doyen Sardinoux, « rester stationnaire, c'est abdiquer ».
La Faculté de Montauban, partie de rien, a tâtonné, piétiné, frôlé l'échec, mais son histoire, avec ses hauts et ses bas, témoigne d'une volonté obstinée de ne pas se résigner à la stagnation, de ne pas se satisfaire de la médiocrité et d'atteindre, malgré les faiblesses et les insuffisances, un niveau honorable. En cela, elle donne un exemple caractéristique de l'esprit qui anime le protestantisme dans notre pays au XIXe siècle.

 

 

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