Ce livre est préfacé par Thomas Römer, professeur au Collège de France et à l’Université de Genève qui pratique la même méthode historico-critique (voir notamment son Introduction à l’Ancien Testament) ainsi que les professeurs Pierre Bordreuil et Françoise Briquel-Chatonnet (le Temps de la Bible) : au lieu de rechercher des preuves archéologiques de la « vérité » de la Bible, ils partent de ce que révèle l’archéologie pour comprendre l’existence et le sens des textes bibliques.
Sans être difficile à lire, on pourra trouver que ce livre est un peu indigeste pour les lecteurs qui ne sont pas familiers des lieux, des noms et des détails historiques mentionnés. Néanmoins il ouvre à une approche résolument scientifique de la Bible qui en permet une lecture intelligente.
En voici quelques extraits.
page 8
Préface : Une nouvelle histoire d’Israël
Thomas Römer
Il est intéressant de feuilleter des livres d'histoire d'Israël destinés à un public universitaire ou cultivé ; presque tous ces ouvrages suivent la chronologie biblique : Patriarches, Moïse et l'Exode, la conquête du pays, l'époque des Juges, le royaume uni, les deux royaumes d'Israël et de Juda jusqu'à la chute de Samarie, le royaume de Juda jusqu'à la destruction de Jérusalem en 587 avant l'ère chrétienne, puis la restauration de Jérusalem et de Juda à l'époque perse.
Aujourd'hui, il ne fait plus de doute que les histoires des Patriarches, de la sortie d'Égypte et de la conquête du pays ne reflètent pas des périodes successives et datables. Il s'agit au contraire de légendes ou de mythes d'origine qui, après coup, furent arrangés selon un ordre chronologique.
[…]
La perspective biblique, reprise par la plupart des biblistes et historiens, est « sudiste » ou judéo-centrée, et les événements ainsi que les exploits des rois du royaume d'Israël sont tous relatés à partir de cette optique. Dans les livres de Samuel et des Rois, le « Royaume du Nord » est présenté comme étant rejeté par YHWH et tous ses rois reçoivent des appréciations négatives. Cette perspective est encore renforcée dans les livres des Chroniques, où des événements propres à Israël ne sont mentionnés que lorsqu'ils sont indispensables pour comprendre l'histoire de Juda.
Bien qu'on ait souvent souligné que le royaume d'Israël fut une entité politique et économique bien plus importante que le petit royaume de Juda - qui se trouvait souvent dans le giron du grand frère -, on n'a jamais essayé d'écrire une histoire du royaume d'Israël depuis ses origines jusqu'à sa disparition en 722 avant l'ère commune.
Israël Finkelstein a relevé le défi et présente ici une histoire d'un royaume « oublié » ou « censuré » pourrait-on être tenté d'ajouter. Il le fait d'un point de vue archéologique, partant des résultats de fouilles et de surveys pour les mettre ensuite en dialogue avec les textes bibliques. Bien que ceux-ci véhiculent, la plupart du temps, les préoccupations théologiques de leurs auteurs, ils peuvent garder Des souvenirs d'événements historiques.
[…]
Cette réhabilitation du « Royaume du Nord » était plus que nécessaire. Elle permet de mieux saisir comment les textes bibliques reconstruisent l'histoire dans une perspective sudiste tout en gardant des souvenirs du Nord et en faisant des compromis permettant de saisir, avec l'aide de l'archéologie, tout l’héritage nordiste dont Juda a pu bénéficier dès le VIIIe siècle.
.
Israël Finkelstain
page 84
La première entité territoriale israélite du Nord :
Gabaôn/Gibea
et la Maison de Saül
La date et l'étendue de l'entité territoriale saulide
DATER SAUL ET LES SAULIDES
En tout premier lieu, je souhaite exposer les raisons pour lesquelles les vues traditionnelles qui placent le règne de Saül à la fin du XIe siècle et datent la campagne de Shéshonq Ier en 926 av. J.-C., soit à près d'un siècle d'écart, ne peuvent être utilisées comme argument à l'encontre de la reconstruction historique présente.
Les tenants des vues traditionnelles datent le règne de Saül entre 1025 et 1005 av. J.-C. en se fondant sur la séquence et les chiffres fournis par la Bible :
1) Ils utilisent un comput rétrospectif à partir des rois des époques tardives, dont les dates de règne sont connues par synchronisme extrabiblique.
2) Ils adoptent le chiffre « 40 » avancé par la Bible pour les temps de règne de Salomon (1 Rois 11, 42) et de David (2 Samuel 5, 4).
3) Ils adoptent sans le discuter l'ordre biblique : Saül > David > Salomon.
4) Il est largement admis que la formule d'accession au pouvoir de Saül en 1 Samuel 13, 1 (qui indique que Saül régna sur Israël 2 ans) est altérée. Assumant, d'une part l'historicité de Saül et dressant, d'autre part, le compte des événements de son règne et surtout ses exploits militaires, les spécialistes d'histoire biblique en concluent que Saül devait avoir régné un grand nombre d'années. Le texte altéré présentant le chiffre « 2 », ils soutiennent donc qu’il devait s'agir en fait de « 20 » ou de « 22 ».
Pourtant, rien de tout cela ne peut servir de preuve irréfutable. Le chiffre « 40 » accolé aux années de règne de Salomon er de David doit être considéré comme un chiffre typologique. L'argument concernant la longueur du règne de Saül est très peu fiable.
Quant à la séquence Saül > David > Salomon, elle peut très bien avoir été le fait d’un rédacteur tardif. Le texte lui-même ne dit pas de façon précise si David régna après Saül ou si leurs règnes ont été en partie contemporains. Edelman avance à juste raison : « On ne peur établir fermement de date pour Saül. (...) il fut associé à Israël, donc toute tentative de le situer dans le temps doit se faire en relation avec d'autres rois israélites dont l'existence peut être vérifiée par une documentation extrabiblique. (...) Il semblerait logique de placer Saül quelque part au cours du Xe siècle av. J.-C. » De plus, si le texte biblique dit qu'à Saül succéda son fils Eshbal (Ishboshet, 2 Samuel 2, 8-10), nous n'avons aucun moyen de savoir quel fut le nombre réel de rois saulides ni la longueur de leurs règnes. De tout cela il ressort que la campagne de Shéshonq Ier, qui, comme il a été mentionné plus haut, eut lieu quelque part entre le milieu et la fin du Xe siècle, peut avoir coïncidé avec la fin de la Maison de Saül.
page 223
La fin et l’après : un nouveau sens pour Israël ?
Le Royaume du Nord disparaît à jamais. Une partie de ses élites est déportée en Mésopotamie, tandis que des groupes de populations étrangères sont installés par les Assyriens dans les territoires du royaume déchu.
[...]
Les Israélites en Juda après la chute du Royaume du Nord
L'archéologie atteste d'un saisissant développement de Jérusalem au Fer IIB qui, de petite ville traditionnelle des Hautes Terres centrales, devient une grande cité de près de 60 hectares.
Au Fer IIA, le contour de la ville devait probablement se limiter au tell sur le mont du Temple et à une petite zone d'activité près de la source du Gihon. Au Fer IIB, par contre, la ville fortifiée (sans doute la plus grande cité de la terre d'Israël à cette époque) s'étend sur l'ensemble de la colline sud-est (la cité de David), la colline sud-ouest (les quartiers juif et arménien de la ville actuelle) et le mont Sion.
L'archéologie montre également qu'en Juda le nombre de sites habités crût de façon tout aussi significative au Fer IIB par rapport au Fer IIA. Leur nombre passe de ca.35 à ca.120. Quant aux sites de la Shefelah, ils passent de ca.20 à 275 !
[...]
Cela signifie que l'extraordinaire accroissement de population à Jérusalem et en Juda s'opéra en quelques décennies à peine. La population de Juda fut multipliée par deux, sinon par trois, en un temps extrêmement court
[…]
Ces indices de transformations majeures et très rapides dans la région des Hautes Terres dans la seconde moitié du VIIIe siècle ne peuvent être expliqués que par l'installation, à Jérusalem et dans l'ensemble du territoire judaïte, de groupes israélites originaires du sud de la Samarie et de Béthel, après la chute du royaume d'Israël.
Ainsi, le royaume isolé de Juda, dont la société était de type clanique et homogène, se transforma en un royaume à population composite, judaïte et israélite, sous l'aile du grand empire assyrien. En corollaire se développèrent en Juda les thèmes panisraélites. L'émergence de l'Israël biblique en tant que concept fut, par conséquent le résultat de la chute du royaume d'Israël.
L'émergence du concept d'Israël biblique
Deux thèmes constituent le fondement du concept panisraélite : la centralité, pour tous les Hébreux, de la dynastie davidique et du Temple de Jérusalem. Plus que tous autres, deux textes bibliques cruciaux permettent de comprendre l'émergence du concept qu'Israël représente : non pas un royaume, mais une nation, composée tout autant de populations du Nord que de populations du Sud. Ces textes sont le récit de l'ascension de David (1 Samuel 16,14 - 2 Samuel 5) et l'histoire de la succession (2 Samuel 9-20 et 1 Rois 1-2)
Apparemment, le récit de l'ascension de David et l'histoire de la succession, transmis d'abord oralement, furent mis par écrit à la fin du VIIIe siècle par un auteur qui réalisa son œuvre dans le contexte des transformations démographiques qui s'opéraient alors en Juda. Cet auteur tira profit du fait qu'après 720 av. J.-C. le terme Israël était disponible, tant au plan territorial qu'au plan politique.
[…]
À ce stade toutefois, cette idéologie panisraélite était uniquement dirigée vers l'intérieur de la société et destinée à la population composite résidant en Juda. Le stade plus élaboré de cette idéologie, à savoir l'appel à tous ceux qui vivaient sur les territoires anciennement nordistes à se joindre à la Nation, ne se développera que plus tard, probablement sous Josias, à la fin du VIIe siècle av. J.-C., après le retrait assyrien de la région. La construction idéologique d'une grande Monarchie Unifiée qui aurait régné sur tout le peuple d'Israël - Nord et Sud confondus - à partir de Jérusalem est un produit de cette période. Elle était nécessaire pour fournir une légitimité historique à la revendication par Jérusalem d'une domination sur tous les territoires hébreux et sur tout le peuple hébreu, du Sud et du Nord. À l'évidence, il fallait pour cela minimiser l'importance du Royaume du Nord, alors qu'historiquement il avait été le plus puissant des deux royaumes hébreux.