années
30 à 70
Les
chrétiens
« hébreux »
et « hellénistes »
La première Église, née à
Jérusalem, était composée de deux
sortes très différentes de Juifs convertis à
Jésus-Christ.
Les uns que l’on peut appeler les « Hébreux », parlaient
araméen, pouvaient pour la plupart comprendre la
Bible (l’Ancien Testament) en hébreu et
continuaient à suivre les coutumes et les règles
du judaïsme. Les autres, que l’on peut appeler
les « Hellénistes »,
étaient d’origine païenne, provenaient de tous
les pays du monde méditerranéen, parlaient grec
et lisaient la Bible dans la version grecque de
la Septante. Certains d’entre eux, les
prosélytes, s’étaient fait circoncire et
respectaient la Loi juive. D’autres n’étaient
que « craignant Dieu »,
n’étaient pas circoncis et ne respectaient que
partiellement les coutumes juives.
Le texte des Actes (écrit vers l’an 85, donc
un demi-siècle plus tard) dit que l’unité de
l’Église de Jérusalem était un modèle de
fraternité, à part le différent ayant entraîné
la nomination des sept responsables hellénistes.
Il n’en demeure pas moins qu’il y avait une
différence considérable de théologie entre ces
deux groupes.
- Les chrétiens «
hébreux » lisaient les paroles de Jésus
réunies dans la Source Q
(qui sera présentée plus loin) et étaient
attachés au Jésus historique, maître de sagesse
et de renouveau dont ils avaient suivi le
ministère en Galilée. Ils débattaient avec la
synagogue mais sans entrer en conflit ouvert
avec elle.
Nous verrons que la Source Q ignore tout
élément surnaturel. Il n’y est pas fait mention
de la naissance miraculeuse de Jésus ni de sa
croix et de sa résurrection. Q s’intéresse plus
à son rôle de sage et de prophète et au contenu
de son enseignement qu’à son identité de fils de
Dieu ou de messie. Le terme même de Christ n’y
figure pas. Les éléments de la passion ne sont
pas centrés sur la personne de Jésus mais sont
attribués à un ensemble vaste comprenant les
prophètes, Jean, Jésus et les disciples. Q n’a
pas utilisé les Psaumes 22 ou 69, comme Marc le
fera et n'a pas présenté la croix de Jésus comme
expiatoire.
La Source Q disparaîtra
en tant que document autonome lorsque
Matthieu et Luc en auront utilisé le contenu
dans leurs évangiles : Matthieu en composera six
grands discours qu'il placera dans la bouche de
Jésus (dont le fameux Sermon sur la montagne).
Luc les situera dans un long voyage qui mènera
Jésus de la Galilée à Jérusalem. Qui sait si un
bédouin cherchant sa chèvre ne découvrira pas
- comme ce fut le cas pour les manuscrits
de la mer Morte - le manuscrit original de
la Source Q validant ainsi ce qui n'est, pour le
moment qu'une hypothèse.
Il est à remarquer que la
Source Q n’est pas le seul texte
chrétien de cette époque qui ignore le
surnaturel, la résurrection de Jésus, le sens
théologique de sa croix et son identité de fils
de Dieu. L’épitre de
Jacques n’en dit rien non plus, à part
la brève mention
« soyez patients jusqu'à avènement du
Seigneur » (5.7). Il en est de
même du livre de la Didache et de l’Évangile de Thomas qui
sont contemporains du Nouveau Testament.
- Les chrétiens «
hellénistes » étaient originaires de
l’ensemble du monde romain et avaient rencontré
Jésus dans ses derniers jours à Jérusalem.
Il y avait en séjour à
Jérusalem des Juifs, hommes pieux, de toutes
les nations qui sont sous le ciel. Parthes,
Mèdes, Élamites, ceux qui habitent la
Mésopotamie, la Judée, la Cappadoce, le Pont,
l'Asie, la Phrygie, la Pamphylie, l'Égypte, le
territoire de la Libye voisine de Cyrène, et
ceux qui sont venus de Rome, Juifs et
prosélytes, Crétois et Arabes. (Actes 2.5-11)
L'essentiel du christianisme était pour eux la
seule affirmation étourdissante de la
résurrection glorieuse du crucifié désormais
présent à la droite de Dieu. Ils n’avaient pas
connu Jésus, ignoraient tout de son ministère et
centraient toute leur théologie sur la croix du
Christ et sa résurrection glorieuse. Paul
d’ailleurs ne cite jamais ni une parole ni une
action de Jésus et disait d’ailleurs
ouvertement :
« Même si, autrefois, nous
avons connu le Christ d'une manière humaine,
maintenant nous ne le connaissons plus de
cette manière. » 2 Corinthiens 5.16
Étienne, Philippe et Paul étaient les
principaux hellénistes du livre des Actes. Dans
les Actes des Apôtres, Luc s'efforce de ne
présenter aucune opposition entre le groupe des
Hébreux et celui des Hellénistes. C'est ainsi
qu'il introduit le groupe des responsables
hellénistes (les Sept) comme soumis aux apôtres
et en plein accord avec eux. On remarquera
néanmoins que ces Sept sont réduits au rôle
secondaire du « service des tables »
alors que la première chose que fait Philippe
est de baptiser l'eunuque éthiopien, numéro deux
de cet important royaume et Étienne prononce un
grand discours-programme théologique qui lui
vaut d'être le premier martyr de la chrétienté.
Philippe révèle sa
théologie helléniste en centrant sa
spiritualité uniquement sur la mort du Christ
(Actes 8) et en ne sentant pas engagé par
l'interdiction de la loi de Moïse d'accepter un
eunuque « dans l'assemblée de
l'Éternel » (Dt 23.2) :
- « Si tu crois de
tout ton cœur... »
Étienne prononce à
Jérusalem un discours-programme
(Actes 7) manifestant une spiritualité
détachée du culte du Temple et des règles
rabbiniques. Sa prise de parole lors de sa
lapidation est semblable à la vision de Paul
lors de sa conversion sur le chemin de Damas :
Mais Etienne, rempli du
Saint-Esprit, et fixant les regards vers le
ciel, vit la gloire de Dieu et Jésus debout à
la droite de Dieu. Et il dit : Voici, je vois
les cieux ouverts, et le Fils de l'homme
debout à la droite de Dieu. (Actes 7.56)
Paul se rattache à la
communauté helléniste dans la mesure
où il n’a pas connu le Jésus historique, ses
actes et ses paroles. Sa théologie est tout
entière centrée sur sa « rencontre » mystique du
Christ crucifié-ressuscité dans la gloire de
Dieu. L’évangéliste Luc qui était probablement
son disciple, la raconte en lui attribuant ces
mots « Je suis Jésus
que tu persécutes ».
Cette vision révèle la réhabilitation et la
glorification par Dieu de celui que les
autorités juives avaient pourtant condamné comme
pécheur et l’union mystique de tous les hommes
du monde avec celui qui avait ainsi déconsidéré
la condamnation de tous les pécheurs. Le
Vendredi-saint et Pâques sont donc, à ses yeux,
l’événement central de l’histoire des hommes et
depuis lors, Dieu ne considère plus comme
coupables ceux qui transgressent la Loi. Il n’y
a plus de différence entre les Juifs et les
Grecs, notamment en ce qui concerne l’obligation
de suivre la Loi de Moïse. Une telle
spiritualité était directement compréhensible
par les juifs de la diaspora et par les païens
grecs.
L’attitude enthousiasmée,
dynamique et missionnaire de cette communauté
helléniste ayant tout de suite provoqué la
persécution et sa dispersion en Samarie, en
Phénicie, à Chypre et à Antioche, ce qui n’était
pas le cas de la communauté des chrétiens «
hébreux » réunis autour des apôtres :
Il y eut, ce jour-là, une
grande persécution contre l'Eglise de
Jérusalem ; et tous, excepté les apôtres, se
dispersèrent dans les contrées de la Judée et
de la Samarie. Actes 8.1
Pierre Lémonon, doyen de la Faculté catholique
de Lyon, écrit :
« Les propos et les pratiques des disciples
qui étaient dans la mouvance de Pierre et de
Jean étaient sans doute plus modérés et ne
heurtaient pas de front les autorités de
Jérusalem en ce qui concerne le Temple et la
Loi. Toute critique contre le Temple était
vivement ressentie par les grands prêtres. » Les débuts du christianisme
Luc écrivait l’histoire de
l’Église dans les Actes des Apôtres,
dans les années 85 probablement en Grèce et
s’efforçait naturellement de la présenter à son
avantage aux païens de son entourage. Il disait
gentiment :
Ils étaient chaque jour tous
ensemble assidus au temple, ils rompaient le
pain dans les maisons, et prenaient leur
nourriture avec joie et simplicité de cœur,
louant Dieu, et trouvant grâce auprès de tout
le peuple. Et le Seigneur ajoutait chaque jour
à Église ceux qui étaient sauvés. (Ac 2.46-47)
Il présentait aussi les dirigeants hellénistes
comme soumis aux apôtres et en union parfaite
avec eux :
Ils élirent Etienne, homme
plein de foi et d'Esprit-Saint, Philippe,
Prochore, Nicanor, Timon, Parménas, et
Nicolas, prosélyte d'Antioche. Ils les
présentèrent aux apôtres, qui, après avoir
prié, leur imposèrent les mains. (Actes 6.6)
L’incident d’Antioche,
qui a dû se passer dans les années 40-45, et est
rapporté par Paul révèle la différence de
conception de la pureté rituelle et de la
nourriture cachère qui opposait les chrétiens «
hébreux » de Jérusalem représentés ici par
Pierre et les « hellénistes » qui étaient à
Antioche autour de Paul.
Lorsque Céphas (Pierre) vint
à Antioche, je lui résistai en face, parce
qu'il était répréhensible. En effet, avant
l'arrivée de quelques personnes envoyées par
Jacques, il mangeait avec les païens ; et,
quand elles furent venues, il s'esquiva et se
tint à l'écart, par crainte des circoncis.
Avec lui les autres Juifs usèrent aussi de
dissimulation, en sorte que Barnabas même fut
entraîné par leur hypocrisie.
Voyant qu'ils ne marchaient pas droit selon la
vérité de l'Evangile, je dis à Céphas, en
présence de tous :
- Si toi qui es Juif, tu vis à la manière
des païens et non à la manière des Juifs,
pourquoi forces-tu les païens à judaïser ?
(Galates 1.11-14)
Le concile de Jérusalem
semble avoir été un événement différent de
l’incident d’Antioche
Quelques hommes, venus de la
Judée, enseignaient les frères, en disant :
- Si vous n'êtes circoncis selon le rite de
Moïse, vous ne pouvez pas être sauvés.
Paul et Barnabas eurent avec eux un débat et
une vive discussion ; et les frères décidèrent
que Paul et Barnabas, et quelques-uns des
leurs, monteraient à Jérusalem vers les
apôtres et les anciens, pour traiter cette
question [...] Arrivés à Jérusalem, ils furent
reçus par l'Église, les apôtres et les
anciens, et ils racontèrent tout ce que Dieu
avait fait avec eux. Alors quelques-uns du
parti des pharisiens, qui avaient cru, se
levèrent, en disant qu'il fallait circoncire
les païens et exiger l'observation de la loi
de Moïse. Les apôtres et les anciens se
réunirent pour examiner cette affaire. Une
grande discussion s'étant engagée, Pierre se
leva, et leur dit :
- Hommes frères, vous savez que dès longtemps
Dieu a fait un choix parmi vous, afin que, par
ma bouche, les païens entendent la parole de
l'Évangile et croient. Et Dieu, qui connaît
les cœurs, leur a rendu témoignage, en leur
donnant le Saint-Esprit comme à nous ; il n'a
fait aucune différence entre nous et eux,
ayant purifié leurs cœurs par la foi.
Maintenant donc, pourquoi tentez-vous Dieu, en
mettant sur le cou des disciples un joug que
ni nos pères ni nous n'avons pu porter ? Mais
c'est par la grâce du Seigneur Jésus que nous
croyons être sauvés, de la même manière
qu'eux.
Toute l'assemblée garda le silence, et l'on
écouta Barnabas et Paul, qui racontèrent tous
les miracles et les prodiges que Dieu avait
faits par eux au milieu des païens.
Lorsqu'ils eurent cessé de parler, Jacques
prit la parole, et dit :
- Je suis d'avis qu'on ne crée pas de
difficultés à ceux des païens qui se
convertissent à Dieu, mais qu'on leur écrive
de s'abstenir des souillures des idoles, de
l'impudicité, des animaux étouffés et du sang.
(Actes 15.1-21)
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