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Dieu obscur

Sexe, cruauté et violence dans la Bible hébraïque


 

Thomas Römer

 

Édition Labor et Fides

200 pages - 16 €

 

Recension Gilles Castelnau

 

8 juillet 2024

Cet excellent livre, écrit pour la première fois en 1996, en est à sa 4e réédition.  Les éditions Labor et fides marquent ainsi leur centenaire en republiant cet ouvrage prestigieux. Le savant bibliste qu'est le professeur Römer, directeur du Collège de France, propose des réponses aux questions que ne manque pas de poser aux lecteurs de la Bible tous les textes qui mettent en scène un Dieu bien éloigné du politiquement correct, de nos visions de la justice, de la non-violence ou de l’égalité.

Dieu est-il mâle ? Dieu est-il cruel ? Dieu est-il despote et guerrier ? Dieu est-il moralisateur et l’homme pécheur ? Dieu est-il violent et vengeur ? Dieu est-il incompréhensible ?

En voici quelques extraits qui en donneront aux internautes une idée et leur donnera sans doute l’idée de l’acquérir.

 

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Introduction


Yhwh, Dieu national à l’époque de la monarchie

La grande synthèse

Les différentes perspectives sur Dieu telles qu'elles ont vu le jour dans les dernières décennies du royaume de Juda et durant les époques babylonienne et perse coexistent dans la même Bible avec des représentations plus archaïques, voire obscures. Pourquoi ?

La Bible hébraïque ne se présente pas comme une seule doctrine cohérente et unilatérale sur Dieu. Ses écrits offrent au contraire une synthèse de différents énoncés sur Yhwh et son peuple. Le début de cette synthèse commence avec la publication de la Torah, du Pentateuque comme document officiel du judaïsme à l'époque perse entre 400 à 350. Le pouvoir perse était assez tolérant sur le plan religieux et laissait une grande autonomie aux populations intégrées dans l'empire. On a même pensé que les Perses encourageaient la publication des traditions religieuses des différents peuples, mais cette hypothèse reste très spéculative.

Il est cependant sûr que c'est à l'époque perse que les intellectuels judéens ressentirent le besoin de réunir et d' « officialiser » les documents fondateurs de leur religion. Ce sont les déportés babyloniens qui prirent l'initiative de la publication de la Torah. Selon un récit contenu dans le livre d'Esdras ( 7 ), ce dernier, qui est à la fois scribe et prêtre, arrive à Jérusalem comme « chargé des affaires cultuelles juives » et proclame une loi du « Dieu du ciel ».

Il est intéressant de noter que le « dieu du ciel » peut à la fois être identifié à Yhwh dont Esdras proclame la loi, mais qu'il s'agit aussi d'un titre qui peut s'appliquer à Ahura-Mazda, le dieu suprême des Perses. La loi promulguée par Esdras peut être, suivant la tradition juive, identifiée au Pentateuque ou à un proto-Pentateuque. Ainsi, il est évident que le Pentateuque, comme loi unique du judaïsme, doit forcément refléter les différentes tendances théologiques des communautés juives à Babylone, en Egypte et dans le paysmais aussi en Samarie puisque les Samaritains reconnaissent également le Pentateuque comme Écriture sainte.

Le nouvel espace du judaïsme est alors celui du livre, mais il ne s'agit pas d'un livre fermé; c'est un recueil qui garde toute la diversité de l'expérience du peuple hébreu avec son Dieu. Yhwh est à la fois le Dieu vénéré dès les origines de l'humanité (Gn 4,26), comme il est le Dieu qui a révélé son nom seulement à partir de Moïse (Ex 3 et Ex 6). Yhwh est à la fois le Dieu qui entre en contact avec les Arabes, les Philistins et les Egyptiens (dans le livre de la Genèse), mais également le Dieu qui interdit à Israël tout contact avec les autres peuples, ordonnant même leur extermination (p. ex. dans certains textes du livre du Dt). Yhwh est à la fois un Dieu miséricordieux et un Dieu qui se met en colère.
Tous ces énoncés sur Dieu dialoguent les uns avec les autres, et quiconque veut entrer dans cet espace de la Bible hébraïque doit prendre part à ce dialogue, doit s'approprier ou aussi critiquer les différents discours sur Dieu.

 

 

 

Dieu est-il mâle ?


« Homme et femme, il les créa »
le témoignage du courant sacerdotal

Le récit de création en Gn l, qui a été rédigé par des auteurs du milieu sacerdotal, a pour point culminant la création de l’homme, aux versets 26-28:

« Dieu dit : "Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance et qu'il soumette les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toute la terre et toutes les petites bêtes qui remuent sur la terre !" Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa. »

L'affirmation selon laquelle l' homme a été créé à l'image de Dieu n'a cessé d'occuper exégètes et théologiens. Beaucoup de propositions ont été faites pour savoir en quoi l'homme est l'image de son créateur (intelligence, spiritualité, langage, etc.) . Le texte ne parle pourtant pas d'un aspect de l'être humain mais de l' homme dans sa totalité. C'est l'étude comparative des religions qui peut aider à comprendre cette affirmation.

Dans les textes égyptiens, notamment, c'est Pharaon, le roi qui est souvent désigné comme l'image de Dieu sur terre. A cet égard, le roi est le médiateur obligé entre le monde et Dieu. En Gn 1, un texte qui affirme que tout homme est image de Dieu, nous retrouvons un processus de démocratisation, ici d'une tradition royale, similaire à ce que nous venons d'évoquer par rapport à l'appellation « père » pour Dieu. Tout être humain est désormais le représentant de Dieu sur terre, c'est-à-dire responsable de la création qu'il faut protéger et faire prospérer. Et c'est à l'homme, mâle et femelle, qu'incombe cette tâche : « mâle et femelle, il les créa. »
Ici, la complémentarité et l'égalité de l'homme et de la femme sont affirmées d'une manière forte et lapidaire. Et dans ce texte devient tout à fait clair ce en quoi l'être humain est l'image de Dieu. Selon Gn 1, l'homme (mâle) seul ne peut prétendre être à l'image de Dieu. Dieu trouve son vis-à-vis autant dans la femme que dans l'homme. Cette affirmation des auteurs sacerdotaux laisse entrevoir qu'en dépit de certaines apparences, le Dieu de l'Ancien Testament n'est pas le patriarche barbu et autoritaire qu'on a souvent imaginé ou caricaturé. D'après Gn 1, Dieu a en lui de quoi susciter une image à la fois masculine et féminine. Nous pouvons alors poursuivre notre enquête en nous demandant si des textes évoquent Yhwh sous des traits féminin

 

 

 

Dieu est-il despote et guerrier ?


Yhwh, Dieu de la conquête - le cas du livre de Josué

Le livre de Josué, dans sa première partie (Jos 1 - 12), explique que l'installation du peuple hébreu dans son pays est due à une conquête militaire où Yhwh apparaît comme un chef de guerre ayant comme général Josué. Ce général mène son peuple à de nombreuses victoires qui aboutissent le plus souvent à l'extermination ou à l'expulsion de la population cananéenne. Ici, Yhwh se présente clairement comme un dieu guerrier qui est le chef suprême d'un peuple aussi belliqueux que lui.

Et ce sont ces textes-là qui sont utilisés aujourd'hui par certains milieux juifs intégristes pour s'opposer au processus de paix entre Israéliens et Palestiniens, et pour exiger l'expulsion de la population palestinienne. Cette lecture fondamentaliste du livre de Josué est doublement douteuse : premièrement, elle considère les récits qui s'y trouvent comme des documents historiques, et deuxièmement, elle obscurcit totalement le fait que l'exaltation d'un dieu guerrier pose un grand problème pour la foi biblique.

[...]

D'où nous vient alors la présentation de la conquête fournie par le livre de Josué ? Bien que les spécialistes débattent de nombreux problèmes de détail, un certain consensus existe quant au fait que la première collection des récits de conquête en Jos 1 - 12 a vu le jour à l'époque assyrienne, et probablement sous le règne de Josias (vers 620 av. J.-C.). Nous savons que Josias a pu bénéficier de l'affaiblissement de l'Empire assyrien pour envisager une politique de conquête qui avait pour but d'intégrer dans le royaume de Juda des territoires de l’ancien royaume du Nord qui, après 722, étaient devenus province assyrienne.

Dans ce contexte, le livre de Josué fourni le légitimation théologique à la politique d'expansion josianique. Les auteurs deutéronomistes qui avaient déjà rédigé la première version du Deutéronome mettent en parallèle Josué et Josias, et, ce faisant, élaborent en même temps une vision guerrière des origines d'Israël. En présentant Yhwh comme un Dieu guerrier qui intervient dans les guerres de son peuple, les Deutéronomistes ne font pas preuve d'originalité. Cette interprétation est notamment présente chez les Assyriens, et ensuite chez les Babyloniens ( 7 ). Les auteurs de Jos se sont largement inspirés des textes assyriens pour présenter Yhwh comme le Dieu de la conquête.
Le livre de Josué s'ouvre par un grand discours par lequel Dieu installe Josué comme chef de guerre, en lui adressant les promesses suivantes : « Tout lieu que foulera la plante de vos pieds, je vous le donne [...] personne ne pourra tenir devant toi [...] sois fort et courageux » (Jos 1,3.5.6). Un discours comparable se trouve en Jos 10,8 au moment d'une bataille décisive : « Ne crains pas, car je te les ai livrés ; aucun d'entre eux ne tiendra devant toi ». Dans un oracle pour Assarhaddon, nous trouvons le même mélange entre exhortation et assurance de la victoire sur les ennemis : « Assarhaddon, roi des nations ne crains pas ! [...] Je suis Ishtar de Arbéla qui mets tes ennemis à tes pieds
[...] Ne crains pas » ( 8 ).

( 7 ) D’une manière générale, une telle idée fait partie de la conception d’un dieu national de qui l’on attend des interventions pour protéger son peuple dans une situation de guerre. Ainsi dans une stèle très connue (IXe siècle av. J.C.) le roi Mésha de Moab remercie Kemosh, dieu tutélaire de Moab, de lui avoir donné la victoire contre Israël.

[…]

Les influences assyriennes sur un texte comme Jos 10, sont patentes. Comme Sargon, Josué et Israël doivent affronter une immense coalition de rois ennemis. Grâce à l'intervention divine, les ennemis sont mis en déroute et pendant leur fuite, Adad et Yhwh interviennent de manière miraculeuse :

Lettre au Dieu : « Le reste du peuple s'était enfui pour sauver leur vie [...] Adad (= le Dieu de l'orage) [...] poussa un grand cri contre eux. A l'aide d'une pluie torrentielle et des pierres du ciel (= grêlons), il annihila ceux qui restaient. »
Jos 10,11 : « Or tandis qu'ils fuyaient devant Israël [...] Yhwh lança des cieux contre eux des grandes pierres jusqu'à Azéqa et ils moururent. Plus nombreux furent ceux qui moururent par les pierres de grêle que ceux que les fils d'Israël tuèrent par l'épée. »

En reprenant le modèle assyrien de la conquête, les auteurs de Jos 1 - 12 ont accentué l'image belliqueuse de Yhwh, d'un Dieu qui n'hésite pas à exterminer de manière radicale tous les ennemis d'Israël. Nous pouvons, et je dirais même, nous devons regretter cette accentuation. Néanmoins, il faut la comprendre dans la situation historique où elle est apparue. Car, les auteurs de Jos poursuivent un but polémique, comparable à celui du livre du Dt. Pour ces auteurs de l'époque du roi Josias, il s'agit de montrer que Yhwh est plus fort que toutes les divinités tutélaires de l'Assyrie, qu'elles s'appellent Assur, Adad ou Ishtar. Et lorsque le livre de Josué insiste sur le fait que les autres peuples n'ont aucun droit à occuper Canaan, ce constat s'applique également, et en premier lieu, aux Assyriens qui occupaient alors le pays promis par Dieu à son peuple. On peut appliquer à ce procédé le terme de « contre histoire » (counter history, expression forgée à l'intérieur des études juives) : un groupe minoritaire, opprimé, reprend un discours des oppresseurs pour le ridiculiser ou le tourner contre l'oppresseur. Il y a donc bien un message polémique dans le livre de Josué, affirmant la supériorité de Yhwh sur l'Assyrie et ses dieux, mais ce message se développe au prix d'un durcissement de Yhwh qui devient aussi guerrier qu'Assur.

 

Le « désarmement» et la transformation du Dieu de la conquête

Nous ne pouvons pas nier le poids de l'image d'un Dieu belliqueux dans la Bible hébraïque. Cependant, il faut aussitôt souligner le fait que cette image est contrebalancée par des relectures qui la modifient, voire la critiquent. Lorsque Jérusalem fut détruite par les troupes babyloniennes en 587 av. J.-C., la conception d'un dieu national et guerrier fut profondément ébranlée. Ainsi, l'introduction du livre de Josué fut revue et corrigée par des Deutéronomistes de la deuxième ou troisième génération. Le discours militaire adressé à Josué se transforma en une homélie sur la loi, et Josué passa du statut de chef militaire à celui de rabbin consciencieux ; Jos 1,8 : « Ce livre de la loi ne s'éloignera pas de ta bouche ; tu le murmureras jour et nuit... »
Du coup, c'est le respect de la Torah qui décide de la rie du peuple dans le pays et non plus les exploits militaires.

 

 

CONCLUSION


Le Dieu de l'Ancien et du Nouveau Testament

Au cours de notre brève enquête sur Dieu dans la Bible hébraïque, nous n'avons que peu parlé du Dieu qui libère son peuple, qui entre dans une relation privilégiée avec Israël, et qui, par la bouche de ses prophètes, l'exhorte constamment à vivre dans la paix et la justice sociale, et qui dans les mêmes livres prophétiques annonce une ère de paix universelle où l'Egypte, l'Assyrie et Israël seront réconciliés (Es 19). Ce sont ces aspects-là qui sont à juste titre soulignés dans les traditionnelles « théologies de l'Ancien Testament ».

Notre but, cependant, n'était pas d'ajouter à ces synthèses théologiques, mais plutôt de nous interroger sur les aspects de Dieu que les lectrices et lecteurs de la Bible hébraïque risquent souvent d'obscurcir ou de dénoncer. En insistant sur les textes qui présentent un Dieu apparemment machiste, cruel, guerrier et incompréhensible, nous avons sans doute pris un risque, puisque l'on pourrait y voir une preuve supplémentaire que le Dieu de l'Ancien Testament n'a rien à voir avec celui du Nouveau Testament.

Espérons pourtant que l'examen des énoncés difficiles sur Dieu a pu montrer que ces discours ont vu le jour dans des situations historiques précises. Souvent, ces textes veulent mettre leurs destinataires en garde contre des conceptions trop humaines de Dieu et insister sur les limites des discours théologiques.

 

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