.
Introduction
Yhwh, Dieu national à l’époque de
la monarchie
La grande synthèse
Les différentes perspectives sur Dieu telles
qu'elles ont vu le jour dans les dernières
décennies du royaume de Juda et durant les
époques babylonienne et perse coexistent dans la
même Bible avec des représentations plus
archaïques, voire obscures. Pourquoi ?
La Bible hébraïque ne se présente pas comme une
seule doctrine cohérente et unilatérale sur
Dieu. Ses écrits offrent au contraire une
synthèse de différents énoncés sur Yhwh et son
peuple. Le début de cette synthèse commence avec
la publication de la Torah, du Pentateuque comme
document officiel du judaïsme à l'époque perse
entre 400 à 350. Le pouvoir perse était assez
tolérant sur le plan religieux et laissait une
grande autonomie aux populations intégrées dans
l'empire. On a même pensé que les Perses
encourageaient la publication des traditions
religieuses des différents peuples, mais cette
hypothèse reste très spéculative.
Il est cependant sûr que c'est à l'époque perse
que les intellectuels judéens ressentirent le
besoin de réunir et d'
« officialiser » les documents
fondateurs de leur religion. Ce sont les
déportés babyloniens qui prirent l'initiative de
la publication de la Torah. Selon un récit
contenu dans le livre d'Esdras ( 7 ), ce dernier,
qui est à la fois scribe et prêtre, arrive à
Jérusalem comme « chargé des affaires
cultuelles juives » et proclame une loi du
« Dieu du ciel ».
Il est intéressant de noter que le « dieu
du ciel » peut à la fois être identifié à
Yhwh dont Esdras proclame la loi, mais qu'il
s'agit aussi d'un titre qui peut s'appliquer à
Ahura-Mazda, le dieu suprême des Perses. La loi
promulguée par Esdras peut être, suivant la
tradition juive, identifiée au Pentateuque ou à
un proto-Pentateuque. Ainsi, il est évident que
le Pentateuque, comme loi unique du judaïsme,
doit forcément refléter les différentes
tendances théologiques des communautés juives à
Babylone, en Egypte et dans le paysmais aussi en
Samarie puisque les Samaritains reconnaissent
également le Pentateuque comme Écriture sainte.
Le nouvel espace du judaïsme est alors celui du
livre, mais il ne s'agit pas d'un livre fermé;
c'est un recueil qui garde toute la diversité de
l'expérience du peuple hébreu avec son Dieu.
Yhwh est à la fois le Dieu vénéré dès les
origines de l'humanité (Gn 4,26), comme il est
le Dieu qui a révélé son nom seulement à partir
de Moïse (Ex 3 et Ex 6). Yhwh est à la fois le
Dieu qui entre en contact avec les Arabes, les
Philistins et les Egyptiens (dans le livre de la
Genèse), mais également le Dieu qui interdit à
Israël tout contact avec les autres peuples,
ordonnant même leur extermination (p. ex. dans
certains textes du livre du Dt). Yhwh est à la
fois un Dieu miséricordieux et un Dieu qui se
met en colère.
Tous ces énoncés sur Dieu dialoguent les uns
avec les autres, et quiconque veut entrer dans
cet espace de la Bible hébraïque doit prendre
part à ce dialogue, doit s'approprier ou aussi
critiquer les différents discours sur Dieu.
Dieu
est-il mâle ?
« Homme et femme, il les créa »
le témoignage du courant sacerdotal
Le récit de création en Gn l, qui a été rédigé
par des auteurs du milieu sacerdotal, a pour
point culminant la création de l’homme, aux
versets 26-28:
« Dieu dit : "Faisons l'homme à
notre image, selon notre ressemblance et
qu'il soumette les poissons de la mer, les
oiseaux du ciel, les bestiaux, toute la
terre et toutes les petites bêtes qui
remuent sur la terre !" Dieu créa
l'homme à son image, à l'image de Dieu il le
créa ; mâle et femelle il les
créa. »
L'affirmation selon laquelle l' homme a été
créé à l'image de Dieu n'a cessé d'occuper
exégètes et théologiens. Beaucoup de
propositions ont été faites pour savoir en quoi
l'homme est l'image de son créateur
(intelligence, spiritualité, langage, etc.) . Le
texte ne parle pourtant pas d'un aspect de
l'être humain mais de l' homme dans sa totalité.
C'est l'étude comparative des religions qui peut
aider à comprendre cette affirmation.
Dans les textes égyptiens, notamment, c'est
Pharaon, le roi qui est souvent désigné comme
l'image de Dieu sur terre. A cet égard, le roi
est le médiateur obligé entre le monde et Dieu.
En Gn 1, un texte qui affirme que tout
homme est image de Dieu, nous retrouvons un
processus de démocratisation, ici d'une
tradition royale, similaire à ce que nous venons
d'évoquer par rapport à l'appellation
« père » pour Dieu. Tout être humain
est désormais le représentant de Dieu sur terre,
c'est-à-dire responsable de la création qu'il
faut protéger et faire prospérer. Et c'est à
l'homme, mâle et femelle, qu'incombe cette tâche
: « mâle et femelle, il les
créa. »
Ici, la complémentarité et l'égalité de l'homme
et de la femme sont affirmées d'une manière
forte et lapidaire. Et dans ce texte devient
tout à fait clair ce en quoi l'être humain est
l'image de Dieu. Selon Gn 1, l'homme (mâle)
seul ne peut prétendre être à l'image de Dieu.
Dieu trouve son vis-à-vis autant dans la femme
que dans l'homme. Cette affirmation des auteurs
sacerdotaux laisse entrevoir qu'en dépit de
certaines apparences, le Dieu de l'Ancien
Testament n'est pas le patriarche barbu et
autoritaire qu'on a souvent imaginé ou
caricaturé. D'après Gn 1, Dieu a en lui de quoi
susciter une image à la fois masculine et
féminine. Nous pouvons alors poursuivre notre
enquête en nous demandant si des textes évoquent
Yhwh sous des traits féminin
Dieu
est-il despote et guerrier ?
Yhwh, Dieu de la conquête - le
cas du livre de Josué
Le livre de Josué, dans sa première partie (Jos
1 - 12), explique que l'installation du peuple
hébreu dans son pays est due à une conquête
militaire où Yhwh apparaît comme un chef de
guerre ayant comme général Josué. Ce général
mène son peuple à de nombreuses victoires qui
aboutissent le plus souvent à l'extermination ou
à l'expulsion de la population cananéenne. Ici,
Yhwh se présente clairement comme un dieu
guerrier qui est le chef suprême d'un peuple
aussi belliqueux que lui.
Et ce sont ces textes-là qui sont utilisés
aujourd'hui par certains milieux juifs
intégristes pour s'opposer au processus de paix
entre Israéliens et Palestiniens, et pour exiger
l'expulsion de la population palestinienne.
Cette lecture fondamentaliste du livre de Josué
est doublement douteuse : premièrement, elle
considère les récits qui s'y trouvent comme des
documents historiques, et deuxièmement, elle
obscurcit totalement le fait que l'exaltation
d'un dieu guerrier pose un grand problème pour
la foi biblique.
[...]
D'où nous vient alors la présentation de la
conquête fournie par le livre de Josué ?
Bien que les spécialistes débattent de nombreux
problèmes de détail, un certain consensus existe
quant au fait que la première collection des
récits de conquête en Jos 1 - 12 a vu le
jour à l'époque assyrienne, et probablement sous
le règne de Josias (vers
620 av. J.-C.). Nous savons que Josias
a pu bénéficier de l'affaiblissement de l'Empire
assyrien pour envisager une politique de
conquête qui avait pour but d'intégrer dans le
royaume de Juda des territoires de l’ancien
royaume du Nord qui, après 722, étaient
devenus province assyrienne.
Dans ce contexte, le livre de Josué fourni le
légitimation théologique à la politique
d'expansion josianique. Les auteurs
deutéronomistes qui avaient déjà rédigé la
première version du Deutéronome mettent en
parallèle Josué et Josias, et, ce faisant,
élaborent en même temps une vision guerrière des
origines d'Israël. En présentant Yhwh comme un
Dieu guerrier qui intervient dans les guerres de
son peuple, les Deutéronomistes ne font pas
preuve d'originalité. Cette interprétation est
notamment présente chez les Assyriens, et
ensuite chez les Babyloniens ( 7 ). Les auteurs de Jos se
sont largement inspirés des textes assyriens
pour présenter Yhwh comme le Dieu de la
conquête.
Le livre de Josué s'ouvre par un grand discours
par lequel Dieu installe Josué comme chef de
guerre, en lui adressant les promesses
suivantes : « Tout lieu que
foulera la plante de vos pieds, je vous le
donne [...] personne ne pourra tenir devant
toi [...] sois fort et courageux » (Jos
1,3.5.6). Un discours comparable se trouve en
Jos 10,8 au moment d'une bataille décisive
: « Ne crains pas, car je te les ai
livrés ; aucun d'entre eux ne tiendra
devant toi ». Dans un oracle pour
Assarhaddon, nous trouvons le même mélange entre
exhortation et assurance de la victoire sur les
ennemis : « Assarhaddon, roi des
nations ne crains pas ! [...] Je suis
Ishtar de Arbéla qui mets tes ennemis à tes
pieds
[...] Ne crains pas » ( 8 ).
( 7 ) D’une
manière générale, une telle idée fait partie
de la conception d’un dieu national de qui
l’on attend des interventions pour protéger
son peuple dans une situation de guerre. Ainsi
dans une stèle
très connue (IXe
siècle av. J.C.) le roi Mésha de Moab
remercie Kemosh, dieu tutélaire de Moab, de
lui avoir donné la victoire contre Israël.
[…]
Les influences assyriennes sur un texte comme
Jos 10, sont patentes. Comme Sargon, Josué
et Israël doivent affronter une immense
coalition de rois ennemis. Grâce à
l'intervention divine, les ennemis sont mis en
déroute et pendant leur fuite, Adad et Yhwh
interviennent de manière miraculeuse :
Lettre au Dieu : « Le reste du
peuple s'était enfui pour sauver leur vie
[...] Adad (= le Dieu de l'orage) [...]
poussa un grand cri contre eux. A l'aide
d'une pluie torrentielle et des pierres du
ciel (= grêlons), il annihila ceux qui
restaient. »
Jos 10,11 : « Or tandis qu'ils
fuyaient devant Israël [...] Yhwh lança des
cieux contre eux des grandes pierres jusqu'à
Azéqa et ils moururent. Plus nombreux furent
ceux qui moururent par les pierres de grêle
que ceux que les fils d'Israël tuèrent par
l'épée. »
En reprenant le modèle assyrien de la conquête,
les auteurs de Jos 1 - 12 ont accentué
l'image belliqueuse de Yhwh, d'un Dieu qui
n'hésite pas à exterminer de manière radicale
tous les ennemis d'Israël. Nous pouvons, et je
dirais même, nous devons regretter cette
accentuation. Néanmoins, il faut la comprendre
dans la situation historique où elle est
apparue. Car, les auteurs de Jos poursuivent un
but polémique, comparable à celui du livre du
Dt. Pour ces auteurs de l'époque du roi Josias,
il s'agit de montrer que Yhwh est plus fort que
toutes les divinités tutélaires de l'Assyrie,
qu'elles s'appellent Assur, Adad ou Ishtar. Et
lorsque le livre de Josué insiste sur le fait
que les autres peuples n'ont aucun droit à
occuper Canaan, ce constat s'applique également,
et en premier lieu, aux Assyriens qui occupaient
alors le pays promis par Dieu à son peuple. On
peut appliquer à ce procédé le terme de
« contre histoire » (counter
history, expression forgée à l'intérieur
des études juives) : un groupe minoritaire,
opprimé, reprend un discours des oppresseurs
pour le ridiculiser ou le tourner contre
l'oppresseur. Il y a donc bien un message
polémique dans le livre de Josué, affirmant la
supériorité de Yhwh sur l'Assyrie et ses dieux,
mais ce message se développe au prix d'un
durcissement de Yhwh qui devient aussi guerrier
qu'Assur.
Le « désarmement» et la
transformation du Dieu de la conquête
Nous ne pouvons pas nier le poids de l'image
d'un Dieu belliqueux dans la Bible hébraïque.
Cependant, il faut aussitôt souligner le fait
que cette image est contrebalancée par des
relectures qui la modifient, voire la
critiquent. Lorsque Jérusalem fut détruite par
les troupes babyloniennes en 587 av. J.-C.,
la conception d'un dieu national et guerrier fut
profondément ébranlée. Ainsi, l'introduction du
livre de Josué fut revue et corrigée par des
Deutéronomistes de la deuxième ou troisième
génération. Le discours militaire adressé à
Josué se transforma en une homélie sur la loi,
et Josué passa du statut de chef militaire à
celui de rabbin consciencieux ; Jos
1,8 : « Ce livre de la loi ne
s'éloignera pas de ta bouche ; tu le
murmureras jour et nuit... »
Du coup, c'est le respect de la Torah qui décide
de la rie du peuple dans le pays et non plus les
exploits militaires.
CONCLUSION
Le Dieu de l'Ancien et du
Nouveau Testament
Au cours de notre brève enquête sur Dieu dans
la Bible hébraïque, nous n'avons que peu parlé
du Dieu qui libère son peuple, qui entre dans
une relation privilégiée avec Israël, et qui,
par la bouche de ses prophètes, l'exhorte
constamment à vivre dans la paix et la justice
sociale, et qui dans les mêmes livres
prophétiques annonce une ère de paix universelle
où l'Egypte, l'Assyrie et Israël seront
réconciliés (Es 19). Ce sont ces aspects-là qui
sont à juste titre soulignés dans les
traditionnelles « théologies de l'Ancien
Testament ».
Notre but, cependant, n'était pas d'ajouter à
ces synthèses théologiques, mais plutôt de nous
interroger sur les aspects de Dieu que les
lectrices et lecteurs de la Bible hébraïque
risquent souvent d'obscurcir ou de dénoncer. En
insistant sur les textes qui présentent un Dieu
apparemment machiste, cruel, guerrier et
incompréhensible, nous avons sans doute pris un
risque, puisque l'on pourrait y voir une preuve
supplémentaire que le Dieu de l'Ancien Testament
n'a rien à voir avec celui du Nouveau Testament.
Espérons pourtant que l'examen des énoncés
difficiles sur Dieu a pu montrer que ces
discours ont vu le jour dans des situations
historiques précises. Souvent, ces textes
veulent mettre leurs destinataires en garde
contre des conceptions trop humaines de Dieu et
insister sur les limites des discours
théologiques.