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La source des paroles de Jésus (Q)

Aux origines du christianisme

 

 

Andreas Dettwiler et Daniel Marguerat (éd).

 

400 pages

 

Édition Labor et Fides

 

Recension Gilles Castelnau

2 avril 2009

Les biblistes Frédéric Amsler, Andreas Dettwiler, Christoph Heil, John S. Kloppenborg, Amy-Jill Levine, Ulrich Luz, Daniel Marguerat, Migaku Sato, Jacques Schlosser, Thomas Schmeller, Jens Schröter, Joseph Verheyden ont réalisé collectivement cet important livre qui fait le point sur les hypothèses actuelles concernant la source Q.

La Source Q est un document rapportant principalement des paroles de Jésus et dont on fait l’hypothèse. Les biblistes pensent en effet que les évangélistes Matthieu et Luc ont tous deux connu et utilisé l’évangile de Marc. Mais ils ont en commun un certain nombre de paroles de Jésus qui ne figurent pas dans Marc. Ils font donc l’hypothèse d’un document qui les comportait et que l’on nomme Q, abréviation de l’allemand Quelle (la source).
Voir Gilles Castelnau : les évangiles synoptiques

Ce livre, écrit par des doctorants, est très technique et un peu fastidieux en raison du très grand nombre de références auxquels ces jeunes auteurs sont tenus par les traditions universitaires. Mais il n’est pas particulièrement difficile à lire pour le grand public cultivé habitué à une lecture abstraite.

En voici quelques passages particulièrement digestes.
On notera que pour désigner un verset de la Source Q, il est convenu de citer le chapitre et le verset de l’évangile de Luc en les faisant précéder de la lettre Q.

 

Page 9
Andreas Dettwiler et Daniel Marguerat

Depuis une vingtaine d'années, la recherche sur la source des paroles de Jésus s'emballe. Étonnamment, le monde francophone n'a presque rien su de cette excitation qui anime les chercheurs, essentiellement américains. A notre connaissance, seuls deux ouvrages de présentation générale ont paru en français sur le sujet. (Frédéric Amsler, L’Évangile inconnu et Jean-Marc Babut, A la découverte de la Source). C'est dire que ce livre vient combler une lacune béante dans l'exégèse francophone. Il rassemble les textes présentés lors d'un enseignement postgrade en Nouveau Testament aux Universités de Lausanne et Genève, en avril-mai 2006. Des spécialistes de la recherche sur la Source, en provenance des États-Unis, du Canada, du Japon et d'Europe, ont exposé et confronté leurs résultats; nous avons tenu à les offrir, en français, au public francophone.

Pourquoi la Source intéresse-t-elle tant les chercheurs ? Elle se trouve projetée au carrefour de nombreux questionnements actuels de la recherche sur les origines du christianisme. Ce document aujourd'hui perdu, mais que l'on postule derrière les traditions communes aux évangiles de Matthieu et de Luc, nous restitue la théologie du mouvement de Jésus à un stade archaïque. Il fixe la mémoire de communautés judéo-chrétiennes engagées dans une mission à l'intérieur du judaïsme ; le rapport avec le judaïsme est conflictuel, les envoyés sont rejetés, et la mission est en passe d'échouer. La Source nous introduit ainsi dans ce tout début du christianisme où le mouvement de Jésus se comprend encore à l'intérieur d'Israël, comme une part renouvelée du peuple d'Abraham, et lutte pour convaincre ses contemporains que Jésus est l'ultime envoyé de Dieu pour la conversion de son peuple. On saisit ici, à un stade tout à fait archaïque, des formulations christologiques que les traditions ultérieures développeront ; Jésus n'est pas appelé « Messie » (ou Christ), mais « Fils de l'homme ». Il est dès lors compréhensible que les chercheurs soient fascinés par ce document, qui constituerait le plus ancien témoignage littéraire de l'après-Jésus, antérieur à l'évangile de Marc et à la correspondance paulinienne. Il nous fait accéder à une époque où le christianisme n'est encore qu'une variété de judaïsme, auquel il emprunte toutes ses formules et son langage. La réflexion sur la spécificité de Jésus (en quoi est-il plus qu'un prophète ?) ne fait que commencer. Nombre de chercheurs rêvent que la Source nous fasse toucher le message de Jésus miraculeusement conservé intact, sa prédication verbatim, à la façon des archéologues arrachant du fond des sables ou de la mer des vestiges enfouis il y a deux millénaires. Nous verrons cependant que si la Source nous rapproche effectivement du temps de Jésus, l'utopie d'un accès immédiat aux paroles du Nazaréen doit être abandonnée : la Source procède déjà d'une réception et d'une interprétation de son message. La vie et les expériences des missionnaires se sont aussi déposées dans le document.

Fascinante par son archaïsme, par sa proximité du temps de Jésus, la Source réserve des surprises à ceux qui la parcourent. Depuis l'année 2000, sa lecture est facilitée par une reconstitution du texte, qui même si elle demeure une hypothèse, est le fruit d'un minutieux travail d'analyse conduit par une équipe internationale de chercheurs. La surprise est donc au rendez-vous : le lecteur est déconcerté par l'atmosphère apocalyptique avec son attente tendue vers une venue proche du Règne de Dieu, par la radicalité de l'éthique, par l'intransigeance de l'appel à suivre le maître (« Suis-moi et laisse les morts enterrer leurs morts » Q 9,60). L'engagement requis est sans compromis : « Qui n'est pas avec moi est contre moi, et qui ne rassemble pas avec moi disperse » (Q 11,23). L'impatience perce sous les propos de Jésus : « C'est du feu que je suis venu jeter sur la terre, et comme je voudrais qu'il soit déjà allumé ! » (Q 12,49). C'est aussi dans la Source que figurent ces promesses fulgurantes : « Demandez et on vous donnera, cherchez et vous trouverez, frappez et on vous ouvrira » (Q 11,9). Comparé à l'image qu'en donnent les évangiles, et à laquelle nous nous sommes accoutumés, le discours de Jésus à ses disciples frappe par ses formules cinglantes. Le lecteur de la Source doit donc s'attendre à un dépaysement théologique.

Surprenante, dépaysante, la Source recèle des mystères que la recherche n'a fait que commencer à explorer. Qui a collationné ces paroles de Jésus et dans quelle intention ? Peut-on parler d'une rédaction de la Source, voire de plusieurs couches rédactionnelles, ou le texte auquel nous avons accès résulte­t-il d'un collage hâtif des propos du maître ? Jésus se profile-t-il essentielle­ment comme un maître de sagesse ou plutôt à la manière des prophètes d'Israël ? L'éthique de la Source est-elle réservée aux envoyés ou destinée à tout croyant ? La chrétienté de la Source observait-elle intégralement la Torah ? Toutes ces questions sont débattues dans ce livre et l'on verra les chercheurs avancer – parfois en tâtonnant – leurs hypothèses. Il n’est pas fréquent d’assister, pour ainsi dire en direct, au dialogue des savants sur une question disputée.

 

Page 46
Daniel Marguerat

Datation : On date la rédaction de Q entre 40 et 70. Theissen pense que la polémique contre les Pharisiens (Q 11,39ss) situe la rédaction dans la première tranche, donc entre 40 et 55, car l’hostilité entre Pharisiens et chrétiens s'affaiblit par la suite.  C'est possible, mais il est difficile de l'affirmer avec certitude. Parler de la période 40-60 est plus prudent, en tous les cas avant la rédaction de Mc. Plus tard n'est guère possible : l'essor du fanatisme zélote en Palestine a rendu l'atmosphère insupportable pour les porteurs d'un message d'amour des ennemis (Q 6,27-28). La montée de l'effervescence nationaliste en Israël conduira, comme on sait, à l'éclatement du conflit en 66 déjà sous le préfet Florus.

Localisation des destinataires : la Galilée, sans aucun doute. La Source s'inscrit totalement dans le cadre du judaïsme ; des païens sont cités çà et là, mais toujours comme des contre-modèles du manque de foi d'Israël (le centurion de Q 7,2 ; les villes de Tyr et Sidon en 10,13-14 ; les Ninivites en 11,30.32 ; la reine du Midi en 11,31). A part Jérusalem, les villes nommées sont galiléennes : Chorazim et Capharnaüm (Q 7,1 ; 10,13.15). S'ajoutent Tyr et Sidon, villes de Syrie occidentale sises non loin du nord de la Galilée. Les destinataires sont à situer dans la campagne galiléenne plutôt qu'en ville : exemples et comparaisons sont inspirés du monde agricole ou domestique, trahissant une perspective rurale et non urbaine. Lancer des malédictions contre des bourgades aussi insignifiantes que Chorazim et Bethsaïda (Q 10,13-15) ne peut provenir d'un étranger à la région. La localisation en Galilée a de quoi s'appuyer sur la proximité de l'évangile selon Thomas, que l'on situe également en Syrie. La mention de Jérusalem qui « tue les prophètes » (Q 13,34) pourrait refléter une relation conflictuelle du groupe avec Jérusalem.

A l'intention de qui la Source fut-elle rédigée ? Était-ce à l'intention d'une communauté singulière qui serait « l'Église de la Source » ? Était-ce pour une chrétienté dont on ne peut pas identifier plus précisément le mode d'existence ? Arland D. Jakobson et Burton L. Marck considèrent Q comme un document juif, car il ne développe pas de christologie messianique et ne considère pas la mort de Jésus comme un événement salutaire. Mais c'est appliquer une orthodoxie christologique inappropriée aux années 40-60. Il suffit de lire que Jésus y est considéré comme le porteur de paroles révélatrices et que le titre de Fils de l'homme lui est appliqué pour conclure que Q présente effectivement un spécimen de christologie.

 

Page 290
Christoph Hill

Rédaction socio-historique
Alors que la tradition de Q est à localiser dans l'espace rural de la Galilée et que sa rédaction finale a probablement eu lieu dans la région du sud de la Syrie, la rédaction lucanienne délocalise le contexte socio-historique dans une ville de la sphère missionnaire de Paul, peut-être Ephèse. Luc voulait « adapter les paroles qui lui avaient été transmises à une situation, où le rapport des propriétaires à l'égard des pauvres de même que le dépassement d'un comportement social fondé sur la réciprocité importaient particulièrement. [...] Si la tradition s'adressait spécialement à des pauvres et à des personnes socialement fragiles en contexte rural, les destinataires sont désormais plutôt des riches et des personnes en vue d'une communauté urbaine ». « Si dans Q la relation ennemi ami faisait autorité dans la critique du comportement clanique, pour Luc il en va ainsi du rapport entre riches et pauvres. Le commandement de l'amour des ennemis fonctionne sous un aspect nouveau : l'abandon du principe de réciprocité dans le comportement social ». En Lc 6,27-38 particulièrement, Luc articule ainsi l'amour de l'ennemi à la thématique de la charité. « Influencé par l'exigence d'un amour du prochain poussé par Jésus jusqu'à englober l'ennemi, Luc met en cause le comportement des membres aisés de sa communauté confinés à la même couche sociale ». Cette visée rédactionnelle se rencontre également en d'autres endroits de la réception lucanienne de Q, comme dans la parabole de l'invitation au festin (Q 14,16-23). « Comme le montre la configuration lucanienne des motifs d'excuse, ce sont précisément les propriétaires qui sont en danger, par intérêt pour leurs affaires, de refuser l'invitation (cf. 14,18s) ». « La compensation eschatologique que lui offrait la promesse de la filialité divine, promesse liée au commandement de l'amour des ennemis, lui fournissait la motivation décisive en faveur d'une charité illimitée. [ ... ]
Il eschatologise cette promesse et la prolonge aux v. 36-38 par la correspondance entre le comportement terrestre de l'homme et l'attitude future de Dieu dans l'au-delà; à cette occasion, il remodèle à nouveau en fonction de son intérêt pour la charité la thématique, présente dans Q, du renoncement au jugement »

[...]

Q et Luc représentants de différentes trajectoires
L’étude de Q et de sa réception par Luc nous rend attentifs à des trajectoires plurielles au sein du christianisme naissant ; on devient sceptique à l'égard d'un développement unilinéaire, romantique et harmonieux de la foi chrétienne. Dès l'origine, la critique formiste et la critique rédactionnelle, tablaient également sur une pluralité au sein du christianisme naissant et distinguaient par exemple les théologies différentes de Paul et de Jean. La pluralité des « christianismes » ultérieurs est en l'occurrence déjà constatée : l'intérieur du Nouveau Testament. A l'inverse, des travaux récents d'obédience constructiviste accentuent davantage l'homogénéité supra-régionale et la cohérence du premier christianisme et de sa christologie. Désormais, à un modèle de conflit issu de l'histoire des traditions, on privilégie le paradigme de la réécriture et de l'intégration. On observe cette nouvelle orientation dans l'exégèse de l'évangile de Jean, les tensions de fond et de forme à l'intérieur du texte n'étant plus expliquées par la critique des sources et par la distinction de plusieurs auteurs, mais par le modèle synchronique de la « relecture » réalisée par un même auteur.

[…]

Le simple fait que les auteurs néotestamentaires se soient situés non pas dans un inconditionnel rapport de confiance, mais précisément avec la volonté de démontrer la supériorité de leurs conceptions historiques et théologiques par rapport à d'autres, témoigne contre l'homogénéité et la cohérence des traditions du christianisme naissant et contre une conception romantique et harmonieuse de leur développement. En écrivant leurs évangiles, Matthieu et Luc avaient l'intention de rendre caducs leurs modèles plus anciens. Dans son prologue, Luc rend compte de ses « nombreux » prédécesseurs, qui ont rendu témoignage avant lui ; à cette occasion, Luc formule manifestement le dessein d'offrir un compte rendu encore meilleur, mieux ordonné, plus exact et ainsi plus « sûr » à ses lecteurs. Walter Radl commente ainsi : « Luc a apparemment l'intention de présenter à ses lecteurs la forme définitive de la tradition de Jésus [...] »

 

 

 

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