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Les Églises allemandes
sous le Troisième Reich


 Christoph Strohm

professeur d’histoire du christianisme contemporain
à l’université de Heidelberg

 

traduction de l’allemand par Pierre-Olivier Léchot

Ed. Labor et fides

224 pages – 19 €


17 octobre 2022


Le professeur Christoph Strohm a fait un énorme travail de recension et de transcription des différentes prises de position des responsables d’Églises du temps du nazisme allemand.

Il cite toujours avec précision les dates, les occasions et les noms des intervenants en en soulignant l’importance. Loin de tout polémique, il ne prend pas parti, ne défend aucune thèse et s’efforce de présenter clairement les faits tels qu’ils se sont produits en expliquant leur signification.

Son œuvre est celle d’un historien exigeant et exact, montrant l’évolution des relations du Parti nazi avec les Églises.


En voici quelques passages :



 


Espérance et désillusion (1933)



Le grand changement d’opinion

Le 11 avril 1933, la direction de l'Église de l'Union vieille-prussienne se rassembla pour adopter un engagement particulièrement chaleureux envers le nouvel État. Ce message, qui devait être lu le dimanche de Pâques dans toutes les chaires de la plus grande Église territoriale d'Allemagne, était associé à l'invitation adressée à tous les pasteurs de célébrer le prochain anniversaire du chancelier Hitler dans une prière d'intercession. Le message pascal s'adressait à un peuple auquel Dieu aurait parlé « à travers un grand tournant ». On s'y reconnaissait en outre « liés dans la gratitude à la conduite de la nouvelle Allemagne » et profondément « heureux de coopérer au renouveau national et moral de notre peuple ». Pas un mot d'avertissement ni aucune parole en mémoire des victimes du nouveau régime ne furent entendus dans cette prise de position face à laquelle Otto Dibelius avait été le seul membre de la direction de l’Église à mettre en garde.




Les Deutsche Christen et l'Église confessante

Le 5 et 6 septembre, le synode général de toutes les Églises provinciales de l’Église évangélique de l’Union vieille-prussienne se réunit à Berlin et donna le ton au sein de ce qui était de loin la plus grande Église territoriale d'Allemagne. Le synode, dominé par les chemises brunes (ce qui lui valut le nom de « synode brun »), décida entre autres d'introduire le paragraphe dit « aryen » au sein de l'Église, à savoir la mise à pied de tous les pasteurs et responsables ecclésiastiques ayant un parent ou un grand-parent juif.





                       Mise au pas et résistance (1934)



L’affaiblissement des Églises territoriales

Hitler finit par intervenir personnellement dans les débats en invitant des représentants des groupes concernés à un entretien le 25 janvier 1934.

 

Du côté de l'opposition ecclésiastique, Niemöller, les évêques Meiser, Wurm et Marahrens ainsi que le prélat de Westphalie Karl Koch (18761951) prirent part à cette rencontre. Tout portait à croire qu'on allait entrer dans la discussion et que les principaux problèmes seraient résolus. Mais cela s'avéra rapidement être une erreur. La célèbre réception des protestataires par le chancelier débuta avec la lecture par Göring d'une conversation téléphonique de Niemöller, écoutée par la Gestapo. Celui- ci s'était adressé à son interlocuteur Künneth avec un flagrant manque de respect à l'égard de Hitler et du président du Reich. Une réception de Hitler chez Hindenburg avait ainsi été qualifiée de « dernier sacrement ». L'ancien commandant de sous-marin Niemöller avait également déclaré que les mines avaient été bien posées. En outre, Göring présenta des documents sur le Pfarrernotbund, qui semblaient accréditer la thèse de relations illégales entre ce dernier et l'étranger. Hitler réagit avec une indignation mensongère et les représentants de l'opposition aux Deutsche Christen se retrouvèrent dans la désagréable situation de devoir se défendre contre l'accusation d'être des ennemis de l'État. Il ne restait dès lors plus grand-chose du projet d'éviction de l'évêque du Reich et on se laissa aisément persuader de renoncer à une critique publique de Müller pour chercher à coopérer avec lui. Cependant, cette promesse de rapprochement fit long feu et l'on renoua rapidement avec une position commune clairement hostile.

 

 


 

La déclaration théologique de Barmen


L’action des Deutsche Christen état déterminée par la conviction que Dieu non seulement parle aux hommes à travers la parole biblique, mais révèle également sa volonté dans la Création et l'histoire.

Dieu ayant non seulement créé des individus mais aussi des peuples, servir son peuple revenait par conséquent à accomplir la volonté du Créateur. Une telle doctrine, déduite de l'ordre de la Création, impliquait en outre de considérer le fait que de jeunes peuples (comme les Allemands) grandissent et en évincent de plus anciens (comme les Français ou les Anglais) comme relevant de la volonté de Dieu. Contre un tel point de vue, les auteurs de la Déclaration théologique de Barmen mettaient l'accent sur le seul témoignage biblique de Jésus-Christ. Ce n'est qu'ainsi que pouvait être contrecarrée la pénétration de l'idéologie national-socialiste dans l'Église et sa transformation.

 



Exclusion et répression (1935-1939)



La scission de l’Église confessante


Peu de gens entrevirent les véritables objectifs proprement anti-ecclésiastiques et antichrétiens du régime national-socialiste avec autant de clairvoyance que Bonhoeffer. En conséquence, il chercha à équiper les vicaires qui lui étaient confiés dans la perspective d'un conflit potentiellement de longue durée. En 1936, il écrivit aux anciens participants à son cours :

Je pense que nous devons nous préparer par la discipline physique et spirituelle, pour le jour où nous serons mis à l’épreuve.

[...]
Confrontés à des obstacles constants et des persécutions en provenance des représentants du NSDAP, de la Gestapo, des services de sécurité des SS ou d'autres instances, on tenta de préserver la confession et la vie traditionnelle de l'Église. Soutenir une telle posture devint de plus en plus difficile et dans certains endroits on se retrouva finalement en retrait. Le séminaire des prédicateurs de Bonhoeffer, qui vivait en grande partie du soutien — également matériel — des paroisses, fut fermé en septembre 1937 par un décret du Reichsführer SS et du chef de la police allemande, Heinrich Himmler. Après cela, la formation des candidats au pastorat allait pourtant se poursuivre pendant encore deux ans et demi dans différents endroits de Poméranie orientale.

 


La pression s’accroît

 L'arrestation de Martin Niemöller à son domicile de la Cecilienallee 61 à Berlin-Dahlem le matin du 1er juillet 1937 fit l'effet d'un coup de tonnerre. Personne ne se doutait que Niemöller ne remettrait plus les pieds chez lui pendant huit ans. Bien que la peine de prison ait été purgée avec sa détention préventive, Niemöller fut condamné immédiatement après la sentence, le 2 mars 1938, en tant que « prisonnier personnel du Führer » à être détenu au camp de concentration de Sachsenhausen. Il devait rester incarcéré au camp de concentration de Dachau jusqu'à la fin de la guerre. En novembre 1937, la Gestapo arrêta le pasteur de la commune de Dickenschied dans le Hunsrück, Paul Schneider (1897-1939). Inflexible, celui-ci dénonçait encore au camp de concentration de Buchenwald l'injustice des sbires SS. Jusqu'à la fin, il prêcha la parole biblique à ses codétenus. Le « prédicateur de Buchenwald » devint ainsi le premier pasteur protestant à tomber, victime de la torture et du meurtre du régime nazi.

 



La persécution des juifs


          et la Shoah



Réaction hésitante des Églises


Les évêques catholiques ne laissèrent à aucun moment planer de doute sur le fait que l'exaltation de la race aryenne et l'antisémitisme qui en découlait étaient en contradiction avec les contenus centraux de la foi chrétienne. On peut dire la même chose de l'Église confessante. Cependant, ni les évêques catholiques ni la direction de l'Église confessante n'ont réagi aux mesures prises contre les juifs par une protestation immédiate, commune et publique. Même l'encyclique Mit brennender Sorge resta, dans sa critique de l'idéologie raciale, sur le plan des principes. La protestation de l'Église confessante n'était forte et décidée que lorsqu'il s'agissait (comme lors de la fondation du Pfarrernotbund en 1933) de mesures prises contre des chrétiens ou des pasteurs d’origine juive.

 

[...]

Il fallut attendre 1943 pour qu'un synode de l'Église confessante et l'ensemble des évêques catholiques condamnent le meurtre des personnes d'origine juive dans des déclarations sur l'application du cinquième Commandement. Lorsque les premières déportations furent connues en 1941, le Conseil des frères de l'Église confessante de Vieille-Prusse mit en place un comité chargé de préparer une déclaration synodale sur le cinquième Commandement. Le 12e synode de Vieille-Prusse, qui se tint les 16 et 17 octobre 1943, adopta alors une telle déclaration, qui dénonçait sans ambiguïté aussi bien le meurtre pour des raisons « eugéniques » que pour des raisons raciales.

L'ordre divin ne connaît pas les termes « éliminer », « liquider » et « vie indigne ». L'extermination d'êtres humains simplement parce qu'ils appartiennent à la famille d'un criminel, sont vieux, malades mentaux ou d'une autre race, n'est pas un usage de l'épée que Dieu a confiée aux autorités.

 


Épilogue


« Le 8 mai fut un jour de libération. Il nous a tous libérés du système inhumain de la tyrannie national-socialiste. » Les mots prononcés par Richard von Weizsäcker, alors président de la République fédérale d'Allemagne, à l'occasion du anniversaire de la fin de la guerre, le 8 mai 1985, n'auraient en aucun cas fait consensus dans l'immédiat après-guerre. Ce qui était représentatif, à l'époque, c'était plutôt la perception que la « tragédie allemande » s'était achevée dans la capitulation inconditionnelle, comme l'avait exprimé l'évêque Meiser le 7 mai 1945 dans une circulaire adressée à tous les pasteurs de l'Église évangélique luthérienne de Bavière. Pour la majeure partie des chrétiens comme pour la population dans son ensemble, la défaite finale du Reich allemand le 8 mai 1945 ne fut pas du tout ressentie comme une libération.

 

[...]


Il convient néanmoins de se demander pourquoi les responsables de l'Église n'ont pas adopté des paroles ou des actes de résistance plus clairs contre la propagation d'une idéologie hostile à l'homme, l'instauration d'un régime arbitraire et violent et la mise en œuvre d'une politique d'extermination d'une ampleur sans précédent. Quelles sont les causes qui expliquent que l'adaptation et la coopération ont souvent diminué ou paralysé la volonté de résistance ? En ce qui concerne l'Église protestante, il faut d'abord mentionner la traditionnelle proximité mentale et institutionnelle avec l'État. Depuis des temps immémoriaux, on était habitué à ce que le souverain soit responsable de la direction et de l'administration de l'Église. C'est précisément en raison de l'identification avec l'empire dominé par le protestantisme prussien que la défaite de la Première Guerre mondiale fut vécue comme particulièrement douloureuse.

C'est là que réside l'explication du fait que le culte du Führer ait pu déployer un effet considérable au sein de l'Église protestante.

[...]


La Déclaration théologique de Barmen de 1934, qui s'oppose la propagation de la religiosité völkisch dans le domaine de l'Église, est ainsi généralement considérée comme un premier pas vers une résistance politiquement pertinente. Même si l'intention n'était pas de s'opposer politiquement au régime, la Déclaration théologique de Barmen, avec ses condamnations claires des hérésies des Deutsche Christen, a eu cet effet et a été perçue comme telle. D'autres ont au contraire jugé que l'orientation barthienne vers un renouveau théologique favorisait la limitation à une lutte pour la pureté de la doctrine et l'ordre juste de l'Église et ne conduisait donc justement pas à une résistance politique.

 

 

 

 


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