Vivre la fraternité
L’expérience du Foyer de Grenelle à Paris
Préface de Pierre Joxe
Christian Bouzy
Éd. Olivétan
134 pages - 15 €
recension Gilles Castelnau
16 février 2017
Le pasteur Christian Bouzy sait de quoi il parle. Il a animé pendant 6 ans le poste de la Mission Populaire de la rue de l’Avre dans le 15e arrondissement de Paris et il explique l’esprit de communication fraternelle, de créativité sociale, d’entraide que l’on y vit depuis bientôt 100 ans.
Il en raconte les joies et les peines, les difficultés de coexistence et la solidarité généreuse qui naît lorsque la possibilité en est proposée. Pasteur, témoin de l’esprit de l’Évangile omniprésent entre ces 4 murs, il est également garant de l’accueil laïc fait à tous sans discrimination de religion. Chacun des 7 chapitres se termine par une des prédications qu’il a donnée lors du culte hebdomadaire du Foyer.
Dans une grande et belle introduction, l’ancien ministre Pierre Joxe nous dit son implication personnelle dans cette aventure spirituelle et sociale de la Mission Populaire protestante. Voici quelques pages de ce livre saisissant.
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page 8
PREFACE
de Pierre Joxe
ancien ministre de l’Intérieur, président de la Fondation du protestantisme
[...]
Mais il y a quelques années, ayant déménagé dans le quartier de Beaugrenelle, j'ai découvert un jour en revenant du marché par la petite rue de l'Avre, le Foyer de Grenelle, un discret vestige du Paris communard tout à la fois ancien « poste d’évangélisation », « Centre social » agréé par la Caisse d'allocation familiale de Paris, ou encore paroisse réformée ? Une « Mission populaire » ?... Je n'ai pas encore très bien compris moi-même.
J'y suis entré. Je n'en sortirai plus. [...] Après trois années, je commence à me dire qu’au Foyer de Grenelle, un pasteur, quelques permanents et près de trois cents bénévoles contribuent pour la plupart à illustrer à leur façon, souvent sans s'en douter, la doctrine révolutionnaire de Luther, celle du « sacerdoce universel » décrite et commentée par le Pasteur André Gounelle dans l'un de ses merveilleux « Cours » - tous facilement consultables sur internet.
page 13
Créé au lendemain des massacres des communards dans le Grenelle ouvrier alors suburbain, ce Foyer a traversé des siècles si différents qu'il n'est plus ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre. [...] Le Pasteur Christian Bouzy qui vient de consacrer à ce Foyer six années intenses de sa vie - avec son épouse Anne Salzborn, enseignante spécialisée - raconte plusieurs aspects de l'origine et de la vie du Foyer et conduit à s'interroger : dans la France d’aujourd'hui, que peut bien signifier le sacerdoce universel ? Peut-être un diaconat plus développé, plus partagé qui illustrerait assez bien le troisième mot de la devise républicaine, ce troisième mot qui fut proclamé, puis retiré à plusieurs reprises entre la Révolution de 1789 et la Commune de l87l : Fraternité.
Ce troisième mot n'a pas seulement été le dernier à être officialisé par la République, c'est le seul dont la portée est moins juridique que philosophique, voire morale ou même religieuse. A tel point qu’il fut combattu en 1880 par certains républicains ultra laïcs, mais soutenu par d'autres, peut être encore plus laïcs, mais pour lesquels la fraternité n'était pas malsonnante.
page 18
HISTOIRE D’UNE FRATERNITE TOUJOURS INTERROGEE
Le contexte économique, social et politique
Au 19e siècle, la France comme l'ensemble de l'Europe occidentale, connaît un essor industriel très rapide. Celui-ci est accompagné d'un déchirement brutal de l'ancien tissu social et de la formation d'un prolétariat urbain auquel toute représentation politique ou syndicale est interdite. Cela provoque une souffrance populaire grandissante, qui se transforme en révolte et suscite une série d'insurrections, en juillet 1830, en février 1848 et en mai 1871, lors de la Commune de Paris. Or, face à cela la France est divisée en deux camps : le camp monarchiste ou réactionnaire et catholique s'oppose au camp républicain et laïc. Le protestantisme français est républicain dans sa très grande majorité :
« D'une part la révolution de 1789 a permis une réintégration civique des protestants et une relative liberté de culte ; d'autre part l'idéal démocratique et les modes de délibération parlementaire sont en affinité profonde avec les principes et les pratiques du protestantisme. De plus la laïcité est une valeur familière aux protestants puisqu'elle articule la liberté de conscience au refus de toute emprise cléricale sur la vie sociale ; cela explique l'engagement de nombre d'entre eux en faveur des lois instaurant la laïcité. » (Laurent Schlumberger, La fraternité vivons-la ! Le projet global du Foyer de Grenelle, situation et perspectives, 2009)
Il m'arrive souvent, non sans plaisir, d'évoquer la naissance de la Mission Populaire Evangélique avec ce raccourci : Tandis que le pasteur méthodiste Mac All suscite des lieux de rencontre avec les ouvriers de Belleville, à Montmartre on érige la basilique du Sacré-Cœur en vue de l'expiation du péché des communards.
page 44
UN LIEU ENRACINE DANS L'EVANGILE ET RESOLUMENT LAÏQUE
« Résolument laïque et ouvert à tous, le Foyer de Grenelle plonge ses racines dans une inspiration chrétienne protestante... » tels sont les mots utilisés dans le dépliant de présentation du Foyer, qui est largement distribué aux bénévoles, usagers et visiteurs de passage.
[...]
Le projet même du Foyer est de tisser une fraternité avec les personnes croyantes ou non, protestants, catholiques, musulmans, athées, agnostiques, bouddhistes, etc. Mais la Mission Populaire de France en tant que telle affirme clairement que sa principale source d'inspiration est l'Évangile.
page 59
LA FRATERNITE MISE A MAL PAR LA GRANDE PRECARITE
[...]
Une précision au préalable : le portail du Foyer est ouvert chaque jour ou presque de 9 h à 22 h. Le projet est d'accueillir chacun, sans discrimination. Ainsi chaque semaine, mille deux cent personnes en moyenne franchissent le seuil du Foyer, pour des raisons diverses et variées.
Bénévoles engagés dans une activité, demandeurs d'asile, personnes en recherche d'hébergement migrants sollicitant une aide juridique, personnes sans domicile fixe venant pour prendre un petit déjeuner chaud, protestants venus pour un partage biblique, agnostiques en quête spirituelle, associations demandant une salle de réunion, habitants du quartier venant déposer des vêtements, enfants ou ados venant pour l'accompagnement scolaire ou l'accueil de loisirs, personnes jeunes ou âgées isolées et en recherche de liens, familles en situation d'urgence, chercheurs d'emploi, visiteurs de passage...
Cette liste n'est pas exhaustive. Et toutes ces personnes, aussi diverses soient-elles, sont amenées à se côtoyer ou se parler. Les échanges sont variables comme la « météo », tantôt maussades, tantôt chaleureux et cordiaux, tantôt orageux. S'il y a des rencontres qui suscitent l’émerveillement, il y a aussi des frictions et des animosités qui peuvent vite exploser.
page 83
TISSER DE LA CONFIANCE
Confier des responsabilités précises
[...]
B. est aussi accueilli au Foyer depuis longtemps. Il participe en particulier à la préparation du repas du mercredi. Il est bon cuisinier et très efficace dans son travail, mais il accepte mal que les autres ne soient pas aussi motivés et aussi rapides que lui. Alors il exprime, en élevant la voix la même rengaine : « Y en a marre de ces branquignols qui ne foutent rien ! »
Evoquant ces deux situations en équipe, nous en concluons qu'un engagement bénévole peut être l'occasion d'une prise de pouvoir intempestive sur autrui : notre devoir est de toujours repréciser le cadre dans lequel une responsabilité est confiée. Nous constatons ainsi le difficile apprentissage de la responsabilité, où il s'agit à la fois d'exercer un certain pouvoir et de respecter autrui ; l'équilibre exige le temps de la maturation.
page 125
CONCLUSION
Ensemble, retrouver la capacité d'agir
L'une de mes plus grandes découvertes au cours de ces années passées au Foyer de Grenelle est l'importance du collectif pour reprendre espoir. Beaucoup de problèmes en effet nous apparaissent insolubles lorsque nous sommes seuls à les affronter : la recherche d'un emploi, l'accompagnement d'une personne en situation précaire, la maladie, le deuil, la lutte contre le réchauffement climatique - je prends volontairement des exemples d'ordre différent.
En revanche, lorsque nous nous associons à d'autres, des solutions deviennent possibles.
Certes, les recettes-miracle n'existent pas, mais la construction collective qui s'inscrit sur le long terme ouvre des perspectives. « L'union fait la force »... l'adage est bien connu et il est juste. A partir du moment où on accepte de se raconter sous le regard bienveillant des autres, beaucoup de choses deviennent possibles. En effet, la confiance reçue des autres est un puissant levier pour agir, dans notre histoire personnelle comme dans notre histoire collective.
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