Dialogue interreligieux
Croire en Dieu et
prier
Who
or what is God?
1er janvier
2003
Qu'est-ce que Dieu
?
Si on pose cette question à
quelqu'un dans la rue ou dans une
église, on obtient en général une réponse
comme celle-ci : Dieu est un être personnel
et infini qui a créé l'univers. Les fidèles
croient en lui et le prient. Il a le pouvoir d'intervenir comme il
veut dans la vie des hommes et d'exaucer leurs demandes.
C'est pourquoi on prie à l'église pour la paix dans le
monde, pour les victimes des inondations, des tremblements de terre,
des famines, des guerres et de tous les malheurs. On lui demande que
les chefs des nations dirigent leur peuple avec sagesse.
Dans les paroisses anglicanes on prie pour la Reine et la famille
royale et dans les prières personnelles on prie pour
soi-même, pour sa famille et ses amis, et surtout pour ceux qui
en ont particulièrement besoin.
Une telle réponse considère Dieu comme une force
toute-puissante à l'amour infini mais juste et dont le savoir
et la sagesse nous dépassent infiniment. Lorsque nos
prières ne sont pas exaucées, c'est parce que Dieu sait
mieux que nous ce qui est bon, ce qu'il doit faire et ne pas
faire.
Cette conception de Dieu prévaut depuis des siècles en
Occident aussi bien chez les juifs que chez les musulmans, les
chrétiens et les athées. C'est bien ainsi que les gens
croient, s'efforcent de croire ou déclarent ne pas croire.
Un Dieu
personnel
C'est une conception dite
« anthropomorphiste ». C'est-à-dire que Dieu y est
considéré comme une personne. Les hommes sont des
personnes créées, finies et dépendantes ;
Dieu est une personne incréée, infinie,
éternelle et toute-puissante.
Certains théologiens cherchent à éviter un tel
anthropomorphisme en précisant que Dieu n'est pas une
« personne » mais qu'il est « personnel ». Mais cela ne fait guère de différence
car on ne peut concevoir un être personnel qui ne soit pas une
personne. De plus nous ne pouvons concevoir ce qu'est une personne
que dans la mesure où nous en sommes une
nous-même ; Dieu est alors comme nous ou plutôt nous
sommes comme Dieu, des personnes.
Nous laisserons provisoirement de côté la question des
« personne » de la Trinité.
Les miracles
Ce Dieu personnel intervient,
croit-on, dans l'histoire des hommes
en accomplissant des miracles, c'est-à-dire des choses qui ne
seraient pas arrivées autrement ou en empêchant
d'arriver des choses qui se seraient normalement produites. Ces
interventions sont parfois manifestes mais le plus souvent ne sont
discernables qu'aux yeux de la foi.
Lorsqu'on s'adresse à Dieu avec foi on espère qu'il
exaucera notre prière. Les prières de demande
fourmillent dans le culte de l'Église comme dans la
prière individuelle et de nombreux exaucements sont
cités dans la Bible, dans l'histoire de l'Église et
dans les prédications d'aujourd'hui.
On entend fréquemment
présenter comme des interventions miraculeuses
d'avoir réchappé
à un accident de la route dans lequel d'autres passagers ont
péri, la balle mortelle arrêtée par une
médaille qu'un soldat portait autour du cou etc. On vient
d'entendre un Américain, gagnant à la loterie, dire
à la télévision « J'en rends grâce à Dieu et
à Jésus ».
Il est vrai que ces expression
ne désignent pas
forcément une intervention explicitement surnaturelle et ne
signifient souvent qu'une surprise ravie ou un grand soulagement. Il
n'en demeure pas moins que la foi y reconnaît
fréquemment une intervention divine.
Refus d'un tel
Dieu
Nombreux sont nos
contemporains qui choisissent
l'athéisme plutôt qu'une telle conception de Dieu. Dans
le cas de l'accident de la route, par exemple, remercier Dieu d'avoir
miraculeusement sauvé la vie d'un des passagers, implique que
Dieu ait délibérément laissé mourir
l'autre. Et s'il a pu intervenir pour sauver une personne, comment se
fait-il qu'il en laisse périr un si grand nombre, victimes des
désastres naturels ou de l'indifférence humaine.
Un philosophe athée a
écrit : « On nous dit que Dieu nous aime comme un
père aime ses enfants. Et voici qu'un enfant meurt d'un
affreux cancer de la gorge : son véritable père
fait tout pour le soigner mais son Père céleste ne
semble manifester aucun signe
d'attention... » Ce
philosophe a opté pour l'athéisme et combien d'autres
également !
Un Dieu aux interventions
arbitraires, protégeant les
uns et abandonnant à leur souffrance et à leur
misère les autres qui ne sont pas forcément moins
croyants ni moins dignes d'intérêt, est scandaleux et
tout à fait non crédible aux yeux de beaucoup de nos
contemporains, à qui il ne paraît ni bon ni digne de
respect. Sauf, bien entendu, pour le petit nombre des heureux
élus qui ont bénéficié de ses
interventions divines particulières.
On en est au point que, pour éviter ces dérapages, certains
préfèrent ne plus utiliser le mot « Dieu » et parlent plutôt de « Réalité
fondamentale » ou
« ultime ».
.
Denys
l'Aréopagite
Il est intéressant pour notre
propos de nous référer
à un théologien du Ve siècle de
notre ère, probablement un moine syrien, qui a eu une
importance considérable dans l'histoire de la pensée
chrétienne, Denys l'Aréopagite. Thomas d'Aquin,
notamment, le mentionne plus de 1700 fois comme faisant
autorité.
Denys souligne dans son
oeuvre l'« ineffabilité » de Dieu, c'est-à-dire l'impossibilité
de parler objectivement de Dieu. On peut critiquer le terme
d'« ineffabilité » et lui préférer celui de
« transcatégoriel », qui signifie que Dieu se trouve toujours
au-delà des conceptions définies par l'esprit
humain.
Les théologiens ont pratiquement tous affirmé l'
« ineffabilité » ou le « transcatégoriel » de Dieu, mais n'en ont pas toujours tiré les
conséquences logiques. Denys, par contre, met cette notion au
centre de sa réflexion et dit par exemple que « Dieu est
indescriptible »,
« au-delà de toute
connaissance ».
Dieu n'est ni esprit ni
âme, il ne possède pas d'imagination, ni de conviction,
de discours ou de compréhension... On ne peut ni parler de lui
ni le comprendre. On ne peut ni dire qu'il vit ni qu'il est la vie.
Il n'est pas substance, il n'est pas éternité. Il n'est
ni un ni unité, ni divinité ni bonté. Il n'est
ni paternité ni filialité. Il est au-delà de
toute affirmation et de toute négation.
Néanmoins un problème se
pose. Tout en affirmant de
façon radicale l'aspect « transcatégoriel » de Dieu, et en manifestant étonnamment peu
d'intérêt pour les dogmes chrétiens
traditionnels, Denys n'en était pas moins fidèle
à la doctrine de l'Église. Il ne remettait pas en
question le dogme de la Trinité : Dieu est Père,
Fils, saint Esprit et la Seconde personne de la Trinité s'est
incarnée en Jésus-Christ.
Il posait d'ailleurs lui-même la question de savoir comment
l'on peut d'une part affirmer l'absolue impossibilité de
définir et de connaître de Dieu et d'autre part
prétendre définir sa nature en trois personnes.
Comment parler des attributs de
Dieu ? Comment le faire si la Transcendence est au-delà
de toute parole, de toute intelligence et ne peut être atteinte
par l'esprit humain ; si elle inclut et féconde toute
chose en demeurant inaccessible ; si elle échappe
à toute perception, toute imagination, toute opinion, tout
nom, toute parole et toute compréhension ?
Les Noms
divins 593A-B
Denys propose un début de
réponse en disant que Dieu
s'est lui-même révélé dans
l'Écriture. Mais il ajoute que la Bible ne parle de Dieu qu'en
« symboles » (nous dirions aujourd'hui en « métaphores ») :
. La Parole de Dieu s'exprime en images
poétiques. Hiérarchie céleste 137A-B
. La Lumière divine nous fait connaître...
au moyen de comparaisons symboliques 121B
. Ce que l'Écriture nous a
révélé d'une manière symbolique et
élevée 121A
. L'ineffable nous éclaire de sa lumière
transcendante qui élève les regards de tous les
êtres et les conduit à le contempler, à entrer en
communion avec lui et à devenir comme lui Les Noms divins 588C-D
. Dieu utilise les textes bibliques pour élever
nos esprits d'une manière qui convient à notre nature
humaine Hiérarchie
céleste 137B
Denys veut dire que les Écritures nous parlent de Dieu en un
langage mythique dont la vérité n'est pas
littérale mais qui apporte les réponses
appropriées à nos questions fondamentales.
Il s'en tient néanmoins au seul texte bibliques et ne prolonge
pas ses idées au niveau des textes doctrinaux de
l'Église. C'est pourtant ce que le Bouddha avait fait, mille
ans auparavant, en affirmant que les doctrines religieuses ne servent
qu'à aider les fidèles pour leurs progrès
spirituels et qu'elles doivent être ensuite
abandonnées.
Les autres
religions
En son temps, Denys fut un
théologiens extrêmement
original et novateur. Il n'a néanmoins pas abordé
l'importante question de la nature de la présence de Dieu que
l'on peut éprouver dans la prière ou la
méditation : la présence aimante du Père
céleste dont témoignait Jésus, est manifestement
fort différente de l'ineffable Réalité
fondamentale dont parlait Denys.
Les expériences religieuses des uns et des autres sont
fréquemment fort différentes, tant à
l'intérieur de la tradition chrétienne que dans les
autres religions.
Appliquant la Règle
d'or qui interdit de faire aux
autres ce que l'on n'aimerait pas qu'ils nous fassent, nous nous
interdirons de dévaloriser les expériences spirituelles
des autres,
Ce qui implique que les différentes religions se
réfèrent toutes à une même
Réalité ultime et ne sont pas opposées les unes
aux autres. Elles sont toutes nées d'une intense
expérience religieuse comme celle vécue par le Bouddha
lors de son illumination, celle où Jésus reconnut la
présence du Père céleste, celle où
Mohammed entendit l'ange Gabriel lui dicter le Coran, celles des
sages du Véda, des prophètes hébreux ou des
penseurs taoïstes. (lire
sur ce site un article concernant John Hick)
Ces expériences sont toujours
vécues dans les structures
mentales et présentées dans les termes de la religion
de l'époque et du lieu. Ainsi, l'expérience
chrétienne de la présence de Dieu est toujours
centrée sur l'expérience d'un amour infini ; mais
les notions d'éternité, d'omnipotence, d'omniscience,
de création de l'univers, d'infinie bonté et de
Trinité, relèvent d'une élaboration
théologique et non d'une expérience vécue.
L'enseignement que les Évangiles
attribuent à Jésus a
été systématisé après que les
disciples eurent fait l'expérience de sa Résurrection
et notamment lors de l'expansion de l'Église dans les milieux
hellénistique païens. La conception philosophique de Dieu
qui régnait dans ces milieux a entraîné plus tard
l'élaboration de la doctrine de la Trinité et de la
consubstantialité du Père, du Fils et du
Saint-Esprit.
Nous avons finalement hérité d'un enseignement complexe
élaboré théologiquement à partir de la
fusion en une seule doctrine de l'expérience religieuse de
Jésus et de ses disciples en même temps que des
spéculations philosophiques des siècles
suivants.
Toutes les autres grandes
religions ont également connu
un développement analogue, caractérisé
évidemment par les époques différentes, les
peuples et leurs cultures. Chacune a naturellement
développé sa conception spécifique de Dieu et il
n'est pas étonnant que la conception trinitaire du Dieu des
chrétiens diffère de l'Allah des musulmans, de
l'Adonaï du judaïsme rabbinique, des Vishnou et Shiva des
hindous et du Tao impersonnel.
On peut sans doute proposer la
comparaison suivante : De
même que la lumière du soleil est
réfractée dans les différentes couleurs de
l'arc-en-ciel, de même la lumière de l'Ultime
Présence est réfractée dans les
différentes religions du monde.
Roumi, le penseur soufi, disait au Moyen Age :
Les lampes sont
différentes, mais leur lumière, celle qui vient de
l'Au-delà, est la même.
Quant aux différences doctrinales
entre les religions, on peut les
comparer aux divers systèmes de représentation de la
carte du monde. On ne peut figurer exactement la courbure de la Terre
sur la surface plane d'une carte. Les géographes utilisent
plusieurs systèmes, dont chacun a son avantage mais qui ne se
superposent pas. De même, les diverses théologies d'une
même religion ou de religions différentes ont chacune
son avantage mais ne sont pas identiques, car la
Réalité infinie ne peut être parfaitement
pensée par nos esprits humains.
.
Conclusion
Revenons maintenant à la
question qui était à
notre point de départ : la prière et notamment la
prière d'intercession et de demande.
Il est vrai que de telles prières
sont parfois « exaucées ». Mais je ne pense pas que ce soit un Dieu
tout-puissant qui ait bien voulu intervenir miraculeusement pour
accomplir ce que nous lui demandions.
Je crois plutôt que
l'humanité est structurée en un vaste
réseau, auquel nous sommes
tous connectés, de façon plus ou moins inconsciente, et
dans lequel nos pensées et surtout nos émotions, nous
influencent perpétuellement les uns les autres. Notre besoin
naturel d'autonomie personnelle nous préserve des
« intrusions » de nos contemporains. Mais lorsque nous nous
concentrons spécialement sur un individu rendu
particulièrement vulnérable par
l'anxiété, la peur ou la colère, notre
« prière », notre « méditation de
compassion » comme disent
les bouddhistes, peut avoir effectivement sur lui un effet
d'apaisement de son état mental et même de
guérison de son état physique.
C'est ainsi, en tout cas, que je propose
de comprendre la religion et
j'invite tous ceux qui le souhaitent à faire part de leurs
propres hypothèses.
Traduction Gilles
Castelnau
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