Dialogue inter religieux
Les autres
religions
29 juin 2001
Ces dernières
années, trois réponses
ont été apportées à la question des
relations du christianisme avec les autres religions :
l'exclusivisme, l'inclusivisme et le pluralisme. Nous voudrions en
apporter ici une quatrième, l'humanisme.
L'exclusivisme
L'excusivisme est
l'attitude la plus traditionnelle et
la plus orthodoxe ; elle est en particulier fortement
défendue par les fondamentalistes. C'est une pensée qui
se veut enracinée dans la Bible considérée comme
la Parole définitive de Dieu. Certains textes semblent en
effet opposer radicalement le christianisme aux autres religions :
Les dieux qui n'ont pas pas les cieux et la
terre disparaîtront de la terre et de dessous les
cieux Jérémie 10. 11.
Athéniens, je vois que vous êtes
à tous égards extrêmement religieux. J'ai
même trouvé un autel avec cette inscription : A un
Dieu inconnu ! Ce que vous vénérez sans le
connaître c'est ce que je vous annonce Actes 17.
22-23.
Dans les évangiles, la parabole des Brebis et des Boucs, Matthieu 25.
31-46, oppose le Royaume de Dieu et
celui du diable et notamment les hommes qui se rattachaient à
chacun d'eux.
La dernière parole de Jésus dans
l'Évangile de Matthieu dit clairement : « Allez, enseignez toutes les nations...
et enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai
prescrit » Matthieu 28. 19-20.
De plus, l'exclusivisme chrétien est aussi
enraciné dans le dogme de
l'Incarnation qui enseigne que
Jésus n'était pas un simple mortel mais la seconde
personne de la sainte
Trinité, c'est-à-dire
Dieu lui-même incarné sous forme humaine (Jean 1. 1).
La voie de salut qu'il enseignait est donc obligatoirement l'unique
voie de salut. D'autant que Jésus lui-même a
déclaré : « Je suis le chemin, la
vérité et la vie, nul ne vient au Père que par
moi » Jean 14. 6.
L'exclusivisme soulève
cependant des difficultés.
Comment expliquer la grande valeur morale et
l'élévation spirituelle de tant de fidèles des
autres religions ? On ne peut pas affirmer que les
chrétiens soient plus fidèles à Dieu et
meilleurs que les bouddhistes, les hindous ou les musulmans,
particulièrement selon les critères de la parabole des
Brebis et des Boucs. D'ailleurs le complexe de
supériorité chrétien semble bien condamné
par les atrocités commises au nom du Christ par les Croisades,
l'Inquisition et certains missionnaires.
De plus, que penser des autres textes religieux qui
se prétendent eux aussi « révélation » divine du chemin de salut ? Parmi eux tous
lequel est le vrai ? En est-il d'ailleurs un qui ait le monopole
de la Vérité ?
Une autre difficulté est que Jésus ne
semble pas avoir enseigné la doctrine trinitaire et le dogme
de l'Incarnation qui n'ont été formulés que
plusieurs siècles après sa mort. Une étude
attentive des textes évangéliques ne fait pas ressortir
la doctrine de Jésus mourant sur la croix pour les
péchés, mais le montrent plutôt s'élevant
contre les institutions religieuses corrompues et condamné
injustement en leur nom.
L'exclusivisme est loin d'être aussi
évident que certains veulent bien le dire ; il
apparaît, bien au contraire, tout à fait discutable.
L'inclusivisme
L'inclusivisme est l'attitude de ceux
qui sont sensibles à la
promesse de l'amour et la miséricorde de Dieu :
« Le Seigneur use de
patience envers vous, il ne veut pas qu'aucun périsse mais que
tous arrivent à la repentance » 2 Pierre 3.
9. S'il était vrai, disent-ils
que le salut n'est donné qu'en Jésus-Christ par la foi
en l'Évangile que dirait-on d'Abraham et de Moïse, par
exemple, qui ne connaissaient ni Jésus ni l'Évangile et
qui sont pourtant explicitement mentionnés par exemple dans
l'épître aux Hébreux : « C'est par la foi qu'Abraham obéit
à l'appel... c'est par la foi que Moïse, devenu grand,
refusa d'être appelé fils de la fille du
Pharaon » Hb 11. 8 et 24 ?
Cette pensée a été
développée par le théologien catholique Karl
Rahner. Il enseignait que les hommes
ne viennent pas au monde en dehors de l'alliance de Dieu (ce qui
serait exclusiviste) mais sont au contraire englobés,
dès leur naissance, dans son alliance et sa grâce.
Lorsque les hommes écoutent l'Évangile, disait-il, on
ne peut pas dire qu'ils passent des ténèbres à
la lumière, car ils sont déjà dans la
lumière. Les autres religions sont toutes inclues dans le
christianisme ; il est patent que les hommes ressentent
inconsciemment la présence divine et qu'ils la recherchent
naturellement. Ce n'est pas leur religion particulière qui les
sauve, ils sont sauvés parce qu'ils sont religieux.
On peut justement
reprocher à l'inclusivisme d'inclure dans la foi chrétienne et le salut de
Jésus-Christ, et pour ainsi dire en dépit de leur foi
et de leurs doctrines, les fidèles des autres religions. Les
fidèles bouddhistes, hindous ou musulmans ne seront pas
forcément satisfaits de se voir sont considérer comme
des chrétiens anonymes et malgré eux !
D'ailleurs, ne pourraient pas, dès lors,
prétendre à leur tour que les chrétiens sont eux
aussi également des bouddhistes, des hindous et des musulmans
anonymes ?
De plus, est-il acceptable de penser que
l'appartenance religieuse dépend normalement du fait que l'on
serait né en pays chrétien, bouddhiste, hindou ou
musulman ?
Finalement, pour abaisser réellement
les barrières entre les religions, la théologie
inclusiviste demeure trop christocentrique et trop marquée par
le vieux complexe de supériorité
chrétien.
Le
pluralisme
Si l'on accepte, comme les inclusivistes
le font, l'idée que le salut
peut se trouver en dehors du christianisme, ne pourrait-on pas
abandonner vraiment l'idée traditionnelle que le christianisme
est la seule voie de salut et admettre qu'il existe une
multiplicité de chemins ?
Le théologien
« pluraliste »
John
Hick se considère tout
à fait comme chrétien, néanmoins il ne place pas
le christianisme au centre du monde religieux ; il envisage
plutôt que celui-ci a sa place dans la grande ronde des
religions gravitant comme des satellites autour de ce qu'il nomme la
Réalité fondamentale. Celle-ci est au-delà de
toute intelligence, aucune religion ne peut l'atteindre, mais chacune
s'en approche plus ou moins à sa manière.
Christianisme, bouddhisme, hindouisme et islam, bien que fort
différents, participent tous également à la
ronde du salut. En effet ces religions enseignent toutes à ne
pas chercher le salut en soi-même mais en une
Réalité fondamentale. C'est dans ce recentrement
à l'extérieur de soi-même que Hick juge se
trouver la Vérité.
Hick n'enseigne pas que toutes les
religions sont les mêmes, mais
qu'en toutes on peut trouver le salut. Il lui semble, en effet
constater qu'en dépit de leurs grandes différences
doctrinales, tous leurs fidèles portent les mêmes
« fruits
spirituels », preuve
à ses yeux qu'elles gravitent autour de la même
Réalité fondamentale.
On peut faire au pluralisme le même
reproche qu'à l'inclusivisme,
d'englober dans la même Réalité fondamentale les
fidèles des différentes religions,
indépendamment de leur foi en Allah, au Brahman ou au
Christ.
Par ailleurs, Hick prétend que les « fruits
spirituels » qu'il
découvre dans toutes les religions dérivent de la
même Réalité fondamentale, et qu'ils sont
même la preuve de son existence. Comment explique-t-il alors
que les humanistes qui ne croient en aucune Réalité
fondamentale puissent cependant porter eux aussi des fruits
spirituels ?
L'humanisme
J'utilise ce terme dans un sens
très général pour désigner ceux qui estiment qu'aucune
réalité ne se trouve derrière le langage
religieux. C'est l'attitude que les philosophes appellent
« non-réaliste ». Pour les humanistes, le mot « Dieu » ne désigne donc aucun être invisible
demeurant dans les cieux mais un idéal forgé par les
hommes.
Dans cette optique, les religions ne sont pas des institutions
divines transmettant une Vérité absolue ; elles
sont des communautés de foi évoluant dans des contextes
culturels et géographiques variés, et qui
développent, chacune à sa manière, son langage
religieux, ses dogmes et ses rites. Les différences entre
elles ne signifient pas qu'il existe dans le monde des dieux
différents ou qu'un Message de vérité originel
se soit perdu, ou encore que les pensées humaines soient
dévoyées par le péché ; ces
différences proviennent tout naturellement de la
diversité des cultures et elles doivent être toutes
reconnues et respectées.
L'humanisme a l'avantage de proposer une
réponse à l'ancienne
question de la « théodicée » (Si Dieu est bon et tout-puissant, pourquoi y a-t-il
le mal ?). Il répond que le mal ne vient pas de Dieu et
que c'est aux hommes de l'affronter et d'apporter leurs
réponses. Si l'idée de Dieu représente
l'absolutisation de notre idéal humain, c'est nous qui sommes
responsables de ses exigences et de ses promesses. Lorsque la Bible
dit qu'Israël est appelé à être un peuple
saint parce que Yahvé est lui-même saint
(Lévitique 11. 14), cela signifie pour Israël
d'être fidèle à l'exemple que Dieu lui a
donné.
L'humaniste rapproche le christianisme des autres
religions comme le font les inclusiviste et les pluralistes, mais il
va plus loin dans la mesure où il situe tout le monde sur le
même plan. Convaincu que chaque peuple crée librement
son Dieu à sa propre image, il accepte toutes les
diversités, il ne porte aucun jugement de valeur, et ne pense
pas qu'une religion ait plus de valeur qu'une autre.
Le théologien Anthony Freeman écrit dans son ouvrage « Dieu en nous » (God in Us) :
« Si nous croyions
qu'existe "quelque part là-bas" un être surnaturel
appelé Dieu, il serait évidemment essentiel de se
demander quelle religion se rapproche le plus de sa
Vérité. Ce serait elle la seule vraie.
Mais si nous admettons que toutes les religions, et leurs
subdivisions, représentent les développements
simultanés de la recherche humaine et que chacune a
créé son propre Dieu, nous devons les respecter toutes,
avec leurs ressemblances et leurs différences, un peu comme
nous avons appris à apprécier les différentes
cultures et leur art. »
Finalement l'humanisme se rapproche du
pluralisme de Hick dans la mesure où ils affirment tous deux
que toutes les religions sont des lieux de salut dans la mesure
où elles enseignent toutes à sortir de soi pour
chercher le salut en une Réalité fondamentale.
Pourtant le terme de « Réalité
fondamentale » pourrait
gêner les humanistes agnostiques ; il vaudrait
peut-être mieux parler d'une recherche tournée vers
l'Autre, langage qui désignerait Dieu pour les croyants
traditionnels, mais respecterait l'agnosticisme humaniste.
Conclusion
A l'issue de cette brève
présentation des relations
inter religieuses, quelques questions peuvent être
posées :
Aux exclusivistes : D'où savez-vous que Jésus est la
seule voie de salut ? Que vous apprend sur le salut la
parabole « des brebis et
des boucs » ?
Matthieu 25.
31-46 Comment pouvez-vous savoir
quelle Écriture est la Vérité ?
Aux inclusivistes : Quelle est la
destinée éternelle d'une musulman fidèle ?
Que répondez-vous à un Hindou qui pense qu'au fond,
vous êtes hindou sans le savoir ?
Aux pluralistes : Si la Réalité fondamentale se trouve
au-delà de toute intelligence, comment pouvez-vous savoir
qu'elle existe ? Comment faire la différence entre une
religion qui serait réponse à la Réalité
fondamentale et une religion créée par l'homme ?
Aux humanistes : Si les religions ne sont que des créations
humaines, pourquoi existent-t-elle ? S'il n'y a rien
après cette vie, d'où vient votre courage de
vivre ?
Quelle est votre espérance ?
Voir aussi Diana Eck,
Dieu est-il
présent dans les autres religions ?
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