Vivre la puissance dans l’impuissance

Par Pascale Haller-Jahn | 

Témoignage – réflexion

Pascale Haller-Jahn

Ed. Olivétan

84 pages – 15 €

Recension Gilles Castelnau

« Ma grâce te suffit : ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. » (2 Corinthiens 12.9)

A l’âge de 24 ans, Pascale est brusquement devenue paraplégique. Elle a perdu l’usage de ses jambes et d’un bras. Bouleversée, déstabilisée à tous points de vue, elle, si active, découvre l’impuissance. Réduite à une prière jamais exaucée, elle comprend que Dieu se révèle, lui aussi, comme impuissant. C’est alors que, lisant la Bible, elle plonge une nouvelle vie. Elle découvre la puissance spirituelle qui nait dans l’impuissance.

Devenue pasteure, elle exerce son ministère dans son fauteuil roulant en visitant dans les hôpitaux les malades, impuissants eux aussi. Puis se fait superviseure-formatrice pour accompagner les autres visiteurs d’hôpitaux.

En voici quelques passages :

Témoignage

Deuil

Mon espoir de guérison me sustente pendant longtemps, me donnant la force de poursuivre le combat contre le handicap. Cependant, une vérité implacable s’impose à moi… malgré tous mes efforts : je ne vais pas guérir. Cette prise de conscience progressive est comme un étau qui se resserre et m’étrangle. Désespérée, je sombre alors dans la dépression, étouffée par des émotions mortifères. L’idée du suicide germe dans mon esprit, comme issue potentielle à mon insoutenable souffrance. Je ne trouve pourtant pas de moyen efficace et définitif pour y mettre fin. Je m’abîme dès lors dans la tristesse infinie, rongée par le dépit et la résignation face à cet enfer. Chaque jour qui passe me retire un peu plus mon suc vital. La lutte est acharnée pour simplement continuer à avancer. Cette perspective de ne jamais guérir m’entraîne vers une forme de morte lente et douloureuse.

Impuissance divine ?

Puis, un jour, c’est la révélation. Je comprends que la guérison physique n’est probablement pas celle qui me sera la plus nécessaire. Non. Mon besoin serait plutôt celui d’une guérison intérieure… Bien sûr, une certaine déception pointe. Qu’ai-je mal fait ? En dépit de mes prières, de ma foi, rien ne se produit, aucune guérison physique telle que je me l’imagine… Ma foi est-elle insuffisante ? Une lutte âpre se livre à l’intérieur de moi. Une autre guérison ? Une douce voix m’appelle. Je doute. Une brèche se fait. Je m’ouvre à la nouveauté.

Peu à peu, ma vie prend un nouveau sens, une nouvelle direction. Je prends la décision de faire des études de théologie qui m’ouvrent à un monde nouveau. 

[…]

Lorsqu’il est question de m’orienter pour mon ministère futur, je me dirige tout naturellement vers la voie de l’aumônerie hospitalière. Où puis-je donc mieux circuler et interpeller avec mon fauteuil qu’en milieu hospitalier ?

[…]

Cette nouvelle perspective professionnelle et sociale me contraint à laisser apparaître ma vulnérabilité en tant que personne handicapée. C’est une école d’humilité très gratifiante. Je me sens à ma place. Le Dieu impuissant m’a ainsi conduite vers ma propre impuissance pour que je sois apte à accueillir l’impuissance de l’autre… Et c’est avec ce Dieu que je me rends au chevet des patients. Convaincue qu’il n’est pas tout-puissant à résoudre tous les problèmes humains et à guérir toutes les défaillances. Dieu peut ainsi s’incarner dans ma vulnérabilité pour délivrer son message. . . de puissance ? Oui, Dieu peut accueillir l’impuissance humaine pour l’avoir vécue intimement lui-même.

Réflexion

Toute puissance ou impuissance divine ?

Dieu, si nous le nommons ainsi, est-il tout-puissant ? Que signifie cette toute-puissance pour nous ? La verrions-nous semblable à celle d’un automate, prompte à répondre à toutes nos attentes dès que nous poussons le bouton rouge ? Un thaumaturge ?

Et en l’absence de réponse à notre attente, serait-il tout à coup impuissant ? Est-ce seulement concevable ? Le passage de la toute-puissance à l’impuissance peut nous sembler abyssal… Mais alors, à quel saint se vouer ?

La référence au texte biblique auquel notre culture occidentale est rattachée nous livre quelques pistes dans notre réflexion sur l’impuissance.

Impuissance – kénose

Jésus-Christ a laissé advenir son destin qui l’a mené à la mort physique, mais aussi à la mort à soi, jusqu’à renaître à une vie pleine, remplie de sens. L’impuissance à laquelle il a consenti en acceptant de ne pouvoir se sauver lui­ même sur la croix de la mort a épuisé la part divine en lui, pour laisser place à la part pleinement humaine. D’une certaine manière, il est passé du plein au vide… « Dieu est devenu un homme tel que nous ne voudrions pas l’être, un rejeté, un maudit, un crucifié. » Le Christ est déshumanisé à la croix, ce qui nous renvoie à notre déshumanisation dans l’impuissance.

[…]

Laisser advenir, dans une sereine conscience, le temps de l’attente au lieu de l’agir stérile et dérisoire. Quitter le fantasme de la puissance (toute-puissance ?), et croire que dans l’inaction choisie, il y aurait une perspective de vie, d’ouverture … Et peut-être que cette ouverture, ce vide que laisse en nous l’impuissance sera un vide fertile ouvrant à quelque chose de plus grand, d’inédit et d’inouï.

[…]

Notre propre consentement à l’impuissance nous conduit vers une certaine mort à nous-mêmes qui pourra nous ouvrir à une disponibilité pour du neuf. En sortant de l’autocomplaisance, de la victimisation ou du ressentiment généré par la révolte, nous pouvons décider de consentir à l’impuissance, quitter le fantasme de toute-puissance. Moltmann dit encore : « Dieu n’est nulle part plus grand que dans cette humiliation (de la croix) ». Voici un début, une piste à suivre si nous voulons

« apprivoiser » l’impuissance.

[…]

Accepter l’impuissance serait donc une possibilité dans notre pèlerinage vers son apprivoisement. Et tout en prenant la décision d’y consentir, nous sentons quelque chose bouger à l’intérieur de nous, notre être se densifie, une nouvelle ampleur habite le vide. Nous ne sommes plus pareils. Intuitivement, nous sentons que quelque chose peut advenir que nous n’avons pas encore appréhendé, un espace nouveau et peut-être même un horizon…

« Puissance »

Ce qui s’offre à nous est de passer de la recherche de puissance à la puisance. Chercher l’eau au fond du puits. Quelle eau ?

Celle du renoncement volontaire à l’agir. 
Celle de l’attente consentie, patiente.

Celle de l’accueil ouvert de l’impuissance.

L’attitude de puisance serait celle de garder simplement les mains et le cœur ouverts, dans un silence calme, tel Job : « Job répondit au Seigneur et dit : « Je ne fais pas le poids, que te répliquerai-je ? Je mets la main sur ma bouche. J’ai parlé une fois, je ne répondrai plus, deux fois, je n’ajouterai rien. » » Job 40.3-5). Et peut-être que, peu à peu, notre attente se muera en espérance… Pas une espérance naïve du rétablissement intégral à l’état originel, mais une espérance en quelque chose de neuf, d’indéfinissable qui donnera sens à notre impuissance et la transfigurera en force de Vie. 

Conclusion

Pourachever mon propos, je fais le constat suivant : le parcours sinueux de nos vies nous conduit souvent malgré nous dans les méandres obscurs et inquiétants de l’impuissance. Un échec relationnel, un problème professionnel, la mort d’un proche, une maladie, une situation d’injustice ou une contrariété des plus banales sont autant d’occasions de vivre l’impuissance.

Celle-ci nous montre d’abord son visage hostile et anxiogène. Notre réaction première est de la rejeter. Mais elle s’impose à nous… Elle suscite en nous une vague de colère, de peur et peut nous entraîner dans l’immobilité mortifère de la dépression.

Au lieu de céder à la tentation de la passivité victimaire, une autre attitude est possible. Cette posture demande ouverture, patience et inaction. Nous pouvons l’adopter en puisant le renoncement à l’agitation et le consentement calme à ce qui advient dans les eaux souterraines de notre impuissance.

L’eau que nous puisons alors devient eau de Vie. Elle opère une transformation paradoxale. D’un état d’impuissance, nous passons à celui de puissance. Et c’est l’impuissance consentie et assumée qui nous confère la puissance.

Cette expérience donne de la densité à notre vie. Elle nous offre un nouveau regard sur notre condition humaine. Condition à la fois vulnérable et puissante, car traversée d’un courant de vie qui ne fige pas l’être dans la fatalité, mais ouvre à de nouveaux possibles. La présence discrète du Tout Autre l’atteste

Cette transformation laisse jaillir l’espérance pour une existence responsable, plus fluide. Elle dessine un sourire sur nos visages et ranime la confiance en nos cœurs.

Par Pascale Haller-Jahn

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