
professeur honoraire de l’Universitaire de Lausanne
Ed. Cabédita, 200 pages – 18 €
Recension Gilles Castelnau
Le professeur Daniel Marguerat constate que l’intérêt pour les anges augmente considérablement de nos jours alors que la foi en Dieu décroît. Dans un langage clair et souriant il fait le point pour le grand public en présentant les diverses conceptions que l’on trouve dans la Bible et dans les diverses traditions que l’on rencontre en occident.
Les vestiges babyloniens, les chérubins et les séraphins, les anges gardiens, les anges occupés du ciel et ceux qui sont occupés des hommes, Michaël, Gabriel et Raphaël, les anges terrifiants de l’Apocalpypse, les ailes des anges, les anges musiciens et chanteurs, les putti anges enfants, les anges vus par les Pères de l‘Église, les Réformateurs et… le théologien Karl Barth…
En voici des passages :
Si j’ai déjà vu un ange ? Non, pour sûr, je n’en ai jamais vu. Mais si la question est : « Avez-vou déjà été visité par une parole, un souffle, une voix, dans laquelle vous avez identifié un ange ? », ma réponse est positive. Oui, ma vie a été traversée par des rencontres où, après coup, j’ai reconnu, avec trouble et émotion, le passage d’un messager divin.
J’ai donc exploré la sagesse millénaire des témoins bibliques (et j’expliquerai le pourquoi de ce choix) pour comprendre ce qui rend possible, souvent à notre insu, la rencontre de l’ange.
Le retour des anges
Les anges sont de retour. Nous sortons d’une période où le scepticisme avait fait des anges un sujet tabou. Leur cas semblait réglé, sauf dans quelques îlots pieux où l’on cultivait cette dévotion. Et puis, peu à peu, depuis les années 1970, ils sont revenus dans la littérature, au cinéma, en bande dessinée. Les langues se sont déliées, les expériences de rencontres avec les anges se sont multipliées. En 1971 a été publié un Dictionnaire des Anges recensant plus de 4000 êtres angéliques ; il s’est vendu dans le monde à plus d’un million d’exemplaires. En 1993, une enquête sur les anges gardiens a présenté six cent deux pages de témoignages.
Les anges, à coup sûr, sont obstinés.
A quoi reconnaître un ange ?
Abraham et les étrangers de Mamré
À quoi Abraham et Sarah ont-ils reconnu, dans ces visiteurs affamés aux pieds sales, des anges ? Ni à leurs vêtements, ni à des ailes. Ils les ont reconnus anges au message dont ils étaient porteurs, et parce qu’ils ont cru que ce message venait de l’au-delà. L’ange est le porteur de message. Mieux : ce qui fait ange, c’est le message. Rien d’autre ne le distingue, rien d’autre ne motive sa venue, rien d’autre ne le fait ange que la divine nouvelle qu’il transmet.
Après le passage des trois hommes, Abraham et Sarah ont conclu : le souffle de Dieu est parvenu jusqu’à nous.
Trois expériences fondamentales
Deuxième expérience : voir, ou ne pas voir l’ange. Identifier l’ange n’est pas l’affaire de tout le monde. Certains en témoignent, d’autres n’ont rien vu. Ce qui fait la différence, c’est de percevoir la provenance divine du message. Mais – et ce trait se vérifiera abondamment par la suite -, ce n’est qu’après coup que le passage de l’ange est perçu. Ce n’est qu’après son passage que le témoin peut dire (ou pas) : un ange m’a parlé. Pour l’énoncer de façon plus tranchée : l’ange n’existe pas pour tout le monde, il n’existe pas comme une évidence ; il existe dans le regard de celui qui, au-delà des apparences, a capté l’effluve divine. L’ange n’existe que reconnu, accueilli. ,–
Les mille missions de l’ange
La troisième expérience est la multiplicité des missions de l’ange. Le retour moderne des anges les confine dans un rôle bienveillant, compatissant, protecteur. L’ange le plus recherché, le meilleur des anges aujourd’hui, est l’ange gardien. Mais l’ange biblique n’est nullement affecté à ce seul rôle. La gamme étendue de ses fonctions devrait nous préserver de l’enfermer dans une gentillesse un peu lénifiante.
Il y a l’ange lutteur de Jacob (Genèse 32). L’ange guide des Hébreux au désert durant l’Exode (Exode 14). L’ambassadeur de Dieu quand Moïse le rencontre au buisson ardent (Exode 3). L’ange escorteur de Tobias (Tobit 5). L’électeur de Gédéon à la tête des armées d’Israël (Juges 6). L’ange interprète des visions de Zacharie (Zacharie 1-6). L’ange législateur, promulgateur de la Torah (Hébreux 2). L’annonciateur de la naissance de Jésus en Marie (Luc 1). La chorale d’anges chanteurs dans le champ des bergers de Bethléem (Luc 2). L’ange secouriste consolant Jésus à Gethsémané (Luc 22). L’ange rouleur de pierre pour ouvrir le tombeau du Ressuscité (Matthieu 28). L’ange tueur d’Hérode Antipas qui se prend pour un dieu (Actes 12). L’ange complice de l’évasion de Pierre hors de sa prison (Actes 12). L’ange exterminateur du mal et des impies dans l’Apocalypse de Jean. Et tant d’autres encore, au fil des quelque cent vingt mentions de mal’ak dans la Bible hébraïque et des cent soixante-quinze mentions d’aggelos dans le Nouveau Testament.
L’ange biblique peut être à la fois le messager et le gardien, le divin facteur et le bras armé de Dieu, le protecteur des justes contre les méchants, le chantre de la gloire divine, l’ambassadeur du Messie.
D’où viennent les anges ?
Contre l’éloignement de Dieu
Le motif des anges rend ainsi un double service. Face à un Dieu de plus en plus transcendant qui s’éloigne des croyants, l’ange, d’une part, se glisse comme une figure intermédiaire et préserve son accessibilité. Émanation de Dieu, il le représente et transmet sa parole en toute fiabilité. D’autre part, devant des textes anciens jugés choquants ou invraisemblables, l’ange met Dieu à l’abri d’une promiscuité ou de gestes qu’il devient inconvenant de lui prêter. L’ange se profile comme l’exécuteur des basses œuvres, protégeant la sainteté du Dieu transcendant.
[…]
La foi des premiers chrétiens a pour objet central la venue de Jésus le Christ, Fils de Dieu. Avec lui, Dieu s’est fait proche des humains. « Celui qui m’a vu a vu le Père », lit-on dans l’Évangile de Jean (14,9). Cette proximité de Dieu a eu pour effet immédiat l’effacement de la présence des anges dans les Évangiles et les épîtres de Paul. Les anges, on le verra plus tard, n’apparaissent qu’au début (naissance) et à la fin (résurrection) de la vie de Jésus. En d’autres termes : dans le rapport à Dieu, la médiation du Fils a rendu superflue la médiation des anges. Les anges reviendront en nombre dans la fresque de la fin des temps que présente l’Apocalypse de Jean.
Simplement dit : quand Dieu s’éloigne, les anges prennent le relais ; quand il s’approche, les anges se retirent.
[…]
Le retour en 0orce des anges dès les années 1970 va de pair, justement, avec l’effacement des croyances, avec l’essor dela sécularisation, avec la désaffection des Églises. Les références religieuses traditionnelles se sont effacées, et dans ce vide se sont engouffrés les anges.
Accueillir l’inespéré
Acteurs de leur destin
Alors que les humains sont à sont à bout de ressources, l’ange offre une issue. Mais plus encore. Pour Gédéon comme pour Hagar, Sarah ou Jacob, l’inespéré n’est pas magique. Cet avenir inattendu ne se déroule pas sans eux, mais à travers eux. Gédéon, Hagar, Sarah et Jacob deviennent, grâce à l’ange, les agents de leur destin. La promesse angélique n’agit pas à leur place ; elle ne les dépossède pas d’une autorité dont ils ne seraient plus dignes ; elle leur restitue une vie dont ils se croyaient exclus, mais dont ils seront les acteurs : une vie à mettre au monde, une famille à fonder, un peuple à libérer.
Il y a là une constante dans l’intervention de l’ange biblique : il n’offre pas un avenir prêt à être consommé, mais ouvre un chemin imprévu où la personne, arrachée à son impuissance, est rendue maître de son destin.
L’impensable de Pâques
Là où l’on est tenté de se plier devant un horizon fermé ou de se barricader, pour tenir le coup, dans nos certitudes, l’ange invite à croire au sursaut de la vie. Plutôt que se résigner devant le malheur du monde, plutôt que s’en morfondre, ou même clamer l’absence de Dieu, croire à la vie. Une vie qui surplombe même le gouffre de la mort. L’ange est le clin d’œil d’un Dieu inattendu. Mais pour l’accueillir, il faut être disposé à sortir des rails.
Chérubins et séraphins
La cour céleste au Jugement dernier
Non, je l’avais dit dès le départ : chérubins et séraphins ne sont pas des anges, et il importe de ne pas confondre. Contrairement aux anges, ils ne sont pas au service des humains, mais au service de Dieu. Ils ne sont pas les protecteurs des hommes, comme des anges gardiens, mais les protecteurs de la majesté divine, sa garde rapprochée. Ils sont proches de Dieu, tandis que les anges se font proches des hommes. Leur aspect effrayant vise à éloigner les hommes de la sacralité de Dieu, alors que l’ange rapproche Dieu des hommes jusqu’à les toucher.
Le durcissement du monothéisme a ces deux effets : d’une part la grandeur de Dieu est exaltée (ce sont les chérubins et les séraphins), d’autre part Dieu a besoin d’intermédiaires pour communiquer (ce sont les anges). L’ange propose une parole divine. Chérubins et séraphins imposent le respect du Dieu transcendant.
À chacun son rôle.
« Dessine-moi un ange ! »
L’ange musicien
Si les anges tiennent entre leurs mains les instruments des musiciens humains, il faut comprendre que la musique qui retentit en église fait écho à la liturgie céleste. Lorsque la musique s’élève, terre et ciel sont unis dans la louange. Ne dit-on pas que la musique a cette vertu d’entraîner l’humain au-delà de lui-même ? Ce qui est vrai de la musique en général l’est à plus forte raison de la musique liturgique : elle trouve sa correspondance dans la louange céleste, foi d’ange musicien.
L’ange à la porte
On l’a mille fois répété dans ce livre : la Bible ne livre aucune définition, aucune description, aucune théorie sur les anges. Elle nous exhorte simplement, elle nous expose simplement, à être visités. Elle nous invite à ne pas négliger cette part invisible qui fonde notre réalité, à ne pas nous laisser berner par la tonitruance des apparences. Un appel bien plus profond à la vie se trame, auquel nous sommes conviés.
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