Faut-il fêter les 1 700 ans du concile de Nicée (325 après J.-C.) ?
Robert Ageneau, Serge Couderc, Paul Fleuret,
Jacques Musset, Odile Ponton et Philippe Perrin
En cette année 2025, 1700 ans après le concile qui s’est tenu à Nicée en 325 (près de la ville d’Iznic en Turquie) à l’initiative de l’empereur Constantin, le pape Léon XIV et les évêques ont décidé de célébrer cet événement pour eux capital. Car les évêques d’alors y auraient formulé d’une manière intangible la foi officielle des chrétiens, à savoir que Jésus est Dieu, fils unique de Dieu, de même substance que son Père, donc omniscient et tout-puissant. Le pape et les évêques prétendent que la foi chrétienne se définit toujours aujourd’hui dans le même langage qu’en 325. Derrière cet anniversaire ainsi présenté, se cache pourtant en réalité un vrai problème de philosophie et de théologie modernes quant à nos représentations de Jésus et de Dieu.
Comment en est-on arrivé là en 325 ? À cette époque, les représentations de Dieu et de Jésus n’avaient rien d’uniforme. Parmi les différentes Églises répandues dans l’Empire romain, chacune avait son autonomie, exprimant dans la culture grecque du temps sa lecture de « l’événement Jésus ». Lorsque Constantin accorde aux chrétiens les mêmes droits qu’aux autres religions, les Églises se divisent autour de deux représentations de Jésus. Les unes utilisent les quelques références du Nouveau Testament désignant Jésus comme un être divin et affirment en conséquence sa divinité pleine et entière. Les autres, se réclamant de la pensée du prêtre Arius, nient au contraire cette divinisation.
Or, pour l’empereur, soucieux d’ordre social, le phénomène chrétien ne peut pas se présenter sous des visages différents. Il lui faut une profession de foi unique. C’est l’ordre qu’il donne aux évêques en leur prescrivant de s’accorder sur une seule définition de leur foi. Le 23 mai 325, Constantin préside le concile réuni à Nicée. Environ 300 évêques sont là. Nombreux sont les partisans des idées d’Arius, mais les anti-ariens sont majoritaires. Constantin, lui, est acquis aux thèses de ces derniers. Les débats sont houleux. Finalement, l’empereur force tous les évêques à signer la profession de foi élaborée par les anti-ariens, définissant le Christ comme Fils unique de Dieu. Les partisans d’Arius acceptent par peur des représailles, sauf deux. Cette manière politique d’imposer une façon de croire n’apparait-elle pas douteuse ?
Tout est-il réglé et le calme revient-il dans l’Empire ? Que non ! Vont s’ensuivre trois conciles dits œcuméniques. En 381, a lieu le concile de Constantinople I, convoqué par l’empereur Théodose Ier. Le dogme de la Trinité est affermi : la divinité du Christ entraîne celle de l’Esprit-Saint. Le même empereur impose la foi chrétienne à tous les sujets de son empire. En 431, au concile d’Éphèse convoqué par Théodose II, est condamné le patriarche de Constantinople, Nestorius, qui enseignait que Marie n’a donné naissance qu’à un humain indissolublement lié au Logos divin : si les deux natures coexistent en Jésus, elles sont séparées. Marie est déclarée Mère de Dieu. En 451 enfin, au concile de Chalcédoine convoqué par l’empereur Marcien, Jésus est reconnu à la fois Dieu et humain : soit deux natures en l’unité d’une seule personne. Les Églises dites monophysites qui admettent une seule nature du Christ et rejettent ce concile sont pour leur part excommuniées.
Aujourd’hui, répéter les conclusions des conciles de Nicée et de Chalcédoine a-t-il un sens ? Pour nous, la réponse est non. Dans une lecture renouvelée des lettres de Paul de Tarse et des quatre évangiles, le Jésus historique que l’on peut deviner n’a jamais proclamé qu’il était Dieu. Il ne nous est plus possible de faire une lecture littérale des récits de naissance en Matthieu et Luc. Jésus est né comme un humain à part entière. L’affirmation de sa conception par une femme vierge, fécondée par Dieu, relève d’une image symbolique, pour renforcer sa grandeur. Jésus est plutôt à voir comme un prophète, dans la lignée de ceux d’Israël. Mais un prophète qui délivre, au-delà du judaïsme, un message de bonne nouvelle à tous les humains. La figure de Jésus parle à nos contemporains, y compris non chrétiens, par la qualité de son humanité, par sa lutte permanente au péril de sa vie contre l’inhumain sous toutes ses formes. Ce sont ces valeurs qui l’amèneront à la mort par crucifixion.
Pour ce qui est des représentations de Dieu, les nôtres sont bien différentes de celles de Nicée, basées alors sur l’astrophysique de Ptolémée, localisant Dieu au-dessus de la voûte céleste. Depuis Copernic, Kepler, Newton et Galilée, ce Dieu a été chassé des cieux. Un Dieu théiste intervenant dans les affaires humaines, pour mettre fin à une guerre, stopper un cyclone, guérir une maladie… n’est plus soutenable. Le mouvement athée en a fait son cheval de bataille et il a rendu un grand service à l’humanité.
Les nouveaux croyants en Dieu cherchent à parler de lui avec des expressions repensées. Des théologiens comme Bruno Mori, Eugen Drewermann, José Arregi suggèrent des expressions plus ouvertes comme : Dieu, fondement de l’être, source de l’énergie et de l’amour. L’évêque anglican John Shelby Spong, cet autre théologien décédé en 2021, écrit par exemple : « Je ressens Dieu comme la transcendance, la profondeur, la signification fondamentale de la vie. Je crois qu’humanité et divinité ne sont pas séparées. La divinité est la réalité profonde de l’humanité »[1].
Plutôt que les définitions de Nicée et de Chalcédoine, nous préférons honorer Jésus par la belle et stimulante phrase du penseur Stanislas Breton : « Jésus est l’un d’entre nous avec une intensité d’exception ».
Robert Ageneau, Serge Couderc, Paul Fleuret,
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[1]. Être honnête avec Dieu. Lettres à ceux qui cherchent, Karthala, 2020, p. 20. Ce livre contient un choix de lettres sélectionnées et traduites de l’anglais (États-Unis) par Gilles Castelnau.
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