Apprendre le courage

Par

Les moments décisifs de lavie et  de la foi

Ed. Flammarion

Traduit de l’américain

340 pages – 22,50 €

Recension Gilles Castelnau

Voir la fameuse prédication de l’évêque Mariann Budde

Mariann Edgar Budde est évêque épiscopalienne de Washington. Sa notoriété a explosé aux États-Unis et dans le monde entier lorsqu’elle a prononcé son sermon dans le cadre du service national interreligieux à la cathédrale de Washington en présence notamment du Président Trump : avec la simplicité de langage des prédicateurs américains (note pour le traducteur : on ne dit pas « prêcheur » !) elle a proclamé avec sourire et assurance la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu sans discrimination pour tous les hommes et s’est même permis de l’interpeller directement alors qu’il était assis au premier rang de l’assemblée. Il l’a écoutée le visage fermé et a conclu auprès des journalistes présents qu’elle était « méchante » !

Ce livre de Mariann Edgar Budde est un témoignage tranquille et sans prétentions d’une vie de foi et d’un ministère épiscopal fidèle qui nous touche et nous entraîne dans l’engagement chrétien. La profondeur de sa spiritualité se manifeste dans un quotidien qui semble fort banal, alors qu’il touche fréquemment les grands problèmes actuels de l’éthique américaine et, à la lecture, chacun se sent appelé à y participer avec la même simplicité. Vie et pensée ordinaire d’une évêque du 21e siècle américain.

En voici quelques exemples : 

Accepter ce que l’on ne choisit pas

Au terme d’une journée de discussions très animées, l’un des professeurs du séminaire, a voulu savoir ce que je répondrais à ceux qui pensaient à quitter ce pays, étant donné la direction qu’il était en train de prendre.

[…]

J’ai pensé à Dietrich Bonhoeffer, un pasteur et théologien allemand qui a vécu pendant l’ascension politique d’Adolf Hitler. Bien que durant les années 1930 et le début de décennie suivante, la plupart des dirigeants chrétiens allemands se soient alignés sur le mouvement chrétien allemand pronazi (Deutsche Evangelische Kirche), Bonhoeffer a rejoint les rangs d’un groupe de résistants, l’Église confes­ sante (Bekennende Kirche). Quand il s’est rendu en Grande-Bretagne et aux États-Unis pour demander de l’aide aux dirigeants chrétiens des nations alliées, ses amis et ses collègues l’ont instamment prié de rester en exil, mais il a choisi de rentrer en Allemagne. Il explique pourquoi dans une lettre à Reinhold Niebuhr : « Après la guerre, je n’aurai aucun droit de participer à la reconstruction de la vie chrétienne en Allemagne si je ne partage pas les épreuves de ces temps avec mon peuple. » Bonhoeffer savait que sa décision mettait sa vie en péril, et il a effectivement été arrêté en 1943, puis exécuté par la Gestapo le 9 avril 1945. «  Personne n’est l’unique responsable de toutes les injustices et souffrances dans le monde, a-t-il écrit pendant sa détention. Pourtant, nous devons prendre part à la grandeur d’âme du Christ et aux actes responsables qui per­ mettent de s’emparer du moment en toute liberté […] Ce qui reste, c’est un sentier très étroit, parfois à peine visible : prendre chaque jour comme si c’était le dernier et néanmoins le vivre avec foi et responsabilité, comme s’il y avait à nouveau un grand avenir devant nous. » 
J’ai donc répondu à mes collègues : « Nous avons beau vouloir partir, ces temps sont les nôtres. La seule chose que nous puissions faire, c’est décider comment nous allons réagir. »

[…]

Malgré la clarté avec laquelle il ressentait sa vocation et l’acceptation initiale de son sort, en cettedernière nuit, Jésus prie Dieu pour être épargné. Cette scène poignante nous assure de sa pleine humanité : lui aussi connaissait la peur et le désir de vivre. On ne nous dit pas combien de temps Jésus s’est débattu entre sa requête à Dieu et l’acceptation renouvelée de ce qui l’attendait. Nous savons simplement qu’à un moment au cours de cette longue nuit solitaire, Jésus a embrassé son destin pour en faire une offrande d’amour sacrificiel.

Pendant toute la vie de Jésus, et plus particulièrement à sa mort, Dieu a révélé en lui la puissance de ce que Martin Luther King appelait la « souffrance rédemptrice », l’assertion mystique, certes controversée, selon laquelle la souffrance non méritée recèle un pouvoir spirituel qui dépasse nos facultés de compréhension ou notre expérience. Pour les chrétiens, le Christ en croix allait devenir une icône de toutes les détresses humaines, et sa résurrection, une promesse éternelle du fait que la douleur et la mort n’auront pas le dernier mot.

Relever le défi

Début septembre 2021, j’ai été submergée de tristesse. Pour moi, la fin de l’été est souvent une période mélancolique, et, cette année-là, ce sentiment était particulièrement intense. Nous avions dit au revoir à nos enfants, des adultes, et à nos petits-enfants, qui savaient à peine marcher, sans savoir quand nous pourrions les revoir en raison des mesures liées à la pandémie. Je me retrouvais face à la perspective de reprendre mon travail après plusieurs semaines d’interruption ; de nombreuses tâches m’attendaient, mais je n’avais envie d’en accomplir aucune. C’était l’état dépressif le plus abouti dans lequel je m’étais trouvée depuis longtemps, et sombrer encore plus profond me convenait parfaitement.

C’est alors que je me suis souvenue que, ce week­end-là, une voisine organisait ce qu’elle appelait une « brocante gratuite» pour aider des familles d’immigrants très affectées par la pandémie et les fermetures d’entreprises qui s’étaient ensuivies. Me sentant fatiguée, j’ai failli laisser passer l’occasion d’aider. Mais, un soir, j’ai rempli notre voiture d’assiettes, de casseroles et de poêles, de couvertures, de vêtements et de meubles. Le lendemain matin, je me suis rendue à l’endroit où la brocante gratuite avait lieu – un terrain de basket à côté d’un grand complexe immobilier dans un quartier de la ville où je n’avais encore jamais mis les pieds.

À mon arrivée, une dizaine de bénévoles étaient déjà en train de trier la montagne de dons, et le terrain de basket commençait à ressembler au rez-de­ chaussée d’un grand magasin, tandis qu’une queue se formait à l’extérieur. Les enfants, tout excités, pointaient du doigt les vélos et les jouets. Lorsque les portes se sont ouvertes, on avait l’impression d’être le matin de Noël.

Mon travail consistait à escorter les vieilles dames tandis qu’elles faisaient leur choix. L’une d’elles, dont j’ai appris qu’elle souffrait d’un cancer, m’a demandé de lui porter son sac. En passant d’un étal à l’autre, j’ai vu des adolescentes essayer des vestes et se passer des jeans pour trouver la bonne taille. Des petits enfants tenaient des peluches. Des couples emportaient des meubles à leur appartement. J’ai discuté avec les femmes qui avaient organisé l’événement. Elles étaient fatiguées mais gratifiées, et commençaient déjà à élaborer des projets pour la fois suivante.

De même que ma présence à la brocante, les objets que j’ai donnés ce jour-là ne représentaient qu’une aide modeste, mais j’ai reçu en échange un cadeau d’une valeur inestimable. Le simple fait de me retrouver dans une communauté qui mettait en pratique l’amour m’a extirpée de ma tristesse handicapante pour m’emporter vers un espace de gratitude. À la fin de la journée, j’étais toujours la même personne, avec les mêmes problèmes, mais me joindre à cet acte de bon voisinage m’a permis, pendant un moment, de m’en libérer. C’était un rappel plein de grâce de la présence de Dieu, qui voit toutes mes failles et qui ne réagit ni en simplifiant ni en cautionnant, mais en m’invitant à sortir de moi-même pour accomplir une tâche qui a de la valeur. Chaque fois que cela se produit, tout comme Jacob, j’éprouve de la reconnaissance envers la volonté de Dieu de passer au-delà de mes imperfections. Il ne s’agit pas d’être assez bon pour Dieu ou pour quiconque, mais de répondre aux appels quand ils nous parviennent.

L’inévitable désillusion

Un exemple anodin tiré de ma propre vie me vient souvent à l’esprit quand j’ai besoin de me rappeler ce que tenir bon signifie dans l’état émotionnel souvent fragile qui nous attend de l’autre côté du courage.

[…]

 Cependant, j’étais vraiment coincée. Je suis allée nager à la piscine municipale avec ce dilemme à l’esprit. Tandis que je faisais mes longueurs, la clarté a fini par arriver, telle l’ampoule proverbiale pour laquelle j’avais prié. J’étais certaine que la meilleure décision était de demeurer sur le campus, de me concentrer sur l’essentiel et de profiter des dernières semaines du séminaire. Le soulagement m’a remplie d’énergie, et j’ai fini ma séance de natation avec force et confiance. Mais, dès que je suis sortie de l’eau et que j’ai commencé à m’essuyer, tous mes doutes sont revenus, supplantant la confiance que j’avais ressentie quelques minutes auparavant. La désillusion était si soudaine que j’ai éclaté de rire. Puis j’ai pris conscience que je pouvais soit faire confiance à ce que j’avais ressenti dans le bassin, soit à la vague de doute qui s’était ensuivie. Dans ce qui m’a paru être un acte de foi, j’ai choisi de suivre la voie que j’avais entrevue quand je me baignais. 

Épilogue

Je prie pour que, par la grâce, nous ayons tous l’audace de nous appuyer sur la sagesse, la force, le pouvoir et la grâce qui nous sont accordés chaque fois que nous vivons un moment décisif. Puissions-nous oser croire que nous serons où nous sommes censés être quand ce moment viendra, que nous ferons le travail que nous avons à faire en étant pleinement présents dans nos vies. Car c’est dans ce travail que nous pouvons apprendre le courage.

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