Journée du christianisme social, samedi 11 octobre 2025 à l’Institut Protestant de Théologie
Je vais vous parler de l’Intelligence artificielle à travers son histoire.
J’aimerais la démystifier et vous convaincre, en quelques lignes, qu’elle est le contraire de l’intelligence.
- La paresse, moteur du progrès
L’homme est paresseux !
Depuis la nuit des temps, il fait travailler les autres pour des activités qu’il estime embêtantes, fatigantes ou dangereuses. Il a ainsi exploité des esclaves, sa femme ou divers animaux pour tirer la charrue à sa place.
Puis il a inventé le moulin, pour moudre le blé.
Cette situation a duré très longtemps… jusqu’au XVIIIe siècle où apparaît (enfin !) la machine à vapeur.
Sur une idée initiale de Denis Papin, James Watt finalise en 1776 cet engin extraordinaire qui transforme la chaleur en énergie mécanique.
Le moteur électrique, puis le moteur à essence arrivent un peu plus tard.
Grâce à ces inventions, une multitude de machines se développent dans les usines, les chantiers et les transports :
locomotives, automobiles, tracteurs, grues, avions, hélicoptères, et jusqu’aux trottinettes électriques d’aujourd’hui.
Tous ces progrès ont entraîné la révolution industrielle du XIXe siècle.
Et je passe très vite à la Seconde Guerre mondiale.
En 1943, la guerre fait rage. Comme en 1914, les artilleurs ont besoin de tables de tir, qui permettent d’orienter convenablement le canon pour atteindre la cible.
Aux États-Unis comme ailleurs, des kyrielles d’opérateurs, essentiellement des femmes, effectuent des calculs fastidieux : additions, divisions, sinus et cosinus, tout cela à la main… ou plutôt… à la tête.
Un physicien qui passait par là, John Mauchly, se désole de cette situation et décide alors d’inventer un appareil capable d’effectuer ces opérations.
Ses recherches conduisent au premier ordinateur électronique programmable, et à la naissance d’un rêve.
- L’ordinateur, naissance d’un rêve
ENIAC, c’est son nom, voit le jour en 1945.
C’est un monstre. Il occupe 140 m2 et pèse 30 tonnes. Il consomme 150 kW et comporte 17 000 tubes à vide (ces lampes qu’utilisaient les TSF de nos grands-parents).
Malgré des pannes très fréquentes, il effectue 5 000 additions par seconde, plus qu’un humain en une journée.

La communauté scientifique est enthousiaste. Cette machine effectue non pas un travail physique, mécanique, mais des opérations mathématiques abstraites, réalisées jusque-là par le cerveau humain.
Ce succès réveille les vieux mythes, du Golem à Frankenstein, dans lesquels l’homme façonne une créature qui lui ressemble.
Les circuits d’ENIAC réalisent des opérations logiques. Ils pourront certainement faire bientôt d’autres opérations réservées au cerveau : comprendre le langage, reconnaître des images, jouer aux échecs, réfléchir donc, penser, avoir peut-être des émotions, des sentiments… et, pourquoi pas, une conscience !
Un homme a beaucoup contribué à développer ce fantasme.
Alan Turing, mathématicien britannique, pensait que l’intelligence des machines dépasserait celle de l’homme en quelques années.
Il se trompait !
Pour évaluer l’intelligence, il propose un « test » :
Quelqu’un discute avec une machine cachée derrière un rideau. S’il n’est pas capable de discerner s’il s’agit d’une machine ou d’un humain, alors la machine est intelligente.
En 1956 (conférence de Dartmouth) est créé le terme « Intelligence artificielle » pour désigner ce domaine des sciences qui s’intéresse aux capacités intellectuelles des ordinateurs.
Dès 1943, des chercheurs ont eu l’idée d’imiter le cerveau humain avec des neurones artificiels. La première réalisation pratique d’un « réseau neuronal » date de 1957.
Dans notre cerveau, 100 milliards de neurones (à peu près) sont interconnectés.
Chaque neurone reçoit des signaux de ses voisins ; il combine ces informations et envoie à son tour un signal vers d’autres neurones.
Les « réseaux neuronaux » artificiels fonctionnent selon un principe analogue.
Leur réalisation matérielle passe par l’informatique.
Ils restent bien moins performants que leur modèle biologique.
On les entraîne à reconnaître les chats sur des photos… ou les taches suspectes sur des radios de poumons.
Mais les créateurs eux-mêmes ne savent pas réellement ce qui se passe au cœur de ces systèmes ! …
En 1968 sort le film « 2001, l’odyssée de l’espace ».
On y voit un vaisseau spatial gouverné par un ordinateur appelé HAL. C’est lui qui s’occupe de tout : la navigation, les communications, il joue aux échecs, et vérifie le bon fonctionnement du matériel…
Il parle, il voit, il entend et il comprend tout.
Il annonce un jour qu’un appareil va bientôt tomber en panne. Mais l’équipage ne trouve aucune défaillance dans cet appareil. La confiance dans l’ordinateur se dégrade, et l’équipage décide de le débrancher.
L’un d’eux va déconnecter les circuits de l’ordinateur.
HAL lui fait une longue prière :
« Arrête, ne fais pas ça, tu vas mettre notre mission en péril ! ».
Et HAL finit par s’éteindre en disant : « J’ai peur ! ».
Il pense, il a des émotions et certainement une conscience…
Voici enfin la machine qui concrétise le rêve chimérique de certains chercheurs.
Mais… c’est du cinéma !
Cette machine fantasmée qui imite le comportement humain jusqu’à devenir folle, qui a une conscience et peur de la mort, reste, encore de nos jours, du domaine de la fiction.
Après 1970 se lève un « hiver de l’Intelligence artificielle ». Malgré l’arrivée des « systèmes experts », les résultats se font attendre et les financements se réduisent.
- Internet
Avec l’apparition d’Internet vers 1990, l’accumulation phénoménale de chiffres, de textes et d’images appelée « big data » fait redémarrer la recherche sur les programmes d’Intelligence artificielle à partir de 2000.
D’une part cela permet d’alimenter le difficile apprentissage des réseaux neuronaux.
D’autre part, si on trouve des corrélations entre divers paramètres du « big data », cela peut être l’indice d’une relation de cause à effet et donc un espoir de découvrir des lois nouvelles,
Et on en trouve !… Des corrélations, pas des lois nouvelles…
Corrélation n’est pas causalité !
Le plus souvent, deux paramètres corrélés n’ont aucune relation causale entre eux.

La production d’électricité du Japon comparée à la distance entre Uranus et la Terre montre une excellente corrélation.
Mais il est bien évident qu’il n’y a là aucune relation causale.
Cette corrélation n’a aucun sens, et donc aucun intérêt.
Aucune corrélation due au hasard n’a jamais fait avancer la science.
Il arrive quand même que, grâce aux statistiques, des programmes d’Intelligence artificielle prévoient certaines évolutions, mais avec des erreurs parfois importantes, et sans que cela permette de comprendre leur cause.
L’avantage des programmes d’Intelligence artificielle est qu’ils sont très rapides.
ENIAC était déjà beaucoup plus rapide que l’homme.
Aujourd’hui, un programme d’Intelligence artificielle peut analyser des millions de données avant même que son opérateur ait le temps de terminer son café.
Mais l’Intelligence artificielle a aussi des inconvénients ;
– Elle exige des investissements financiers exorbitants ;
– Elle est un gouffre énergétique abyssal dans les « data center » qu’elle utilise ;
– Elle consomme des quantités d’eau effarantes pour son refroidissement ;
– Elle se trompe assez facilement, puisqu’elle travaille statistiquement ;
– Elle n’a aucun bon sens
et elle peut donner avec sérieux des résultats manifestement faux ;
– Elle n’a aucune créativité et aucun sens de l’humour ;
– Enfin, et surtout, l’Intelligence artificielle n’a aucune intelligence.
- Intelligence ?
Pour ceux d’entre vous qui n’ont jamais rien compris aux sciences, j’aimerais démystifier le fonctionnement des ordinateurs.
Un ordinateur exécute un programme qui suit un algorithme.
Derrière ce mot se cache un processus élémentaire très banal.
Un algorithme est tout bêtement une recette.
C’est une suite d’instructions qui décrit dans les moindres détails comment procéder pour arriver à un résultat désiré.
Voici une recette de cuisine :
Mélangez 50 g de beurre avec 200 g de farine et 100 g de sucre. Ajoutez deux jaunes d’œuf. Mélangez. Faites cuire au four 25 minutes à 180°.
Et voici un algorithme informatique :
Additionnez ces deux nombres. Multipliez par 60 et calculez la racine carrée. Cherchez le logarithme, ajoutez 1 et divisez par 5.
Il s’agit dans les deux cas d’évacuer la pensée pendant le processus, ce qui rend son déroulement automatique et donc exécutable par un enfant de quatre ans…
… ou par un ordinateur.
L’algorithme est imaginé par un programmeur, en général intelligent.
Celui-ci écrit ensuite un programme, qui est la traduction de l’algorithme en langage compréhensible par l’ordinateur.
En fin de compte, l’ordinateur ne fait que suivre la recette de cuisine, sans initiative, sans intention, sans état d’âme, et surtout sans aucune intelligence.
Aucun ordinateur n’a jamais compris ce qu’il faisait !
Voici pour terminer une histoire vraie qui illustre l’abîme qui sépare l’intelligence humaine des programmes d’Intelligence artificielle.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les avions britanniques revenaient de mission criblés de balles, à tel point que des pilotes se sont posé la question d’un éventuel blindage de ces appareils.
Ils ont demandé à un mathématicien d’examiner la répartition des impacts, et d’en tirer une conclusion raisonnable.
Le mathématicien a constaté que ces impacts étaient assez uniformément répartis, sauf sur les moteurs qui étaient curieusement beaucoup moins touchés que le reste.
Et il a conclu bizarrement :
« Blindez les moteurs d’abord ! ».
Devant l’étonnement général, il a ensuite expliqué :
« Il n’y a aucune raison pour que les moteurs ne soient pas atteints autant que le reste de l’avion. S’il y a moins d’impacts sur les moteurs, c’est parce que les avions dont le moteur a été touché ne sont pas revenus. Ce sont eux qu’il faut protéger ».
Cette réflexion (intelligente) est hors d’atteinte d’un programme d’Intelligence artificielle qui, avec les mêmes données, aurait à coup sûr répondu :
« Blindez les ailes, qui sont plus souvent touchées ».
Gaver les programmes d’Intelligence artificielle avec des milliards d’octets de données ne suffit pas pour obtenir un résultat rationnel et satisfaisant.
Pour analyser et comprendre les phénomènes, il faut aussi une réelle intelligence.
Je ne sais toujours pas vraiment ce qu’est l’Intelligence artificielle.
Et je ne sais pas vraiment non plus ce qu’est l’intelligence.
Mais je suis persuadé que l’Intelligence artificielle est le contraire de l’intelligence.
Le terme « Intelligence Artificielle » est une escroquerie manifeste et scandaleuse.
Ce qu’il désigne est un domaine scientifique très complexe, à l’intersection de l’informatique et des mathématiques, réservé à des spécialistes.
Aucun d’entre nous ne serait capable de concevoir une voiture autonome ou un programme comme ChatGPT.
Mais le coût… énergétique, écologique et financier de l’Intelligence artificielle est si démesuré qu’il appartient à chacun d’entre nous de surveiller ceux qui la produisent et de leur demander des comptes.
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