Militant ou martyr ?

Laure Salamon, journaliste à la rédaction de l’hebdomadaire protestant Réforme et remarque de Gilles Castelnau

Laure Salamon 

Si la majorité des évangéliques américains sont touchés par le meurtre de Charlie Kirk, d’autres voix se font entendre. 

 Les réactions varient au sein de la nébuleuse complexe du monde évangélique. 

« Certains évangéliques l’érigent en martyrestime André Gagné, professeur
au département de théologie de l’université Concordia à Montréal (Canada) et auteur de Ces évangéliques derrière Trump (Labor et Fides, 2020). « Il suffit de voir son pasteur Luke Barnett dire qu’il est mort pour sa foi et non pour ses idées politiques, ou la vidéo réalisée avec l’intelligence artificielle où Kirk est représenté aux côtés des apôtres Pierre, Paul, André et du diacre Étienne, tous martyrs de la foi. Dans une audition, Troy Nehls, représentant du Texas au Congrès américain, le présente même comme le treizième apôtre. Il cite en exemple son courage pour dire la vérité de l’Évangile. Pour nombres d’évangéliques américains, il ne fait pas de doute qu’il a été tué en raison de sa foi. Et la récupération de son assassinat permet de continuer à les galvaniser au service d’un projet politique. »Ceux qui l’érigent en martyr et le comparent
à Moïse sont des évangéliques convaincus par la politique de Trump. 

Pourtant, d’autres voix se font entendre. Comme l’explique André Gagné, des pasteurs se sont insurgés contre
le deux poids, deux mesures. Entre l’assassinat de Kirk avec hommage national et drapeaux
en berne, et celui de Melissa Hortman, 55 ans, ancienne présidente de la Chambre des représentants du Minnesota, et de son époux
à leur domicile en juin 2025, il y a une différence de traitement. « Certains évangéliques déplorent la mort de Kirk et soulignent le fait inacceptable de la violence, mais ils réfutent l’idée d’en faire un martyr », précise André Gagné. Quelques-uns vont même – comme Howard John Wesley, pasteur de l’église baptiste d’Alfred Street à Washington – jusqu’à dénoncer la compassion qu’on peut éprouver pour lui : « Charlie Kirk ne mérite pas d’être assassiné. Je suis bouleversé de voir les drapeaux américains en berne, appelant la nation à honorer et à vénérer un homme qui était un raciste invétéré et qui a passé toute sa vie à semer la division et la haine dans ce pays. […] La façon dont vous mourez ne rachète pas la façon dont vous avez vécu. » 

Entre ces deux positions, une petite part des évangéliques n’est ni dans un camp ni dans un autre. « Des évangéliques ont aussi voté pour Trump mais plutôt par défaut et sont moins enthousiastes, ils ne voient pas dans ce drameun événement majeur pour l’actualité de l’Église, mais plutôt un militant politique assassiné pour ses positions politiques », témoigne Matthieu Sanders, pasteur d’une église baptiste à Paris. Tant pour André Gagné que pour Matthieu Sanders, la mort de Kirk va galvaniser la foi des chrétiens évangéliques pro-Trump et polariser l’Amérique davantage encore. 

RENCONTRE : Le professeur André Gagné participera à une rencontre à la librairie L’Esprit et la Plume (47 rue de Clichy, Paris 9e), en partenariat avec Réforme, le 8 octobre à 19 h 30.

Remarque de Gilles Castelnau

Ce dualisme du monde évangélique américain, clairement présenté par l’article de Laure Salamon, me semble typique d’un mouvement plus large que l’on constate désormais en Europe. Les Églises protestantes et l’Église catholique – mais sans doute aussi le judaïsme, l’islam et évidemment la pensée laïque – sont partagées en ces deux tendances que décrit si bien le professeur André Gagné et qui caractérisent la spiritualité des fidèles bien mieux que les appellations de leurs dénominations.

La tendance « trumpiste », mentionnée ci-dessus dans l’article de Laure Salamon, se veut totalitaire, autoritaire, dictatoriale. Elle cherche à imposer des conceptions et des attitudes conservatrices sur les plans doctrinal et éthique. Elle se pense dictées par un élan collectif et unitaire, obligatoire, juste et bon pour l’ensemble de la société telles que les envisage un grand leader providentiel et garant de la vérité.

La tendance libérale, démocratique, issue des Droits de l’Homme, de la libre réflexion, des décisions individuelles est animée par le dynamisme créateur personnel.

La première est visible, notamment dans les mouvements évangéliques conservateurs, les milieux piétistes protestants comme les Attestants, attachés à une fidélité biblique radicale, les dirigeants catholiques actuels, petit nombre de fidèles tenant en main l’institution ecclésiastique et se montrant lors de la messe dominicale ou à l’occasion par des manifestations collectives comme le pèlerinage de Chartres ou les Journées mondiales de la Jeunesse.

La seconde se rencontre dans les nombreux mouvements catholiques que sont par exemple « Nous sommes aussi l’Église », les réseaux du Parvis, Golias,  l’association Marcel Légaut et la grande majorité que sont désormais les « catholique croyants mais non pratiquants ». Elle est aussi dans le mouvement protestant libéral et certains évangéliques se déclarant eux aussi « non pratiquants ».

L’appartenance à l’une ou à l’autre de ces tendances révèle bien plus la proximité ou l’éloignement les fidèles les uns des autres que l’inscription dans une « religion » officielle.

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