Liturgie et christianisme social

Par

L’exemple du pasteur et théologien Wilfred Monod (1867-1943)

Communication donnée à l’Institut de Théologie Orthodoxe (ITO) le vendredi 4 juillet dans le cadre du colloque liturgique annuel, œcuménique et international

Introduction

Le mouvement français du Christianisme social a été créé en 1888 par l’économiste Charles Gide (oncle d’André Gide) et le pasteur Tommy Fallot (1844-1904), auteur, en 1896, d’un livre emblématique pour la naissance des questions sociales en protestantisme français Qu’est-ce qu’une ÉglisTommy Fallot, auquel le pasteur Marc Bœgner (1881-1970) a consacré sa thèse de doctorat en théologie, parlait alors plutôt de « Christianisme pratique ». Cet ouvrage est souvent considéré aujourd’hui comme inaugural dans le cadre de ce mouvement en France. Deux pionniers, plus particulièrement, suivront ces deux initiateurs, à savoir les pasteurs Élie Gounelle (1865-1950) et Wilfred Monod (1867-1943). 

On ne saurait isoler ces figures protestantes du Christianisme social français de quelques témoins à l’étranger comme, par exemple, les pasteurs Léonard Ragaz (1868-1945) et Hermann Kutter (1863-1931) en Suisse, Christophe Blumhardt (1842-1919) en Allemagne. Une mention spéciale doit être faite pour ce pays du célèbre historien des origines du christianisme, auteur en 1900 du retentissant ouvrage intitulé L’essence du christianisme, Adolf Harnack, qui de 1902 à 1911 a présidé le Congrès Évangélique social (équivalent de notre mouvement du Christianisme social) et à la fondation duquel il a participé en 1890. En Angleterre, on peut aussi rappeler la figure de William Temple (1881-1944), archevêque de Canterbury en 1942, artisan majeur de l’œcuménisme ET d’un christianisme social. Je mentionne également Walter Rauschenbusch (1861-1918) aux États-Unis. Ce théologien américain a profondément marqué l’étudiant Martin Luther King (1929-1968) avec un ouvrage de 1907 intitulé Le christianisme et la crise sociale. Rauschenbusch fut le promoteur de ce que l’on a appelé « L’Évangile social ». 

Comme on le voit, tous ces théologiens protestants sont à situer au tournant du 19e et du 20e siècle. Mais ce qui me semble le plus important à noter d’emblée, c’est que (sauf avec Harnack, évangélique/evangelisch voulant dire en allemand protestant), on n’a pas appelé le mouvement dont il est question ici le « protestantisme » social, mais bien le « christianisme » social, cela dans une perspective qui se voulait non pas celle d’un protestantisme annexant les autres confessions chrétiennes, mais bien dans une volonté et un souci d’ouverture franchement œcuméniques. En effet, on a pensé, et cela dès l’aurore d’un christianisme social, que là où les doctrines et les cultes séparent, voire opposent, les actions d’ordre social peuvent, elles, rassembler les témoins de différentes confessions et même de différentes religions, sans oublier des agnostiques luttant pour un humanisme athée. À bien des égards, le combat pour un christianisme social et celui pour l’œcuménisme furent et voulurent être un seul et même combat 1

Éléments biographiques

Wilfred Monod est né à Paris le 24 novembre 1867. Son père est pasteur méthodiste. Wilfred Monod fait des études de philosophie à la Sorbonne, de théologie à Montauban, dont la faculté de théologie sera transférée en 1919 à Montpellier, ville universitaire. De 1891 à 1892, il suit à Berlin les cours de Harnack. Il sera pasteur à Condé-sur-Noireau (1892-1898) dans le Calvados. Monod découvre là la très dure condition ouvrière, un prolétariat misérable et les ravages de l’alcoolisme. Monod sera désormais abstinent. Ce contexte va l’ancrer dans un christianisme social auquel il sera fidèle toute sa vie. Il va jouer à Condé-sur-Noireau un rôle actif, celui de médiateur, à l’occasion d’une grève industrielle. De 1898 à 1907, il est pasteur à Rouen. Il publie en 1901 sa thèse de doctorat en théologie soutenue à Paris et consacrée au Royaume de Dieu sous le titre de L’espérance chrétienne. Le thème du Royaume de Dieu, très englobant, est la référence privilégiée du christianise social et il constitue une dominante dans la pensée des théologiens cités dans l’introduction de la présente communication. De 1907 à 1938, Monod est pasteur dans la paroisse de l’Oratoire du Louvre à Paris. Il sera nommé en 1909 à la chaire de théologie pratique de la Faculté libre de théologie protestante de Paris. 

Le 12 août 1915, Monod s’inscrit au Parti socialiste, pour l’anniversaire de l’assassinat de Jaurès et en hommage à sa mémoire. C’est en 1915, également, que Karl Barth adhère au Parti social-démocrate. Notons qu’en 1915, le Parti socialiste en France est le seul parti de gauche représentant la classe ouvrière ; le Parti communiste ne sera fondé qu’en 1920. 

Une date importante dans la vie de Wilfred Monod doit encore être mentionnée ici : celle de la Conférence œcuménique, conférence chrétienne universelle « vie et Action » (« Life and Work »), réunie à Stockholm du 19 au 29 août 1925. Monod y prit une part très active, comme son collègue le pasteur Élie Gounelle. Le principal responsable de cette conférence fut l’archevêque luthérien d’Upsala Nathan Söderblom, prix Nobel de la paix en 1930. Elle couronnait véritablement pour Monod, avec sa dimension internationale et œcuménique, des années de combat pour un christianisme social. Il connaîtra et reconnaîtra avec elle une des plus grandes joies de toute sa carrière. Il convient de citer ici, comme participant important, le nom de l’archevêque orthodoxe Germanos de Grèce 2. La charité active permit ainsi, selon Monod, de réunir le clergé de l’Église orthodoxe et celui de l’Église protestante, et cela dans le cadre d’un christianisme pratique et non pas sur le terrain dogmatique ou ecclésiastique. À la profonde tristesse de Wilfred Monod, les catholiques romains furent absents de cette assemblée. 

Monod meurt le 2 mai 1943. Ses manuscrits inédits ou non, dont ses cours de théologie pratique, sont déposés à la Bibliothèque de la Société de l’Histoire du protestantisme français, 54 rue des Saints-Pères à Paris. Ils constituent là un important Fonds Wilfred Monod de plus de 80 cartons. L’œuvre de Monod comporte une soixantaine de livres dont plus de 30 sermonnaires correspondent à environ 400 prédications publiées. Le fait que Monod ait été pasteur et professeur de théologie pratique (dont la liturgique et l’homilétique sont des matières capitales) offre un champ très vaste pour notre étude centrée précisément sur la liturgie et le christianisme social.  

Un christianisme toujours à la fois spirituel et social

En 1933, en chaire de l’Oratoire, W. Monod déclare : « Vouloir confiner l’Église dans la liturgie, le rite, la piété individualiste ou l’émotion mystique, c’est l’hérésie par excellence, l’hérésie païenne. » (Trois fois le jour, « Trois prières », Paris Fischbacher, 1933, p.8)3. Le caractère trop social et insuffisamment religieux, aux yeux de certains, de ses prédications va susciter des protestations. La foi, la prière, la piété, la vie spirituelle, par exemple, ne suffisent-elles pas à alimenter la prédication ?  Pourquoi dépasser les limites du sanctuaire et y laisser entrer ce qu’on appelle la question sociale ? Pourquoi laisser les bruits du dehors, ceux de la cité et de la société, pénétrer dans le sanctuaire ? Pourquoi cette place donnée à la société dans la liturgie ? Pour Monod, les fenêtres du presbytère, comme celles du sanctuaire, ouvrent sur le ciel et sur la terre. Il va inlassablement défendre un christianisme toujours à la fois spirituel et social ; et vouloir ainsi promouvoir ce qu’il appelle un Évangile intégral

C’est très souvent avec des dualités significatives que Monod présente les fondements bibliques et théologiques de son christianisme spirituel et social. Nous pouvons retenir principalement deux de ces dualités à savoir « Père » – « Frères » et « Notre Père » – « Notre pain ».

En ce qui concerne la dualité Père-Frères, Monod estime que c’est parce que certains ont prêché la paternité de Dieu en oubliant la fraternité des hommes que certains athées, par exemple, ont proclamé la fraternité en rejetant la paternité de Dieu. Ainsi croire à un Dieu Père sans vivre la fraternité, ce ne pas véritablement y croire.  Reconnaître notre condition d’enfants de Dieu est certes une démarche fondamentale et personnelle, une grande vérité de notre foi, mais notre filialité ne doit pas conduire à une attitude individualiste et stérile où le je ne suscite pas un nous. C’est le christianisme spirituel qui appelle ainsi un christianisme pratique. 

Les premières demandes de l’oraison dominicale nous tournent vers Dieu (« Notre père » qui es aux cieux) et les dernières vers les hommes (« notre pain » quotidien). Or, pour Monod, la piété et la pensée chrétiennes ont tout fait, à travers les âges, pour désincarner ce pain, pour y voir l’expression de nourritures purement spirituelles. Dans un recueil de sermons datant de 1902 et intitulé de manière significative Sur la terre, Monod rappelle que nous n’avons pas à être plus spirituels que Jésus-Christ. On attendait peut-être plutôt d’un pasteur qu’il publiât un sermonnaire dont le titre serait alors Vers le ciel. Mais l’oraison dominicale unit un christianisme spirituel et un christianisme social. Jésus a bel et bien multiplié des pains et non pas seulement une nourriture spirituelle. Il convient de signaler ici qu’en 1911, dans le cadre de sa paroisse de l’Oratoire du Louvre, Wilfred Monod a créé en plein quartier des Halles, alors pauvre et déshérité, un centre social appelé La Clairière. Cette entreprise, alors d’avant-garde, existe toujours aujourd’hui. Elle a même connu un développement important et compte 6 salarié(e)s et de nombreux bénévoles. Il convient encore de signaler le fait significatif suivant : quand, à l’occasion des grandes fêtes (par exemple Noël, Pâques et Pentecôte), on célébrait la Cène au temple de l’Oratoire du Louvre, Monod faisait organiser un repas fraternel dans le cadre de La Clairière, mettant ainsi en évidence le caractère d’ordre à la fois spirituel et social de la Communion. C’est bien là un exemple typique de la liturgie dans la cité et dans la société. Peut-on, pensait Monod, prier fidèlement le « Notre Père » sans se préoccuper des implications socio-économiques du « notre pain » ? Coretta Scott King (1927-2006), l’épouse de Martin Luther King (1929-1968), cite des paroles de son mari dans un livre autobiographique qu’elle lui a consacré Ma vie avec Martin Luther King (Paris Stock, 1970, p.126), paroles que Wilfred Monod aurait tout aussi bien pu écrire : « La religion s’occupe à la fois du ciel et de la terre. […] Toute religion qui fait profession de s’occuper de l’âme des hommes sans s’occuper des taudis auxquels ils sont condamnés, des conditions économiques qui les étranglent et des conditions sociales qui les mutilent est une religion aussi stérile que la poussière. »

Wilfred Monod aborde souvent des thèmes très concrets dans ses prédications. On peut relever qu’il évoque, par exemple, les questions relatives à l’alcoolisme, au logement, au travail dans les usines, aux grands magasins, aux restaurants, à l’exploitation des enfants, aux ouvriers, aux petits employés, à l’abandon et à l’extrême misère des personnes âgées, aux malades et au travail dans les hôpitaux, aux innombrables orphelins martyrs de la guerre, aux victimes de cette guerre et surtout du chômage, à la condition de la femme, et principalement au thème de l’argent dont on compte une douzaine de sermons publiés portant sur ce thème.

La cène

La théologie de Wilfred Monod exprimée jusqu’à maintenant dans le présent exposé est intégralement développée dans ses prédications. C’est à ces dernières que je me suis référé. Dans les cadres du protestantisme, la prédication est presque toujours comprise comme un élément essentiel du culte, voire le plus important pour la tradition réformée. Cela dit, les remarques précédentes nous conduisent tout naturellement à poser plus spécifiquement maintenant, en ce qui concerne le culte, la question de la cène selon Wilfred Monod. 

Malgré l’importance quantitative de ses prédications dont, je l’ai déjà dit plus haut, qu’environ 400 d’entre elles ont été publiées, bien que Monod ait été reconnu comme un grand prédicateur, il estimait que le sermon ne doit pas dominer le culte. La cène, en revanche, doit y occuper une place centrale. La cène est ainsi, selon lui, au « centre » du culte. Il ne dit jamais cela du sermon. Sans la célébration de la communion, le culte est, pour Monod, incomplet et tronqué. Dans une prédication donnée à l’Oratoire du Louvre en 1925, paroisse dont le temple a une chaire très haut placée juste au-dessus de la table de communion, Monod déclare de cette dernière qu’elle « n’est pas au pied de la chaire », mais que « c’est la chaire qui est dominée par la table de la Sainte Cène ». (L’amour impérissable, « Pour l’Avent », Paris Fischbacher, 1929, p.13). La cène est pour lui la véritable expression de nos célébrations. Elle n’en est pas une donnée additionnelle, facultative, occasionnelle. Elle est la vraie confession de foi de l’Église. Or les textes les plus caractéristiques de la tradition réformée disent, eux, que les sacrements sont joints, ajoutés à la prédication et que les sacrements ne font que la confirmer4

En fait, pour Monod, la cène est par excellence ce qui lui permet de promouvoir, conformément à un Évangile intégral, un christianisme simultanément spirituel et social. Il appelle alors le protestantisme français à une compréhension plus profonde de la cène, c’est-à-dire, selon ses propres termes, à la fois plussociale et plus mystique. Elle est trop souvent devenue un repas purement formel et rituel. Que la cène ait une dimension de communion spirituelle, voilà qui est capital et décisif ; cela n’a rien de marginal et doit toujours être souligné. Mais Monod insiste sur le fait que le partage du pain exprime également une autre forme de communion, à savoir une manifestation de solidarité humaine, de fraternité qu’il faut traduire dans la vie et dans la société. C’est là la source d’un véritable bouleversement. Il publie en 1914 un livre intitulé Pour communier (Paris Fischbacher). Il s’agit d’un recueil de réflexions, de méditations et de prières, de textes bibliques, en vue de la préparation à la cène, de sa célébration et même de ce qui la suit, dépassant ainsi cet événement que n’épuise pas sa dimension cultuelle, mais vient plutôt l’accomplir et la couronner. C’est Nicolas Berdiaev (1874-1948) qui estimait que le pain a une dimension et une signification proprement religieuses. Selon lui, la question du pain pour soi est une question matérielle, mais la question du pain pour les autres et pour le monde devient une question spirituelle. La spiritualité chrétienne ne saurait alors être utilisée pour faire oublier le drame matériel et social de la faim, de la pauvreté, de l’injustice. Monod également n’oppose pas le social au spirituel, mais souligne, comme nous l’avons vu plus haut, combien la foi au Père culmine dans l’amour des frères. Le christianisme n’est pas un idéalisme désincarné. Liturgie et diaconie sont ainsi solidaires, la première appelant invariablement la seconde. Parlant du pain partagé de la cène, Monod écrit dans son recueil : « Le jour où toute l’humanité sera pleinement assurée d’en manger, marquera l’avènement du genre humain à la dignité humaine. » (p.55) Il parle alors d’une humanité enfin humanisée. Le combat pour l’union spirituelle des chrétiens s’accompagne par conséquent d’un combat pour une unité matérielle de tous les hommes. Pour Monod, « aucune autre religion n’a su concilier au même degré, dans une indissociable unité, la préoccupation de l’âme et la préoccupation du monde […] » (Certitudes, Paris Fischbacher, 1911, p.345). Monod revient aussi à plusieurs reprises à une caractéristique qui lui est chère quand il considère les bienfaits de la cène. Cette dernière réunit autour de la table de communion les personnes les plus diverses et parfois que tout oppose dans la vie civile. C’est là pour lui une préfiguration du Royaume de Dieu, une réalité prophétique d’ordre eschatologique, la vérité du ciel sur la terre. Il affirme alors : « Évanouies, les distinctions de caste et de classe, de nations et de races ; les différences politiques et sociales n’existent plus. » (L’avoir du chrétien, « La triple communion », Paris Fischbacher, 1935, p.12).

Pour conclure cette étape, j’aimerais citer maintenant un texte de Maurice Zundel (1897-1975). Ce théologien catholique suisse est souvent considéré comme un des grands auteurs spirituels et mystiques du XXe siècle. Ce passage est extrait de son livre Morale et mystique édité en 1962 par les éditions Desclée de Brouwer (p.126). On notera que ce titre correspond aux deux notions d’un christianisme pratique (morale) et spirituel (mystique) chères à Wilfred Monod. 

« […] Au cœur du culte chrétien ce souci de l’homme est si formellement inscrit que le repas du Seigneur n’aurait plus aucun sens s’il n’était cautionné, au moins dans le secret de quelques âmes, par cet amour sans frontières et sans partialité […] qui exige que nous partagions notre pain avec tous les hommes et tous les peuples – en étant les premiers à réclamer et à proposer les réformes économiques, démographiques et techniques indispensables à une juste circulation des biens – pour participer sans sacrilège à la fraction du pain où le Seigneur veut nous rassembler tous comme un seul corps sous un seul Chef (cf. Jean XVII, 11, 21, 23). » Wilfred Monod n’aurait-il pas pu être l’auteur de telles lignes ?

Conclusions

Le thème de notre colloque liturgique (« La liturgie dans la cité ») et le sujet de la présente intervention (« Liturgie et christianisme social ») ne sauraient nous faire oublier que Wilfred Monod a consacré un nombre très important de ses ouvrages théologiques et une partie tout aussi importante de sa vie pastorale à un christianisme spirituel. Il fut lui-même un maître spirituel.

Le 20 avril 1923, Monod a fondé, à l’initiative de son fils Théodore, ce qu’il appela de manière originale et métaphorique, un « Tiers-Ordre protestant », à savoir une « fraternité spirituelle » dont les membres, laïcs ou non, s’engagent à vivre une spiritualité régulière et quotidienne de méditation, de lecture de la Bible et de prière. À la fraternité sociale est ainsi conjointe, – et cela inséparablement – une solidarité spirituelle. Après un peu plus de cent ans d’existence dynamique, cette fraternité spirituelle qui s’appelle « Les Veilleurs », connaît aujourd’hui une belle croissance.  Ses membres obéissent à une règle centrée sur les Béatitudes. On peut souligner tout ce que doit à son enfance et à sa jeunesse méthodistes cette initiative des Veilleurs avec une vie intérieure et une piété structurée, avec une discipline fidèle. Monod est d’ailleurs l’auteur de nombreux livres de spiritualité qu’il appelait des « volumes de méditation ». La prière, qu’il nommait le sacrement du silence, représente là une très large part d’une existence consacrée ainsi et aussi à l’adoration et au recueillement. 

Une formule qui m’est chère, et que Wilfred Monod aurait assurément appréciée, consiste à dire : joindre les mains, c’est rejoindre les autres ; ce n’est pas se croiser les bras.

Je signale pour conclure que Wilfred Monod reconnaissait une précédence d’ordre chronologique en quelque sorte au christianisme spirituel, puisque c’est de lui que découle un christianisme social. C’est notre foi en un Dieu Père qui nous conduit en effet, comme on l’a vu, vers des frères et sœurs, vers la cité et la société. Mais, dans l’ordre qualitatif, c’est le christianisme pratique et social qui jouit en fait pour lui d’une véritable prééminence. Il déclare ainsi dans une prédication intitulée « Le jugement dernier » et recueillie dans le sermonnaire de 1911 cité plus haut, Certitudes : « […] mieux vaudrait avoir vécu sans religion que d’avoir vécu sans amour, mieux vaudrait avoir servi Jésus-Christ sans le nommer, que d’avoir nommé Jésus-Christ sans le servir. » (p.113) 

La présente communication a de fait réuni en une seule formulation et avec l’exemple de Wilfred Monod la liturgie dans la cité, certes, mais aussi la cité dans la liturgie.  

NOTES

1. Pour l’histoire et les enjeux du Christianisme social, il est possible de lire le livre de Klauspeter BLASER, qui fut professeur de théologie systématique et pratique à l’Université de Lausanne : Le Christianisme social. Une approche théologique et historique (Paris Van Dieren, 2003). 

2. Dans son autobiographie, Wilfred Monod écrit ceci au sujet de la Conférence de Stockholm, et cela sans citer, comme il a pu le faire ailleurs, l’archevêque orthodoxe Germanos : « Un trait extraordinaire fut la présence de l’Église orthodoxe. Le schisme millénaire entre la chrétienté orientale et la chrétienté occidentale prit fin au moins dans le domaine de la charité active […]. Le clergé de l’Église Grecque et le clergé de l’Église Protestante se tendirent la main d’association […]. », Après la journée, Paris Grasset, 1938, p.262.

Germanos Strenopoulos (1872-1951), docteur en théologie, est métropolite (archevêque) de Thyatire. Ce témoin et représentant éminent du patriarcat de Constantinople, a siégé à Londres de 1922 à sa mort. Pionnier de l’œcuménisme naissant, Il est considéré comme le principal promoteur orthodoxe, au 20e siècle, du mouvement œcuménique. 

3. Comme on le remarquera avec les références accompagnant les citations des sermons de Wilfred Monod, certains sermonnaires ont une numérotation des pages allant du début du livre à la fin de l’ouvrage, d’autres ont une numérotation propre à chaque prédication sans numérotation générale du livre en question.

4. On consultera plus particulièrement à ce sujet : Jean Calvin, Catéchisme de Genève (1545), 46e section ; Consensus Tigurinus (1549), art. 2 et art. 12 ; Confession helvétique postérieure (1566), art. 19 ; Confession des Pays-Bas (1561), art. 33 ; Confession de La Rochelle (1559, 1571), art. 34.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *