
La surpopulation carcérale, revers de l’échec de la réinsertion
Article publié dans l’hebdomadaire protestant Réforme du 28 août 2025
Et si le cœur du problème n’était pas la surpopulation des prisons, mais la faiblesse de la réinsertion post-carcérale, s’interroge le psychiatre Guillaume Monod.
Guillaume Monod est psychiatre, pédopsychiatre, docteur en philosophie, praticien hospitalier, responsable de l’hôpital de jour du centre pénitentiaire de Fresnes.
Au 1er juillet 2025, le nombre de détenus dans les prisons françaises a atteint un nouveau record de 84 951 pour 62 509 places en service. Cela représente un taux d’occupation global de 135,9 %, qui dépasse 200 % dans 29 établissements ou quartiers pénitentiaires et 150 % dans 68 autres, sur un total de 190. Le taux atteint 167 % en maison d’arrêt, où sont incarcérés les détenus en attente de jugement, donc présumés innocents, et ceux condamnés à de courtes peines.
Face au problème d’une surpopulation carcérale chronique, depuis des décennies, la solution des gouvernements successifs a été de construire plus de places : de 30 000 en 1977, elles sont passées à plus de 63 000 en 2025. Et les mêmes causes produisant les mêmes effets, la surpopulation a fidèlement suivi l’augmentation des places disponibles. Construire une prison coûte environ 350 000 euros par place, il faudrait donc dépenser 7,5 milliards d’euros pour ramener le taux d’occupation à 100 %. Un taux qui, dans les années suivantes, reviendrait aux 135 % actuels.
La cruauté n’a pas d’effet préventif
Inévitablement, cette surpopulation s’accompagne de nombreuses atteintes à la dignité et aux droits des personnes incarcérées, comme en témoignent diverses autorités indépendantes telles que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, le Défenseur des droits, les aumôneries des prisons, la Croix-Rouge. Pourtant, une part importante de l’opinion publique cautionne cet état de fait. Elle reproche aux « belles âmes » qui s’indignent de ces conditions dégradantes de « faire dans l’angélisme », et certains vont jusqu’à exiger des conditions encore plus pénibles et dégradantes. L’idée défendue par cette revendication est que plus la peine est longue et pénible, plus elle serait dissuasive et favoriserait la prévention de la délinquance. Cette idée, cruelle, est fausse, comme le montrent deux exemples récents.
L’abolition de la peine de mort en 1981 ne s’est pas accompagnée d’une augmentation des crimes les plus graves, mais de leur lente diminution. Entre 1981 et 2017 le taux d’homicide volontaire en France a diminué de moitié, passant de 1 pour 100 000 habitants par an à moins de 0,5 pour 100 000. Afin de limiter les conséquences de l’épidémie de la Covid-19 en prison, une libération anticipée des détenus en fin de peine a été effectuée. Le 16 mars 2020, la population carcérale était de 72 500 détenus, le 24 mai 2020 elle n’était plus que de 58 926. Malgré cela, aucune vague de délinquance ou de criminalité n’a été observée par la suite. La libération anticipée de détenus en fin de peine n’a pas eu de conséquences sur la sureté publique, mais a drastiquement diminué la surpopulation.
Trois quarts des détenus sortent sans projet
La surpopulation carcérale s’explique en bonne partie par l’échec des politiques de réinsertion. Le ministre de la Justice a déclaré le 27 février dernier au micro de RTL : « Ce qui est sûr c’est que 60 % des gens qui sortent de prison sont en récidive, ce qui montre que notre système carcéral, non seulement ne protège pas les agents pénitentiaires et les Français, mais en plus ne réussit pas bien à réinsérer les gens. Il faut donc qu’on change tout. » Mon expérience de quatorze ans d’exercice professionnel en milieu pénitentiaire est que la première chose à changer est l’angle sous lequel on aborde la question. Ce qui doit faire débat n’est pas le taux de la surpopulation carcérale ni son coût moral et économique, mais le taux de réinsertion des sortants de prison et ses bénéfices pour la société.
Le premier facteur de prévention de la récidive est l’existence d’un projet de sortie et de réinsertion du détenu, géré par les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP). Or, face à la surpopulation pénale, les trois quarts des détenus sortent sans aucun projet, chiffre qui monte à 90 % pour les peines de moins de 6 mois. Une mesure de l’échec de la réinsertion peut se faire en comparant le taux de chômage à l’entrée en prison, qui est de 65 %, avec celui 12 mois après la sortie, qui est de 90 %. Ce chômage massif s’explique en bonne partie par le taux très faible de scolarisation et de formation professionnelle des détenus : 10 % d’entre eux ne maîtrisent pas ou mal le français, 11 % sont en situation d’illettrisme, 50 % sont sans diplôme. Seulement 25 % des détenus bénéficieront d’une scolarité – parfois après plusieurs mois d’attente.
Affronter les effets délétères de la détention
Or, le coût annuel de l’incarcération de 85 000 détenus est d’environ 4 milliards d’euros, soit 37 800 euros par détenu et par an. Plus que le salaire brut médian, qui est de 32 000 euros. En d’autres termes, pour le prix de la libération anticipée de quelques détenus en fin de peine, l’on peut payer le salaire d’un CPIP qui travaillera aux projets de réinsertion, d’un enseignant qui luttera contre l’illettrisme, d’un formateur qui proposera une qualification professionnelle.
La persistance tenace de la surpopulation carcérale ne traduit rien d’autre que la capacité des gouvernements successifs à ne pas affronter les effets délétères de la détention, aussi bien sur le plan économique que sur celui du respect de la dignité. Plutôt que de débattre inutilement de la surpopulation carcérale, il faut s’intéresser à la sous-réinsertion post-carcérale. Plutôt que de réclamer des places de prison supplémentaires, la société a tout intérêt à exiger des postes supplémentaires de CPIP, d’enseignants, de formateurs. On prête à Victor Hugo le mot suivant : « Ouvrez une école, vous fermerez une prison ! » Cent cinquante ans plus tard, ce constat est toujours d’actualité.
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