Petite histoire du
protestantisme
Conte
Le visiteur de
Noël
Au soir du
24 décembre 1703, dans une auberge des
Cévennes, quatre officiers,
quatre « dragons » s'apprêtaient à quitter avec regret une
salle confortable et la grande cheminée où
rôtissaient des chapelets d'oies dodues. Par ordre du Roi
Soleil, ils devaient réduire à merci les protestants de
cette région qui n'avaient pas abjuré leur foi
après la Révocation de l'Édit de Nantes et qui
étaient donc des hors-la-loi.
Ce soir, le gouverneur du Languedoc les avait chargés de
mettre la main sur un meneur : un certain Étienne Riboux, prédicant au Désert. Il leur fallait
lui tomber dessus par surprise et pour cela, partir à pied
dans la montagne, déguisés en bergers.
Luttant contre les tourbillons de neige, ils parvinrent
péniblement à une bergerie à l'entrée du
hameau où habitait ce Riboux.
Le capitaine, Gabriel de Vignancourt de
Pétigny-Pervanchelles, avait
décidé de garder pour lui seul la « gloire » de ce fait d'armes; il enjoignit à ses hommes
de rester dans la bergerie, prêts à accourir au premier
signal. Et le voilà parti vers la maison du rebelle ; il
appuya sur le loquet et la porte s'ouvrit.
La fille de Riboux était
là, une enfant. Pâle et
droite dans un grand châle noir, pétrifiée devant
ce visiteur du soir. Elle était troublée, la fille du
prédicant. Mais, son doux visage s'éclaira d'un
sourire... et sans façons, elle se jeta à son
cou ! Le dragon restait coi, ne sachant que dire, regardant
autour de lui : un bouquet de houx jaillissait d'un pichet, deux
assiettes de faïence sur la table, un bougeoir d'étain,
une chandelle allumée; tout n'était que paix et
silence.
- Entrez, je vous attendais
dit-elle.
- Où est ton
père ?
- Parti dans la montagne pour
célébrer l'office de Noël ; mais vous
prendrez bien la soupe de castagnes, toute chaude et des beignets de
sarrasin au miel ?
- Tu m'attendais, dis-tu ?
- Bien sûr, vous êtes le
visiteur de Noël que Mamée m'avait annoncé. Elle
me disait souvent : « Si un visiteur frappe à
ta porte un soir de Noël, ouvre lui vite ; c'est
peut-être un fugitif qui court dans la montagne pour
échapper à ceux qui nous persécutent, c'est
peut-être un envoyé du Seigneur qui parcourt la terre
pendant la sainte Nuit. Il doit toujours y avoir pour lui une
assiette à remplir de soupe chaude et un bon feu pour qu'il y
délasse ses pieds et il te bénira toi et les
tiens.
Un peu gêné, l'homme
détourna la conversation :
- Comment
t'appelles-tu petite ?
- Droulette, pour vous servir.
- Eh bien, Droulette, j'ai faim et j'ai
froid. Sers moi donc à dîner en attendant ton
père.
- Mon papa aussi doit avoir faim et
froid dehors par une nuit pareille, mais il faut bien qu'il aille
porter la bonne Parole à tous ceux qui vivent dans les
grottes, poursuivis, traqués. C'est terrible quand ils se font
prendre, si vous saviez ! Ils sont massacrés ou
envoyés aux galères ! Je tremble chaque fois que
je vois partir mon père, mais je suis si heureuse que le
Seigneur se serve de lui pour réconforter ces pauvres
gens.
Et voilà que Gabriel de
Vignancourt soudain, ne pouvait plus rien
avaler ! Il se souvenait d'une « assemblée » surprise en pleine nuit et transformée en
carnage ; il entendait les cris de ceux qu'il avait
séparés et les dernières paroles du
prédicant :
- Vignancourt, pourquoi
nous persécutes-tu, toi qui te dis chrétien ?
Il n'avait plus faim, il avait hâte de
partir. Mais Droulette, déçue, disait :
- Mon père ne vous
verra donc pas, mais... (elle hésitait, n'osait pas formuler
sa requête...) Pourriez-vous, avant de partir, me lire la belle
histoire de Noël ?
Devant la mine ahurie de Gabriel, la
petite fille ajouta :
- Je comprends le
français, mais je ne le lis pas encore très bien. Papa
rentre tard, fatigué, alors si vous ne voulez pas me lire la
Bible, Je n'aurai pas de Noël.
Et elle plaça devant le brillant
officier, un pauvre bouquin relié de parchemin usé, mal
imprimé, corné. C'était le livre
excommunié, car écrit en français ! Gabriel
osait à peine le feuilleter, saisi d'un respect
étrange. Mais comment refuser à cette innocente ?
Et comme malgré lui, il commença :
« Il y avait dans cette
contrée des bergers qui couchaient aux champs, la nuit pour
veiller sur les troupeaux... »
Lorsqu'il eut fini, il resta un long
moment rêveur. Les paroles de
Noël chantaient dans son coeur, éveillant de lointaines
et étranges résonances. Il lui semblait qu'une enfance
inconnue se glissait dans sa mémoire radieuse et pure.
- Je crois que... je crois
que je pourrais être des vôtres, petite, si tu
voulais...
Ne recevant pas de réponse, il leva
les yeux. Droulette dormait, la joue posée sur les bras
repliés, une joue rose comme un pétale de fleur. Les
cheveux bouclés se répandaient sur la table, pareils
à une toison d'agneau.
- Dors ma Droulette, dors.
Aie confiance. Je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour que ton
père soit épargné ; je le jure sur cet
Évangile qui nous est commun. Il chercha et trouva une plume
et de l'encre et écrivit sur la page de garde du livre
saint :
- Le visiteur de Noël priera pour
toi et pour ton père.
Puis il ajouta un post-scriptum à son
message :
- Il faut vous cacher,
d'autres visiteurs pourraient venir.
S'inclinant alors devant la mignonne
endormie, aussi profondément qu'il l'eût fait à
Versailles, il quitta celle qui serait désormais dans son
coeur la petite soeur qu'il n'avait jamais eue. Il ouvrit la porte
sur la tourmente et s'enfonça dans la nuit.
Dans la bergerie, ses camarades se
tenaient recroquevillés sous leurs manteaux
- Holà ! cria
Gabriel dans les ténèbres, allons-nous en, je n'ai
trouvé personne. Retournons en ville, nous trouverons
peut-être quelques restes de ce réveillon qui nous passa
sous le nez.
Il les entraîna sans
peine !
Le chemin lui parut moins dur qu'à
l'aller, car il portait en son coeur une force et une lumière
nouvelles. Et à mesure que Gabriel avançait vers son
destin... là-bas, de l'autre côté de la montagne,
un homme descendait rapidement, un livre sous le bras, vers une
pauvre maison où l'attendait une petite fille endormie et
confiante.
L'aube de Noël se lèverait
bientôt. La mille sept cent
troisième aube depuis la naissance d'un petit enfant pour qui
les anges avaient proclamé :
« Gloire à Dieu
au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne
volonté. »
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