
Orazio Gentileschi, L’Annonciation
La collection Alana
chefs-d’œuvre de la peinture italienne
Musée Jacquemart-André
jusqu’au 20 janvier 2020
Gilles Castelnau
18 septembre2019
Le milliardaire chilien Alvaro Saieh et son épouse Ana Guzman réunissent depuis 20 ans une splendide collection d’art italien à laquelle ils ont donné le nom d’Alana composé des premières lettres de leurs deux prénoms. Ils la gardent jalousement pour eux et en prêtent 75 toiles pour la première fois au musée Jacquemart-André.
C’est l’éblouissement de la Renaissance italienne du XVe siècle et du maniérisme du XVIe siècle.
En voici quelques exemples.

Maître de Pratovecchio,
Vierge à l’Enfant avec deux anges, sainte Brigitte de Suède et saint Michel archange.
Vers 1450
Les anges et les saints étaient jusqu’alors représentés dans la peinture européenne de manière très stéréotypée dans des poses figées et ne manifestaient aucune expression personnelle : la pensée gothique ne reconnaissait d’autre existence que l’appartenance fidèle au monde de l’Église qui ne pouvait être représentée que dans des scènes issues de la Bible ou de la légende dorée ecclésiastique.
Les peintres de la première Renaissance florentine dite du quattrocento demeurent, certes, dans cette tradition et manifestent une pensée théologique sans imagination ni innovation, mais leurs personnages deviennent vivants et montrent que c’est consciemment qu’ils participent à la scène sainte qui est représentée.
Ainsi le visage de cet archange saint Michel a un regard et des traits tout à fait personnalisés et sa chevelure semble avoir été apprêtée par un brillant coiffeur de Florence. Sa posture elle-même n’est pas sans sensualité et son élégance est attrayante.

Antonio Vivarini,
Saint Pierre exorcisant un démon ayant pris les traits d’une Vierge à l’Enfant.
Vers 1450
On vivait à l’époque dans un monde envahi par le surnaturel et personne ne doutait que le démon ne puisse se métamorphoser en Vierge à l’Enfant ! On se sentait protégé de ses maléfices par la présence permanente des saints, notamment saint Pierre. L’extravagance d’une telle spiritualité n’était encore mise en question par aucun réformateur.

Entourage d’Andrea del Verrocchio, Vierge à l’Enfant, années 1470
Cette Vierge est charmante, encore presqu’enfantine. Elle n’est pas représentée comme éclairée par la lumière du monde céleste mais semble une représentation d’une jeune fille parfaitement vivante. Elle pourrait être la fille du peintre ou sa jeune sœur.
Quant à l’Enfant Jésus, il a lui aussi un visage bien réaliste : ses beaux cheveux sont artistement peignés, sa petite bouche est déjà sensuelle et ses yeux révèlent une personnalité déjà bien présente.

Carlo Crivelli, Un saint apôtre, vers 1472-1476
Ce personnage ne ressemble guère à un apôtre et son attitude ne révèle rien de particulièrement saint.
On ne peut pas savoir le sens du geste étrange avec lequel il manie sa bible avec des doigts crochus.
Le peintre lui a-t-il réellement dessiné dans sa chevelure deux petites cornes qui révèleraient, si c’était le cas, la réalité satanique cachée sous la « sainteté » de son titre. D’ailleurs son visage suggèrerait-il une identité maléfique ?
Dans un univers superstitieux comme celui de l’Italie du XVe siècle, ce genre de dérapage devait être plus courant que la confiance paisible et créatrice d’un Évangile largement oublié du grand public.

Vittore Carpaccio, Le Christ mort soutenu par deux anges, vers 1490
Le Christ est impressionnant souffrant encore au-delà de sa mort. L’ange de gauche a un visage bouleversé. Le mouvement dansant et tourbillonnant qui semble une montée au ciel et les vêtements soulevés par le vent font déjà partie de l’ère baroque qui s’annonce avec la puissance vitale entraînante des gestes.

Bachiacca, Déposition de croix, vers 1520
Extraordinaire enchevêtrement des nombreux personnages montés sur la croix, des échelles et des vêtements serpentant dans le vent. Surprenante tête énorme au milieu du groupe. Et que penser du groupe à cheval à gauche sous les immenses arbres ?
On emporte à droite à dos d’hommes les corps sans doute des deux autres crucifiés ; mais alors qui est celui qui demeure couché à terre sans que personne ne s’en préoccupe ?

Pontormo, Portrait d’un joueur de luth, vers 1529-1530
On est désormais en pleine seconde Renaissance dans le mouvement maniériste et tout à fait laïc. Ce jeune homme est détaché de toute scène religieuse conventionnelle. Il a l’air un peu égaré, renfermé sur ses pensées et son béret ne tient pas bien sur sa tête. Ambiance paisible, méditative, esthétique...

Jacopo Bassano, L’Adoration des bergers, vers 1562-1563
Le baroque est installé : la scène est théâtrale, le peintre exagère la posture symbolique des personnages, on est dans un super-réalisme. Le Caravage n’est pas loin, qui choisira des modèles dans les quartiers populaires de Rome et peindra des bergers aux pies sales, représentant ainsi l’incarnation de la présence divine dans l’épaisseur de la nature humaine.
Orazio Gentileschi, L’Annonciation, vers 1600-1605
Ce tableau placé ci-dessus en exergue, nous conduit à l’âge d’or du baroque. Les anges se multiplient dans un ciel Disneyland, les couleurs sont enthousiastes, le surnaturel triomphe. Le désir de l’Église catholique est clairement de résister à la Réforme protestante en manifestant le dynamisme entraînant de sa foi et la vérité divine de ses dogmes. Nul doute que les spectateurs de ce tableau seront émerveillés de sa contemplation.
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