Paris, Musée du Louvre
jusqu'au 29 juin 2015
Gilles Castelnau
6 avril 2015
Les commissaires de l’exposition, Nicolas Milovanovic et Mickaël Szanto ont choisi le titre : « Poussin et Dieu » afin, nous expliquent-ils, de « mettre en lumière l’originalité de la peinture sacrée de Nicolas Poussin, source d’une réflexion personnelle sur Dieu et méditer les mystères de la religion. »
Nous sommes au 17e siècle. La question religieuse passionne l’Europe.
Le protestant Rembrandt peint l’accueil paternel par Dieu de l’Enfant prodigue et le profil saisissant du Christ ressuscité à Emmaüs.
Le catholique Rubens multiplie l’exaltation de la Vierge et des saints de l’Église afin de valoriser la Contre-Réforme.
En France les protestants voient la liberté que leur accordait l’Édit de Nantes se réduire comme une peau de chagrin.
Vincent de Paul fonde les Filles de la Charité et se fait nommer aumônier des galériens.
A Rome, les jésuites sculptent l’autel de saint Ignace : « la foi triomphant de l’hérésie protestante » et Luther tombé à terre et se tordant de douleur.
Le somptueux baroque du Bernin et de Borromini glorifient la spiritualité catholique.
Justement, c’est à Rome que le Français Nicolas Poussin choisit de vivre et donc de « méditer les mystères de la religion ».

L’Assomption, 1629
Certes il peint cette « Assomption », montée au ciel en gloire de la vierge Marie libérée par les anges de son tombeau, et l’immense tableau du « Miracle de Saint-François Xavier » dont la canonisation venait d’être proclamée. Mais tout le reste de l’exposition montre bien qu’il n’entrait pas dans l’exubérance de la Contre-Réforme.
Il ne cherchait pas non plus à représenter la lumière intérieure de la foi transcendant les personnages qu’il peignait.
C’est au spectateur qu’il revient de bien « lire » ses tableaux - comme il aimait à le dire – pour deviner la communication invisible qui relie en vérité le ciel à la terre.

David vainqueur du géant Goliath, 1629-1630
Un ange (fort attrayant !) et des « putti » rendent ici visible cette présence terrestre de l’au-delà que le jeune David semble parfaitement ignorer. Certains (mauvais esprits ?) ont même pu se demander si Poussin croyait lui-même à la réalité de ce qu’il peignait ou s’il n’était pas tout simplement athée.

Éliézer et Rébecca, 1648
Éliézer était le serviteur qu’Abraham avait chargé de trouver une femme pour son fils Isaac. La scène représentée est celle où celui-ci est si bien accueilli par une jeune fille qu’il comprend que c’est elle qui sera l’épouse d’Isaac, la mère de Jacob et l’ancêtre de tous les rois d’Israël et du Christ lui-même.
Les trois jeunes filles de droite contemplent cette scène sans être conscientes de l’aspect décisif de cet instant mais plusieurs de celles de gauche ont une attitude manifestant leur saisissement.
La Sainte Famille, 1650
Il en est de même avec ce groupe au bonheur paisible : rien ne laisse penser que cette jeune femme d’apparence banale est bien la Vierge Marie, souriant à sa cousine Elizabeth, pendant que l’enfant Jésus joue avec le futur Baptiste. Joseph est dans l’ombre mais bien présent. Pour Poussin, c'est le regard de la foi qui doit – ou peut – permettre de discerner la transcendance de la scène ainsi représentée.

Le paradis terrestre, 1660-64
De même, qui discernera l’extrême importance de la situation ici représentée ? Adam et Ève, minuscules personnages au milieu des grands arbres d’une puissante nature, sont sur le point de faire basculer l’univers entier dans la « Chute », comme l'enseigne la théologie traditionnnelle. Ève désigne du doigt les pommes, fruits interdits et en haut à droite Dieu, sous une forme humaine plane et guette ce qui va être le « Péché originel ».

L’Annonciation, 1657
Le commissaire Nicolas Milovanovic croit voir dans cette scène mystique « un des sommets du sentiment religieux dans l'art de Poussin et dans toute la peinture du XVIIe siècle ». Il est vrai que, contrairement aux autres tableaux, le visage de Marie exprime ici clairement une contemplation extatique. C’est la reproduction presque identique de la Sainte Thérèse que le Bernin a sculptée pour l’église de Santa Maria de la Vittoria. Mais j'aimais voir plutôt le sommet du sentiment religieux de Poussin dans les autres tableaux où rien, si ce n'est la foi du spectateur, ne permet de discerner la Présence divine !