
Marie Laurencin, le Baiser vers 1927
Marie Laurencin
1883-1956
Paris, musée Marmottan Monet
jusqu’au 30 juin 2013
Gilles Castelnau
28 mars 2013
Les salles du musée Marmottan sont grandes et claires, les tableaux sont suffisamment espacés et des banquettes permettent de s’asseoir pour les contempler et d’entrer ainsi tranquillement dans l’heureux monde onirique, aux couleurs pastel, paisible et joyeux, où nous entraînent toutes ces jeunes filles charmantes, évaporées et au sourire absent.
Marie Laurencin, la Danse, 1919
Les corps s’effleurent, les yeux noirs n’expriment qu’intériorité, un baiser qui n’a de chaste que l’apparence, un sein nu découvert par hasard : une sensualité vague et prégnante, incontestablement ambiguë émane de tous ces tableaux.

Marie Laurencin, Trois jeunes femmes, vers 1953
Marie Laurencin est née à Paris. Elle s’est intégrée avec joie, elle femme, dans ce monde masculin de la peinture : le Bateau Lavoir où était Picasso, la Ruche avec Chagall, Modigliani et les autres.
Elle s’est tournée ensuite vers les milieux littéraires qu’elle a beaucoup fréquentés : à sa mort, sa bibliothèque personnelle comptait 5000 titres !
Son succès a été considérable. Elle était une portraitiste appréciée de la bonne société de Paris. Elle reçut la Légion d’Honneur et deux ans après, seize de ses tableaux étaient présentés comme une gloire nationale à l’Exposition Universelle de 1937.

Marie Laurencin à 33 ans, en 1916
Elle intériorisait la vie du monde et sa culture mais sa peinture n’en manifestait rien. Seuls les yeux noirs et sans expression de ses modèles laissaient imaginer la vie intérieure qui l’habitait.
Sa vie a pourtant traversé des périodes bien troublées. Mariée à un Allemand et ayant donc acquis la nationalité allemande et déchue de la nationalité française, elle a dû fuir Paris avec lui lors de la Première Guerre mondiale et se réfugier en Espagne pour éviter l’arrestation. Son mariage n’est guère heureux.
Elle a une mauvaise santé et subit de graves opérations.
Lors de l’arrivée au pouvoir du nazisme, son marchand en Allemagne doit cesser son activité et s’enfuir. Cela ne l’empêche pas de participer à la vie sociale brillante de la Collaboration dans le Paris occupé et d’y tenir publiquement des propos antisémites. Quelques jours avant la Libération, le maréchal Goering lui-même, grand amateur d’art, viendra personnellement sélectionner vingt huit de ses tableaux exposés au musée du Jeu de Paume afin de les emporter en Allemagne. Cela ne l’empêchera pas d’avoir été bouleversée de voir des Juifs porter dans la rue l’étoile jaune.
Elle sera brièvement arrêtée et emprisonnée à la Libération.
Jamais elle ne s’est engagée concrètement dans la vie du monde. Ni dans sa jeunesse comme son ami Picasso ou ceux de l’École de Paris en faveur des plus pauvres.

Pablo Picasso, les Repasseuses, 1904
Elle mènera ostensiblement une vie de luxe lors des efforts du Front Populaire et aux côtés des occupants nazi dans le Paris occupé. Sa peinture détourne les yeux de cette vie et les yeux noirs de ses jeunes filles aux regards absents désignent un au-delà sans rapport avec ce monde ci. C’est d’ailleurs peut-être la rêverie imaginaire émanant de ses tableaux qui nous détend, nous sourit et... nous séduit. Le visiteur pourra se le demander.
Marie Laurence se tournera de plus en plus vers une religion désincarnée qu’elle trouvera dans les nombreuses retraites qu’elle accomplira dans la compagnie des religieuses catholiques : Bénédictines du Temple à Meudon, sœurs de Saint Vincent de Paul au Moutiers, abbaye de Saint Benoît sur Loire, abbaye de Limon à Vauhallan. Elle lèguera d’ailleurs une partie de son héritage aux Orphelins d’Auteuil de Paris.

Marie Laurencin, Autoportrait au chapeau, vers 1927
Elle s’est représentée ainsi, telle qu’elle a vécu, telle qu’est se voulait : élégante, méditative, contemplative, rêveuse, absente, passive, immobile, tranquille, calme. Heureuse peut-être ?
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