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Historicité de Moïse

 

Moïse a-t-il écrit les premiers livres de la Bible ?

 

 

Gilles Castelnau

 

28 mai 2004

Moïse est un personnage fondamentalement important dans le monde de la Bible. Le récit de la sortie d'Égypte sous sa conduite exalte les opprimés depuis des siècles et fait monter en eux le courage d'espérer comme les anciens Hébreux en la présence du Dieu libérateur.
Les récits de l'eau qui jaillit du rocher pour abreuver le peuple assoiffé Exode 17 et de la manne Exode 16, pain quotidien que Dieu donne et auquel Jésus fait allusion en enseignant le Notre Père (« Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour »), sont les récits fondateurs de la paix intérieure que donne Dieu ; les Dix commandements Exode 20 qui sont la charte citoyenne nous incitent à respecter nous aussi un contrat social convenant à un peuple libre.
Plus que les récits de la création du monde, c'est sur ces textes de base que toute la spiritualité de la Bible juive, l'Ancien Testament, est fondée. Jamais on ne les méditera suffisamment pour entrer nous aussi dans leur mouvement de foi, d'espérance et d'amour.

Maintenant si on quitte le plan spirituel et religieux qui est celui de la Bible en tant qu'Écriture sainte et si on se place sur le plan de la science historique, on change de niveau de préoccupation et de manière de lire. La science historique a des règles très précises visant à comparer les renseignements des diverses sciences en question et à les recouper entre eux.
Si on pose la question de la date de publication des différents livre de la Bible, notamment de l'Exode, qui parle de la sortie d'Égypte, on tombe sur des problèmes extrêmement compliqués. Il est en tout cas fort difficile de prouver que le personnage historique de Moïse aurait lui-même mis par écrit en hébreu le livre de l'Exode.

Si on calcule une date probable pour la sortie d'Égypte en additionnant la durée des règnes et les âges des rois mentionnés dans les livres de Josué, Juges, Samuel et Rois, on arrive à une période si reculée dans le temps (13e, voire 14e, ou même 15e siècle avant Jésus-Christ) qu'on est en pleine période préhistorique.
Les historiens (puisqu'on parle ici de science historique et non plus de spiritualité et de théologie) définissent la « préhistoire » comme une période qui n'a laissé aucun document permettant d'en raconter l'histoire. C'est le cas de cette période de l'Exode.

Nous ne pouvons donc rien dire de Moïse et des événements racontés dans le livre de l'Exode qui soit prouvé de manière scientifique. Cela n'a évidemment aucune importance pour notre vie spirituelle. Les esclaves noirs des plantations coton des Etats-Unis qui chantaient les gospels et reprenaient l'espérance de Moïse face au pharaon égyptien ne se préoccupaient pas de savoir à quelle date cela avait bien pu se passer ni si Moïse lui-même avait pu ou non écrire ces récits si dynamiques et chargés d'espérance et de foi.
Si nous ne pouvons rien en dire, n'en disons rien, car nous risquerions de détourner justement de l'espérance et de la foi nos contemporains qui s'interrogeraient sur le bien-fondé d'affirmations imprudentes.

En effet, en ces temps reculés des 13e ou 15e siècles avant Jésus-Christ, on n'écrivait pas encore en Palestine, ni en hébreu ni en une autre langue. C'est seulement au 9e siècle avant Jésus-Christ que des documents viennent à l'existence, comme la stèle de Mésha qui est au Louvre et date du 9e siècle. On savait écrire en langue sumérienne (l'épopée de Gilgamesh en est un exemple connu), on savait naturellement écrire en Égypte : les hiéroglyphes y sont extrêmement nombreux. Mais justement, même en Égypte, aucune inscription ne mentionne la sortie d'Égypte des centaines de milliers d'esclaves hébreux avec Moïse et la perte de l'armée du Pharaon noyée dans la mer Rouge.

Il ne faudrait pas nous laisser aller à mêler notre religion avec des arguments scientifiques qui n'ont rien à y faire, et présenter les récits bibliques fondements de spiritualité, de notre foi et de notre espérance sur le même plan que les banaux récits de la construction des tout à fait historiques pyramides Kheops, Khephren et Mykérinos ou la fameuse bataille de Marathon.

 

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Si nous n'avons aucune trace historique des personnages et des événements narrés dans la Genèse et l'Exode, une chose demeure dont les savants qui le désirent peuvent se saisir, c'est l'existence incontestable des textes eux-mêmes. Nous n'en avons certes pas les originaux mais seulement des copies de copies de copies. Mais on peut, si on le désire, se demander effectivement qui les a écrits et à quelle date. Je ne pose pas la question de leur inspiration, qui n'est pas en question. Que l'on croie ou non à leur inspiration, on peut pareillement se demander à quelle époque et dans quel milieu ils ont été publiés. Et je disais que la question est incroyablement compliquée.
Voici quelques remarques que tout lecteur attentif et respectueux de la Bible peut faire de lui-même. Et il n'est pas nécessaire d'être très savant ni de savoir l'hébreu pour cela.

Dans la Genèse et l'Exode, certains passages désignent Dieu sous le nom de « Yahvé » et d'autres disent seulement « Dieu ».

 

Genèse 6.19 - 7.5

Tu entreras dans l'arche, toi et tes fils, ta femme et les femmes de tes fils avec toi.
De tout ce qui vit, de toute chair, tu feras entrer dans l'arche deux de chaque espèce, pour les conserver en vie avec toi: il y aura un mâle et une femell. Des oiseaux selon leur espèce, du bétail selon son espèce, et de tous les reptiles de la terre selon leur espèce, deux de chaque espèce viendront vers toi, pour que tu leur conserves la vie. C'est ce que fit Noé : il exécuta tout ce que Die lui avait ordonné.
L'Éterne dit à Noé : Entre dans l'arche, toi et toute ta maison ; car je t'ai vu juste devant moi parmi cette génération. Tu prendras auprès de toi sept couples de tous les animaux purs, le mâle et sa femelle ; une paire des animaux qui ne sont pas purs, le mâle et sa femelle ; sept couples aussi des oiseaux du ciel, mâle et femelle, afin de conserver leur race en vie sur la face de toute la terre. Noé exécuta tout ce que l'Éterne lui avait ordonné.

Le 1er passage mentionne un seul couple de chaque espèce et Dieu y est nommé « Dieu ». Le 2e passage mentionne sept couples des animaux purs et Dieu y est nommé « Yahvé », que l'on peut traduire par L'Éternel.
Les scientifiques pensent que cette différence s'explique par le fait qu'il y aurait eu deux auteurs différents et que leurs deux textes ont été réunis pour constituer un seul texte composite.

La même remarque peut être faite pour les deux récits de la création en Genèse 1 et Genèse 2. Le 1er nomme Dieu « Dieu », raconte la création en six jours et dit qu'au début tout était sous les eaux jusqu'à ce que Dieu ait fait émerger la terre ferme. Le 2e récit nomme Dieu « Yahvé-Dieu » et dit que tout était sec jusqu'à ce que « Yahvé-Dieu » fasse pleuvoir. Les deux récits sont d'ailleurs fort différents.

 

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On s'est naturellement demandé à quelle date ils avaient pu être publiés. On a remarqué que les textes des prophètes comme Ésaïe, Amos, Osée, Michée, que l'on peut dater du 8e siècle avant Jésus-Christ, car ils mentionnent des rois et des faits de cette époque et le texte de Jérémie qui est du 7e siècle, ne mentionnent jamais les récits de la création, ni même Adam et Eve le fruit défendu et le serpent, récit qui a eu par la suite l'importance que l'on sait. Ces cinq prophètes ne mentionnent pas non plus les récits aussi importants que ceux d'Abraham, Isaac et Jacob, de Moïse et de la sortie d'Égypte, le don des Dix commandements sur le mont Sinaï etc. Ils ne mentionnent pas non plus les récits de l'entrée dans la Terre promise avec Josué, tels que les rapportent les livres de Josué et des Juges, ni non plus tous les récits si importants des rois David et Salomon.

On en tire la conclusion que ceux-ci ont dû être mis par écrit après le temps des prophètes, c'est-à-dire au temps de l'Exil à Babylone (587-538 av. J-C. ou même après.
On pense ainsi que le Lévitique qui contient une grande quantité de préceptes visant à la pureté du peuple a dû être écrit par des prêtres au retour de l'Exil.

 

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Ces remarques des biblistes rendent évidemment la méditation de la Bible extrêmement intéressante et évitent au lecteur de se fourvoyer dans des problèmes sans fin sur la vérité historique de ces textes.

On ne se bloque plus sur le fait que le monde aurait été créée en 6 jours seulement.

On n'a plus besoin de se demander comment se serait réellement passé le passage de la mer Rouge.

On n'a plus à s'interroger sur la perversité qu'on prête fréquemment à Dieu en lisant les récits de massacres affreux comme celui de la prise de Jéricho (Josué 6) :

(passer) au fil de l'épée, tout ce qui était dans la ville, hommes et femmes, enfants et vieillards, jusqu'aux boeufs, aux brebis et aux ânes.

Ce texte ayant été rédigé pendant l'Exil à Babylone, à une époque donc où les israélites n'avaient pas d'armée ni aucune possibilité de faire du mal à quiconque, il doit être pris pour ce qu'il est, c'est-à-dire un enseignement concernant la manière de se conduire.
Jéricho est ainsi présentée au début du récit :

Jéricho était fermée et barricadée devant les enfants d'Israël. Personne ne sortait, et personne n'entrait Josué 6.1

La ville est ainsi présentée comme un verrou bloquant, sans aucune autre raison que sa seule perversité, la marche en avant des esclaves libérés marchant vers leur liberté. Ce blocage est répété quatre fois :

fermée et barricadée, personne ne sortait, et personne n'entrait.

La condamnation à mort de cette ville signifie que se mettre ainsi en travers du droit à la vie des autres rend indigne de vivre.

Un texte semblable est dans la bouche de Jésus :

Si quelqu'un provoquait la chute de l'un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu'on suspende à son cou une meule de moulin, et qu'on le jette au fond de la mer. Matthieu 18.6

Il est à noter que Jésus n'a jamais poussé ainsi quelqu'un dans la mer, de même qu'aucune armée israélite n'a jamais massacré les habitants de Jéricho.

Ce serait donc attribuer aux textes bibliques un sens tout à fait faux et contraire à l'intention de leurs auteurs que de les cantonner dans la simple affirmation que ces choses sont écrites ainsi parce qu'elles se sont passées ainsi. Une telle lecture ferait croire qu'il s'agit dans la Bible de simples récits historiques comme ceux que l'on trouve dans l'histoire universelle. On les lirait alors avec la même indifférence que l'on manifeste à l'égard de Guillaume le Conquérant (1066 Hastings) ou de la bataille de Marignan (1515), alors que la Bible devrait être, pour le croyant attentif et fidèle le livre de la foi, de l'espérance et de l'amour.

 

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Il faut être au clair sur le type de démarche que l'on fait.

Si l'on est sur le terrain de la vérité historique, de la science, il ne faut pas que les convictions religieuses viennent faire pression sur notre appréciation des preuves, sur la valeur des documents que l'on compare. Ce n'est pas la foi en Dieu qui doit décider de la date de publication d'un texte et de la manière dont un événement du passé s'est ou ne s'est pas produit de telle ou telle manière !

Si l'on est sur le terrain de la foi, on n'a évidemment pas besoin de preuves scientifiques. Notre foi en Dieu ne dépend pas de telle ou telle hypothèse historiques ou archéologique.

Les théologiens du 17e siècle avaient bien tort de menacer de brûler Galilée parce qu'il disait que la terre tourne autour du soleil alors que la Bible dit que c'est le contraire ! Et au début du 20e siècle, le pape avait bien tort d'interdire la lecture personnelle de la Bible parce que les biblistes « modernistes » disaient que l'évangéliste Matthieu avait connu Marc et non l'inverse !

Quand j'étais enfant on lisait la Bible, me semble-t-il, avec plus de respect pour ce qu'elle est, c'est-à-dire le livre qui nous parle de Dieu. Ce n'est certainement pas parce que l'on était plus pieux ou plus intelligent qu'aujourd'hui ! Ni parce que les pasteurs d'autrefois connaissaient mieux la Bible que ceux de maintenant : au contraire, les professeurs et les spécialistes de la Bible ont considérablement fait progresser nos connaissances depuis un demi-siècle.
Mais autrefois on était moins impressionné par la science ; on avait davantage confiance. On cherchait moins à « prouver » que la Bible est « vraie ». On savait faire la différence entre la vérité scientifique, qui est une chose et la vérité spirituelle qui en est une autre.

C'est si vrai que je me souviens d'une de mes fautes d'orthographe d'enfant. J'écrivais le mot « histoire » différemment suivant qu'il s'agissait de l'histoire de France que j'apprenais à l'école et de l'histoire sainte, comme on disait, que j'apprenais au catéchisme. On m'a dit que c'était le même mot mais j'avais de la peine à le croire, car j'avais au moins compris que l'histoire de Moïse et celle des pharaons égyptiens anciens n'ont rien, mais vraiment rien à voir l'une avec l'autre.

 

 

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