Connaissance de la Bible
Samson et les 300
renards
« Va avec
cette force que tu as »
Gilles
Castelnau
prédication
.
Juges 15.1-8 et
11b
A l'époque de la moisson des
blés, Samson alla voir sa
femme et lui porta un chevreau. Il se dit :
- « Je vais voir ma femme, j'entrerai dans sa
chambre ».
Mais le père de sa femme ne le laissa pas entrer :
- « J'ai pensé, dit-il, que tu ne l'aimais plus
et je l'ai donnée à un autre ; sa jeune soeur
n'est-elle pas plus belle qu'elle ? Prends-la donc à sa
place. »
Samson dit :
- « C'en est trop. On ne pourra pas me reprocher de
m'en prendre à ces Philistins. »
Il attrapa 300 renards et prit des
torches. Il attacha les renards deux
à deux par la queue et mit une torche à chaque
couple.
Il alluma les torches et lâcha les renards dans les blés
des Philistins. Il mit ainsi le feu aux blés, aux meules
déjà faites et même aux vergers
d'oliviers.
Les Philistins dirent :
- « Qui a fait cela ? »
On répondit :
- « Samson ! »
...
Les Israélites dirent à
Samson :
- « Ne sais-tu pas que les Philistins sont nos
maîtres ? Te rends-tu compte de ce que tu as
fait ? »
10 août 2007
Samson est un
« juge » d'Israël. Le terme hébreu « chophet » ne désigne pas, comme en français le
magistrat condamnant les malfaiteurs. Au contraire les
« chophets » étaient, selon le livre biblique des
Juges, les hommes (et les femmes) providentiels qui, au
nom de Dieu rétablissaient la « justice » en venant au secours des faibles
opprimés, « la
veuve, l'orphelin et l'immigré », comme on le disait le plus souvent. Avec la
volonté et la force de Dieu ils se dressaient contre les
oppresseurs et « sauvaient » leurs victimes : le « salut », le
« chalôm » était alors réalisé lorsque
chacun pouvait être
« sous sa vigne et sous son figuier ».
Les chophet étaient aussi les meneurs
du peuple lorsque des pillards (notamment les affreux Philistins) le
menaçaient. Gédéon à qui dit avait
à plusieurs reprises la phrase qui pourrait être en
exergue à tout le livre des Juges : « Va avec cette force que tu
as ». Débora la
puissante dirigeante. Et tant d'autres, dont Samson.
Lorsque ce furent des rois qui les
remplacèrent, leur rôle
de sauveurs, de garants de la justice fut le même. Le
Psaume 72 qui était lu à leur couronnement en
donne un exemple frappant :
O Dieu, donne ton jugement au
roi et ton équité à ce fils de roi.
Il jugera ton peuple avec équité et les malheureux avec
justice.
Il fera justice aux malheureux du peuple. Il sauvera les fils du
pauvre.
Il écrasera leurs oppresseurs.
Il délivrera le pauvre qui crie, le
malheureux qui n'a pont d'aide.
Il aura pitié du misérable et du pauvre. Il sauvera la
vie des pauvres.
Il les affranchira de l'oppression et de la violence
Et leur sang aura du prix à ses yeux.
Lorsque le livre des Juges fut
écrit, et à sa suite
les livres dits « historiques » (parcequ'il racontent une histoire) émanant
de la même école (1 et 2 Samuel, 1 et 2 Rois),
c'est que les choses allaient sans doute fort mal pour les
Israélites. On ne rappelle aux gens la force qui sommeille en
eux que lorsqu'on les voit s'enfoncer dans une faiblesse
dépressive.
Les biblistes supposent que cette
rédaction fut sans doute commencée à la fin du
VIIe siècle av. J-C, lorsque la
puissante Assyrie menaçait Jérusalem et avait
même déjà envahi et déporté la
province du Nord (l'actuelle Galilée-Samarie) et poursuivie au
VIe siècle av. J-C lors de la
dramatique déportation de Jérusalem à
Babylone.
C'est alors que des théologiens, des
rabbins se levèrent et racontèrent aux
Israélites malheureux et démobilisés les
récits des grands ancêtres auxquels Dieu disait, comme
aujourd'hui encore sans doute : « Va avec cette force que tu
as », afin, comme dit le
cantique :
Esprit qui les fis vivre, anime
leurs enfants,
Pour qu'ils sachent les suivre.
Samson, notamment, porte un
nom qui, en hébreu,
évoque le soleil. Soleil au
coeur, esprit de courage, force vitale, dynamisme créateur,
capacité d'affronter les malheurs et les injustices avec un
esprit de victoire et de joie : « Va avec cette force que tu
as »
Les biblistes pensent aussi que les auteurs
de l'Exode et de la Genèse écrivaient également
pendant l'Exil à Babylone ou peu après le retour (Ils
ne croient plus qu'un certain « Yahviste » ait écrit au 10e siècle av JC). Mais leurs
écoles ne sont pas les mêmes. Diversité de la
réflexion spirituelle d'Israël durant cette
période si noire et en même temps si féconde sur
le plan théologique.
Les auteurs de l'Exode qui mettaient par écrit les récits de
la libération de l'esclavage d'Égypte n'ont jamais
pensé que Moïse ou les Hébreux aient reçu
comme Gédéon ou Samson, la moindre force
en eux-mêmes. Moïse devant le Pharaon ou devant la mer Rouge
ne comptait que sur l'intervention extérieure de
Dieu.
Alors que Samson vivait de la foi, animé
comme un soleil d'une présence intérieure,
Moïse vivait d'espérance
comptant sur la fidélité de Dieu qui viendrait et
agirait en son temps.
Les auteurs de la
Genèse, racontant les
aventures d'Abraham, d'Isaac, de Jacob et de Joseph, quant à
eux, montraient qu'aucune force n'était nécessaire pour
régler les nombreux problèmes des relations avec les
autres mais que seule une attitude d'amour animait ces
personnages. Ils nous montrent ainsi Abraham vivant en paix dans un
pays appartenant à des Cananéens fort sympathiques
(ceux-ci ne voulaient même pas lui faire payer le terrain
nécessaire à enterrer son épouse Sara) et Joseph
en Égypte était même nommé vice-roi du
pays sans que jamais une épée ne soit tirée (le
chapitre 14 ne semble pas être de la même main)
D'ailleurs c'était Sara la juive qui maltraitait Agar sa
servante égyptienne, preuve s'il en fallait que ce ne sont pas
toujours les étrangers qui sont les mauvais !
Certains penseront peut-être
que ce n'était pas de foi que
Samson vivait mais d'espérance et Moïse de foi et non
d'espérance. Peut-être qu'Abraham et les autres
patriarches n'étaient pas animés que d'amour mais
plutôt de foi et d'espérance. Je ne les contredirai
pas.
.
Donc les auteurs du livre de Juges
nous décrivent Samson
animé d'un soleil intérieur, puisant en soi la
puissance de vie qui permet de ne pas se laisser aller à un
esprit déprimant de faiblesse :
« Qu'as-tu
fait ? Ne sais-tu pas que les Philistins sont nos
maîtres ? »
Samson enraciné dans le terreau
vivifiant de Dieu n'avait peur de rien et n'acceptait pas les
injustices.
Le livre parle de l'injustice dominatrice
des fabuleux « Philistins » mais tous les auditeurs du récit pensaient
évidemment aux Assyriens ou aux Babyloniens, comme pendant
l'occupation allemande de la dernière guerre les récits
de Jeanne d'Arc « boutant
les Anglais hors de France » évoquaient irrésistiblement les
Allemands !
Ces récits réconfortaient
les Israélites. Et nous ?
Si vous ne croyez pas que Samson ait
réussi à attraper 300 renards (alors qu'on n'est
même pas capable d'en attraper un seul !), et qu'il ait
pu, dans la foulée, les attacher deux par deux et sans les
lâcher leur adjoindre des torches, battre le briquet et les
allumer toutes, c'est que vous n'êtes pas assez
méditerranéens ! Car les auditeurs juifs,
écoutant ce récit dans leur synagogue ou au coin d'une
place, s'en réjouissaient, applaudissaient et rentraient chez
eux le soleil au coeur et la force de Dieu à la
pensée.
De même il est bon de croire les
récits évangéliques rapportant que Jésus faisait lever et marcher
le paralysé qui, évidemment ne le pouvait pas.
Il est bon de croire aussi Jésus
lorsqu'il disait :
« Heureux ceux qui
pleurent, ils seront consolés »
La question n'est pas tellement de supputer
s'il est possible d'attraper 300 renards.
La question est plutôt :
« Avez-vous, vous aussi, un
soleil au coeur ? »
Ou même : « Croyez-vous qu'il y a un soleil qui vient
dans les coeurs ? »
Ou tout simplement : « Croyez-vous en
Dieu ? »
Et pratiquement :
« Vous levez-vous
quand vous êtes paralysé ? »
« Souriez-vous quand cela ne va pas ? »
« Gardez-vous une flamme (un soleil) dans votre regard
quand le cancer est là, quand le chômage menace, quand
votre candidat n'a pas été
élu ? »
Quand on a le soleil de Dieu au coeur, les
choses vont moins mal.
Elles vont mieux.
Elles vont même bien.
Un détenu que je visitais à la
prison a dit une fois : « Avec Dieu, même ici, je peux
vivre ».
.
Vous me direz que l'histoire de
Samson (et les autres histoires de
ces livres dits « historiques ») n'est pas vraiment morale.
Brûler les moissons des gens,
brûler même les oliviers qui sont si longs à
pousser (et qui, d'ailleurs ne brûlent pas facilement !)
massacrer les Philistins, comme la suite de l'histoire le raconte,
cela ne se fait pas !
Mais lorsque l'ancien conteur se levait et
racontait ses récits dans la synagogue ou à Babylone
sur un coin de place personne n'était en état de
brûler les blés de quiconque ou de massacrer qui que ce
soit !
Mais on se sentait tout de même réconforté de
sentir un peu de force monter en soi.
Dieu est-il Dieu de la
morale ? Certainement
oui !
Mais il est plutôt Dieu de l'amour des petits.
Ou même Dieu de la vie de tous.
Quand les choses ne vont
pas, quand les « Philistins » dominent,
Ne mettons pas le feu aux blés de nos
ennemis
Mais soyons à l'exemple de Samson un
peu
« chophet ! »
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