La question « juive »
André
Gounelle
13 décembre 2019
« Juif » est un mot compliqué. Il a plusieurs significations qui s’entremêlent, s’enchevêtrent, se recouvrent mutuellement et qui pourtant renvoient à des choses différentes. On ne peut pas bien les isoler et les séparer les unes des autres, mais il importe, cependant, de ne pas les confondre. Pour ma part, j’en distingue trois que je définis très sommairement.
- « juif » se rapporte à une religion, celle qui voit en Abraham son patriarche principal et qui se réfère massivement à Moïse. La Torah, ou plus exactement ce qu’on nomme aujourd’hui le Tanakh (c’est à dire la loi, les prophètes et les écrits de sagesse), est son document fondamental et les Talmuds consignent ses traditions.
- « juif » se rapporte également à une ethnie, autrement dit à ensemble de gens qui estiment ou dont on estime qu’ils ont une racine commune ou, en tout cas, une parenté qui crée entre eux un lien fort et qui les distingue des autres. Autrefois, on parlait de « races » mais l’usage de ce concept l’a rendu abject et inutilisable.
- « juif » enfin, se rapporte à un État du Proche Orient créé en 1947-1948, dont l’existence a été et est toujours difficile. Des conflits violents le mettent en danger et dominent sa politique. Il se heurte a de fortes animosités et bénéficie de fortes amitiés, aussi passionnelles, me semble-t-il, les unes que le autres.
On peut être considéré comme juif au sens ethnique, sans appartenir à la religion juive et sans être de citoyenneté juive.
L’hostilité envers les juifs prend par conséquent, trois formes, parfois mais pas forcément ni toujours associées : celle de l’antijudaïsme, celle de l’antisémitisme et celle de ce qu’on peut qualifier approximativement d’antisionisme.
« Antijudaïsme » qualifie un jugement négatif sur la religion juive qu’on déclare inférieure, dépassée et abolie par l’évangile. Cet antijudaïsme théologique, fréquent chez les luthériens ( 1 ) s’oppose à la position plus courante chez les réformés qui estiment qu’il y a continuité et complémentarité entre les deux religions (ils parleront alors plutôt de « premier » que d’ « ancien » Testament).
« Antisémitisme » désigne l’animosité envers ceux qui appartiennent à l’ethnie juive. C’est un « racisme » pur et simple, dont on peut d’ailleurs se demander s’il ne repose pas sur une illusion (existe-t-il vraiment une race sémitique ?) Le régime de Vichy et le nazisme sont des exemples horribles des méfaits où peut conduire ce racisme.
« Antisionisme » s’applique à une opposition à l’État juif, soit à l’existence même de cet État, soit à la politique que mène son gouvernement (politique qui a changé et qui peut changer selon les résultats des élections).
On le voit, il s’agit d’attitudes différentes, même si certains les cumulent. On rencontre un antijudaïsme théologique chez des gens qui ont fermement combattu l’antisémitisme dans l’Allemagne hitlérienne. Les antisionistes (qui condamnent la politique actuelle du gouvernement d’Israël) sont en général plutôt philosémites qu’antisémites (avec, bien sûr, des exceptions) et peuvent avoir une haute idée de la religion juive. Par contre les antisémites raciaux sont en général antijudaïstes et antisionistes.
Ai-je réussi à clarifier un peu le vocabulaire ? Il est en tout cas clair que la « question juive », comme on disait naguère, et quel que soit le sens donné au mot « juif », n’est pas seulement une affaire de vocabulaire.
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( 1 ) Note de Claudine Castelnau
Les événements de la dernière guerre ont sans doute modifié l'anti-judaïsme des protestants luthériens allemands.
D'ailleurs durant la guerre, les protestants de l'Église confessante allemande animés entre autres par Dietrich Bonhoeffer ont payé de leur vie leur défense des Juifs.
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