Conaissance de la Bible
Esprit de Babel ou
Esprit d'Abraham
Gilles
Castelnau
27 avril 2006
Toute la terre avait
une seule langue et les mêmes mots.
Comme ils étaient partis de l'orient,
ils trouvèrent une plaine au pays de Schinear, et ils y
habitèrent
Ils se dirent l'un à
l'autre :
- Allons ! faisons des briques, et
cuisons-les au feu.
Et la brique leur servit de pierre, et le
bitume leur servit de ciment.
Ils dirent encore :
- Allons !
bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche au
ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas
dispersés sur la face de toute la terre.
L'Éternel descendit pour voir la
ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes.
Et l'Éternel
dit :
- Voici, ils forment un seul
peuple et ont tous une même langue, et c'est là ce
qu'ils ont entrepris ; maintenant rien ne les empêcherait
de faire tout ce qu'ils auraient projeté.
Allons ! descendons et confondons leur langage, afin qu'ils
n'entendent plus la langue, les uns des autres.
Et l'Éternel les dispersa loin de
là sur la face de toute la terre et ils cessèrent de
bâtir la ville.
[...]
L'Éternel dit à
Abram :
- Va-t-en de ton pays, de
ta patrie, et de la maison de ton père, dans le pays que je te
montrerai.
Je ferai de toi une grande nation, et je te bénirai ; je
rendrai ton nom grand et tu seras une source de
bénédiction.
Je bénirai ceux qui te béniront, et je maudirai ceux
qui te maudiront.
Toutes les familles de la terre seront bénies en toi.
Genèse 11.1 - 12.3
.
Reconstitution de la porte
d'Ishtar visible au musée de Berlin
Ce texte a été écrit
pendant l'Exil des Israélites à
Babylone. En 587 avant
Jésus-Christ, le puissant Nabuchodonosor envahit la Palestine
et emmène le peuple hébreu en
déportation.
Les malheureux Israélites se sont
retrouvés désemparés dans un état
magnifique, féroce, riche, puissant en compagnie d'autres
peuples, immigrés ou déportés - Assyriens,
Mèdes et Perses, Syriens, Élamites... -
« toutes les
langues » y étaient
parlées.
La porte dite de la Déesse
Ishtar par laquelle on franchissait
la double enceinte fortifiée et jalonnée de tours,
était saisissante : haute de 23 mètres,
couverte de briques vernissées, teintées en bleu avec
une poudre de lapis-lazuli. Des rangées de taureaux
- animal symbole d'Haddad, Dieu de l'orage et de la
tempête - et de dragons cornus - symboles du Dieu
Mardouk - y étaient représentés.
Lion en céramique
visible au musée du Louvre
La voie processionnelle, large, flanquée de murs de sept
mètres de haut, était ornée de 120 lions en
briques émaillées.
De chaque côté, des palais aux toits en terrasses
- les fameux jardins suspendus, une des sept « merveilles du
monde ».
Et au bout :
La ziggourat. Nabuchodonosor venait de la faire restaurer. Elle
était immense et son sommet semblait effectivement
« toucher au
ciel ».
.
Les Israélites avaient perdu leur
temple. Yahvé
était vaincu par les Dieux de Babylone, Mardouk,
Ishtar et Haddad.
Ils avaient perdu leur roi, garant de la
justice et de l'ordre voulu par Dieu. Le livre des Juges disait
qu'autrefois, au temps où il n'y avait pas de roi en
Israël, « chacun
faisait ce qu'il voulait » Juges 17.6. Il n'y
avait plus de roi en Israël, mais on ne faisait pas ce qu'on
voulait pour autant : la loi était désormais celle
de Nabuchodonosor !
Les Israélites, impressionnés
et perplexes, avaient perdu leurs repères.
Nous pouvons comprendre leur
désarroi, nous qui avons des
raisons d'être nous aussi impressionnés et
désorientés par la puissance des multinationales et de
la mondialisation devant lesquelles nous nous sentons
impuissants, alors pourtant qu'elles suscitent un monde inhumain et
injuste.
Impressionnés et
désorientés aussi par la perte d'autorité de
l'État devant les banlieues où l'ordre
républicain n'est plus la fraternité à
laquelle nous croyons pourtant.
Impressionnés et
désorientés encore par la perte d'autorité des
religions traditionnelles et la montée des intégrismes,
sources de désordre et de chaos.
Quelles pensées agiter dans nos
coeurs alors que nous avançons, nous aussi, contraints et
impuissants, décontenancés et interrogatifs vers la
« ziggourat » du monde actuel, sur une « voie
processionnelle » dont
nous ne savons pas quels étranges divinités la
bordent ?
.
A Babylone, les Israélites avaient
les livres des prophètes.
Esaïe, Michée,
Osée et Amos,
Jérémie rayonnaient d'enthousiasme et de foi, de dynamisme
et d'esprit de fraternité humaine. Mais ils ne
répondaient pas à la question actuelle.
Ils avaient aussi le Deutéronome
et l'ébauche des textes historiques - Josué,
Juge, Samuel et
Rois - rédigés
selon la conception deutéronomiste : Dieu a fait alliance
avec nous, nous sommes le peuple élu, nous devons donc
être fidèles à sa loi - garantie par
notre roi - ne pas nous mélanger aux autres peuples
- les Goï - et affirmer notre propre identité.
Assurance évidemment tonique et encourageante,
nécessité reconnue d'une conduite humaine et
fraternelle. Longue série aussi, de guerres saintes et de
massacres des Goï. Exaspération devant la cruauté
et la prétention des dominateurs babyloniens :
« Babylone, heureux qui saisit
tes enfants, et les écrase sur le
roc ! »
Psaume 137
C'est alors que se lèvent les
auteurs yahvistes. On les
reconnaît au fait qu'ils nomment Dieu « Yahvé ». Ils publient les récits de la
Genèse et de l'Exode, notamment
celui de la Tour de Babel et de la vocation d'Abraham.
Il s'agit d'une seul texte qui a
été coupé en deux par un éditeur
ultérieur de la Genèse souhaitant insérer
là une généalogie provenant d'une autre source
(la source dite « sacerdotale »).
Le récit de la Tour de Babel
s'oppose comme en négatif à la vocation
d'Abraham.
Bâtissons-nous une ville
et une tour dont le sommet touche au ciel [...] afin que nous ne
soyons pas dispersés sur la face de toute la terre.
L'Éternel dit à Abram :
Va-t-en de ton pays, de ta patrie, et de la maison de ton
père.
Le désir d'enracinement de Babylone
et sa volonté de construire cette splendide et puissante
ville, s'oppose la foi juive (c'est effectivement à cette date
qu'a pris naissance le judaïsme) de trouver son identité
dans l'affirmation d'une intériorité qui sera
symbolisée quelques pages plus loin dans le livre de la
Genèse par la circoncision qu'Abraham se fit donner à
l'âge de 99 ans Genèse 17.
Faisons-nous un nom...
Je ferai de toi une grande nation
[...] je rendrai ton nom grand
La vieillesse sans force d'Abraham contredit
la technologie puissante de Babylone. Sa non-violence évidente
sera beaucoup plus sympathique aux peuples environnants que la
violence militaire de Nabuchodonosor qui avait réussi à
se faire détester de tous. C'est l'ouverture de
l'espérance qui s'oppose à la fermeture de
l'autosatisfaction.
Je te bénirai
[...] et tu
seras une source de bénédiction.
La bénédiction consiste
à « vouloir du
bien » à celui que
l'on bénit, de sorte que lui aussi bénisse alentour et
en une sorte de contagion positive :
toute les familles de la terre
seront bénies en toi.
Rayonnement du bien, de la
générosité, de la compréhension, de
l'altruisme. Aimer et être aimé.
Babel est typique d'un régime dominateur, puissant, inhumain,
méprisant
Abraham sera ouvert et paisible, errant dans un pays qu'il ne
posséderait pas.
Un esprit de foi, d'espérance et
d'amour que chacun puisera en son
coeur, de la part de Dieu, permettra de vivre, même à
Babylone où la vie semblait pourtant impossible. Un esprit qui
donnera à chacun - et à tous -
l'identité d'enfant de Dieu, sans qu'on ait plus besoin
désormais ni du roi (et Israël n'en aura plus jamais) ni
du temple (que l'on reconstruira néanmoins au retour de
l'Exil, en 538 et qui demeurera jusqu'à ce que le romain
Titus le détruise en 70 après
Jésus-Christ).
Relecture du texte au retour de
l'Exil.
Le retour tant attendu n'a pas
été facile. Le territoire d'Israël était en
ruine et surtout était occupé par des populations que
Nabuchodonosor y avait installées, qui n'étaient pas
juives et qui n'entendaient pas se laisser
déposséder.
Les textes de la Genèse que l'on
relisait alors, et que l'on complétait, montraient que l'on
pouvait néanmoins vivre en paix avec ces gens : Abraham
était présenté comme possédant, certes,
le pays, mais n'en prenant pas possession car « les Cananéens étaient alors
dans le pays »
Genèse 12.6, mais vivant en
paix avec eux dans le respect réciproque.
C'est cela l'esprit de « bénédiction » :
Toutes les familles de la terre
seront bénies en toi.
Les gens se sentent aimés et
respectés, invités à se bénir
mutuellement, à entrer dans cet « Esprit » donné à Abraham.
Dans la Genèse, contrairement au
livre de l'Exode plus guerrier, les
Patriarches réussissent toujours à s'intégrer
parmi leurs voisins, à s'en faire apprécier, à
prendre une place importante parmi eux et à y vivre heureux,
sans jamais se conduire en dominateurs.
L'auteur
« sacerdotal »
ajoutera même des éléments de
parenté : les Moabites et les Ammonites descendent,
explique-t-il - de façon un peu scabreuse - des
filles de Lot et sont donc cousins des Israélites.
Aurions-nous aujourd'hui l'idée
d'être cousins des Irakiens sunnites, chiites, kurdes, des Ivoiriens, des
Américains, des Israéliens, des
Palestiniens ?
Le Yahviste prêche qu'un style de
relation fraternel est possible, que l'on peut ne pas accuser,
critiquer, pourfendre les autres mais être pour eux une
bénédiction.
Cela ne s'est guère passé
ainsi. Dieu n'a pas dispersé les habitants de Babylone, les
Juifs n'ont pas été tellement une source de
bénédiction�
Ils ont néanmoins conservé et
recopié ces textes du Yahviste qui ont transmis jusqu'à
nous aujourd'hui cette foi, cette espérance et cet
amour.
De sorte que nous nous disons, nous
aussi, enfants d'Abraham et que nous
disons de lui qu'il est le Père des croyants.
.
La Fontaine disait que le vent froid
ne pourra jamais arracher le manteau
d'un voyageur qui le serrera au contraire contre lui, alors qu'un
doux soleil y parvient aisément !
Le pasteur Michaël
Piazza, de la Cathedral
of Hope de Dallas, Texas,
exhortait ses paroissiens à se conduire de telle sorte que les
autres peuples ne disent plus que les Américains sont
arrogants mais les trouvent sympathiques.
Un retraité
américain
bénéficiaire d'un fond de pension avait
été amené à rencontrer des
salariés lorrains que son conseil d'administration avait
réduits au chômage par sa rapacité. Il a dit,
à son retour : « je souhaite naturellement une retraite
confortable mais pas au prix du licenciement de ces
hommes ».
Il avait expérimenté la « bénédiction » d'Abraham.
Le Yahviste a raison, une autre mentalité est possible, un autre
monde. A l'esprit de Babel on peut préférer l'esprit
d'Abraham car il est l'Esprit saint de Dieu.
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