A toi la gloire
André
Gounelle
Un « A toi la gloire » prodigieux
Cet air magnifiquement chanté par un orchestre enchante les protestants
pour qui il est une sorte de Marseillaise identitaire.
Le professeur Gounelle nous donne les précisions que voici
18 octobre 2019
L'histoire de ce cantique comporte six étapes.
1e étape : Selon certains auteurs, mais ce n'est pas sûr, à l'origine de la mélodie il y aurait une chanson à boire qui célébrait le bon vin et les jolies filles et qu'on chantait volontiers dans des cabarets mal famés de Londres.
2e étape : Haendel remarque cette mélodie. Il la reprend, la retravaille, la magnifie et l'utilise dans deux oratorios joués en 1747 et 1748, l'un intitulé Josué, l'autre Judas Macchabée. Haendel a alors 62 ans (il mourra en 1759), il est célèbre et ses oratorios sont un succès. C'est autant la gloire de ces héros, de ces guerriers victorieux que sont Josué et Judas Macchabée qui est chanté que celle de Dieu.
Voici la traduction du texte latin de Josué :
Chantez pour le grand roi des cantiques joyeux
Que désormais les échos de votre musique résonnent parmi la mer, la terre et les astres
Faites partout sonner vos instruments, chantez et rythmez votre joie
Je signale qu'en 1745, les partisans du roi Georges II ont remporté une victoire décisive sur les partisans du prétendant Jacques Stuart, autrement dit les anglicans ont triomphé des catholiques ; cette mélodie triomphale s'inscrit dans un contexte politique qui en favorise le succès.
3e étape : Les églises anglicanes font de cette mélodie un cantique que l'on chante au moment de l'avent et de Noël.
4e étape : Un théologien allemand Friedrich Heinrich Ranke (1762-1836) écrit pour cette mélodie des paroles en allemand qui célèbrent l'accession de David à la royauté et qui commencent par « Réjouis-toi fille de Sion »
5e étape : Un pasteur suisse, appartenant à l'Église Libre du canton de Vaud, Edmond Louis Budry (1854-1932), qui a adapté en français les paroles de nombreux cantiques du répertoire anglais et allemand. écrit les paroles actuelles, celles qu'on chante dans nos cultes, en s'inspirant de Ranke. Il le fait à l'occasion du décès de sa première femme et il publie ce texte dans un recueil de cantiques en 1885. À toi le gloire est alors le plus souvent chanté à l'occasion de services funèbres.
6e étape : En 1938, la Fédération Protestante de France publie le recueil Louange et Prière, et y intègre À toi la gloire, alors relativement peu connu et le situe parmi les chants de Pâques. C'est à partir de là qu'il connaît un très grand succès à tel point qu'on a pu le qualifier de « marseillaise du protestantisme ».
Deux remarques :
D'abord, au niveau de la mélodie, on aurait une chanson au départ totalement profane qui devient chant d'Église. Ce n'est pas un cas unique : bien des chorals de Bach s'inspirent d'airs populaires, les cantiques du Réveil de mélodies romantiques et l'armée du salut a souvent plaqué des paroles religieuses sur des chansons à la mode. Je suppose que des mouvements évangéliques font aujourd'hui la même chose.
Ensuite, l'évolution des paroles est significative. Dans Josué et dans Judas Macchabée on chante la gloire de Dieu et il n'est évidemment pas question de Jésus. Une inflexion apparaît quand on se met en Angleterre à utiliser ce cantique pour l'Avent et pour Noël. Avec Budry, on a un véritable retournement. Les paroles passent Dieu sous silence, et ne mentionnent que le Christ. La religion du Fils tend à se substituer à la religion du Père, pour reprendre une expression de Freud. On oublie Dieu et on exalte Jésus.
Je rappelle que dans la tradition réformée ancienne, on évite de prier ou d'adorer Jésus, on prie et on adore Dieu au nom de ou à travers Jésus certes, mais Dieu seulement.
Selon le Nouveau Testament, Jésus ne ressuscite pas tout seul, c'est Dieu qui le ressuscite. À cet égard, les paroles du cantique sont douteuses, équivoques, un peu « limites », et elles infiltrent insidieusement une option théologique et spirituelle discutable en l'associant ou en la collant à une magnifique mélodie.
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