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La première histoire d'Israël

 

l'École deutéronomiste à l'œuvre

 

Thomas Römer

professeur de Bible hébraïque

au Collège de France
et à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l'Université de Lausanne

 

Labor et Fides

 

13 juin 2007 

Le livre biblique du Deutéronome
est l'introduction aux livres dits « historiques » de Josué, Juges, Samuel et Rois. Même dans une traduction française, le lecteur de ces livres y reconnaît aisément le style et le vocabulaire du Deutéronome.

On parlera donc d'une école deutéronomiste pour désigner les auteurs de ces livres qui ont oeuvré depuis la fin du VIIe siècle av. J-C et jusque pendant l'Exil à Babylone au VIe siècle av. J-C.

Le professeur Thomas Römer qui enseigne l'Ancien Testament à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l'Université de Lausanne nous donne ce remarquable livre qui permet de comprendre comment les étranges récits de guerres de l'Ancien Testament ont pu trouver naissance en confrontation avec les empires assyriens, babyloniens et perse.

Pour en rendre compte et donner envie aux internautes d'acquérir et de lire à tête reposée cet important ouvrage, en voici quelques pages.

 

p. 57

L'historicité de la découverte du livre du Deutéronome (rapportée en 2 Rois 22-23), soulève quelques difficultés. (Ce texte) est avant tout le « mythe fondateur » des Deutéronomistes et ne peut être utilisé naïvement comme le serait un rapport de témoin oculaire de la soi-disant réforme (du roi Josias). Le récit sous sa forme actuelle tient déjà compte de la destruction de Jérusalem et de l'exil babylonien (surtout dans les discours de la prophétesse Hulda en 22,16-17), le « fait important du règne et de la réforme de Josias » devenant ainsi, comme l'écrit T.R. Hobbs, « leur échec ». La purification du temple n'eut en fait guère d'effet puisqu'il fut détruit quelques décennies plus tard. Mais la découverte du livre offrait la possibilité de comprendre cette destruction et d'adorer Yhwh sans aucun temple.

Le topos de la découverte du livre est très commun dans la littérature ancienne et sert généralement à légitimer des changements dans l'ordre religieux, économique et politique. Le récit de restauration du temple et de découverte du livre en 2 R 22 est donc très probablement une construction littéraire complexe usant de motifs proche-orientaux.

 

p. 75

Bien que toute reconstruction historique précise du règne de Josias, dépendant lourdement du récit de 2 R 22-23, soit sujette à caution, il existe plusieurs indices d'un changement dans la situation politique du Levant dans la seconde moitié du VIIe siècle avant notre ère. A partir du IXe siècle, l'influence de l'Empire néo-assyrien n'a cessé de croître dans la région, et dès le règne de Tiglath-Pileser (745-727), tous les royaumes de Syrie et de Palestine sont de facto sous domination assyrienne. Le royaume du Nord (Israël), avec une économie et une structure politique plus développées que celles de Juda, donc plus intéressant, fut très rapidement contraint de devenir un État vassal. Il perdit définitivement son autonomie politique en 722, quand sa capitale, Samarie, fut prise, et tout le royaume intégré parmi les provinces assyriennes. La chute du royaume du Nord provoqua d'importants changements démographiques et sociaux en Juda. Les fouilles suggèrent clairement une croissance de la population et une extension de la ville de Jérusalem dès la fin du VIIIe siècle, probablement après 722 :

En quelques décennies - sûrement dans l'intervalle d'une génération - Jérusalem passa de l'état de modeste ville des collines d'environ 4 ou 5 hectares à celui d'une très grande zone urbaine de 700 hectares de maisons agglutinées, d'ateliers et de bâtiments publics. En termes démographiques, la population de la ville put s'être multipliée par quinze, passant de mille à quinze mille habitants. I. Finkelstein et N.A. Silberman, La Bible dévoilée, Bayard, 2002, page 364.

 

p. 100

Les (deux) livres de Samuel ne sont pas l'oeuvre d'un seul auteur ou rédacteur, mais résultent plutôt de la combinaison de plusieurs collections ou traditions. L'idée que la plupart de ces traditions ont été rédigées très tôt après les événements, au Xe ou IXe siècle, demeure très répandue. Mais c'est une opinion à abandonner absolument (La Bible dévoilée p. 194-227).
Aucun document extra-biblique contemporain n'atteste l'existence d'un immense Empire unifié davidique et salomonien, et Jérusalem à l'époque n'est qu'un modeste village des collines. La quête d'un David ou d'un Salomon historiques est aussi difficile que celle du roi Arthur. Il y a peut-être une mention de David hors de la Bible, dans une inscription découverte en 1993 à Dan, datant du IXe ou VIIIe siècle, et faisant référence à « la maison de David ». Si cette interprétation est correcte (la signification alternative concernerait un sanctuaire de la divinité « Dod » ; aujourd'hui une minorité de spécialistes adoptent cette hypothèse), cela montre que, parallèlement à Omri pour le Nord, David était réputé fondateur de la dynastie judéenne.
Ceci ne permet pourtant pas de situer la rédaction des histoires dans Samuel peu après le règne de David. Sous leur forme écrite, la plupart des récits présupposent la chute du royaume du Nord (722), à laquelle le sort de Saül fait allusion. Les auteurs connaissaient probablement des traditions anciennes, concernant, par exemple, la menace philistine. Mais ce type de mémoires ne permet pas de dater du Xe siècle les collections discernables en Samuel.

 

p. 108. n.54

L'histoire de la reine de Saba (venue rencontrer Salomon) a des airs de conte des « Mille et Une Nuits ». Le « royaume de Saba » apparut aux environs de 730 avant notre ère, mais le meilleur contexte de production de l'histoire biblique est probablement la période perse. Il pourrait en aller de même pour le « jugement de Salomon » en 1 Rois 3,16-28. Même si l'on attribue parfois cette histoire originellement sans rapport avec Salomon (le nom du roi n'est jamais mentionné) au VIIe siècle, elle a sans doute été insérée en 1 R 3.11 en même temps que celle de la reine de Saba).

 

p. 112

En bref, les origines de la bibliothèque deutéronomiste à la période néo-assyrienne
Pour résumer les résultats de l'enquête que nous avons menée, il est évident que les origines des productions littéraires deutéronomistes se situent à la cour de Jérusalem, au VIIe siècle. Les premiers deutéronomistes étaient de hauts fonctionnaires, la plupart probablement des scribes. Un grand nombre de formes littéraires que l'on trouve dans les livres du Deutéronome aux Rois imitent des conventions littéraires assyriennes. C'est particulièrement vrai du Deutéronome et de Josué. La rhétorique du Code deutéronomique est reprise de celle des traités de vassalité assyriens (le parallèle le plus clair vient des serments de loyauté d'Esarhaddon, dont un exemplaire exista probablement à Jérusalem).
Les récits de conquête de Jos 5-l2 sont aussi inspirés de la propagande militaire assyrienne, comme l'ont montré Van Seters et d'autres.

Les premiers rouleaux du Deutéronome et de Josué furent donc composés comme une réponse judéenne à la rhétorique du pouvoir et à la propagande assyriennes. Ces livres revendiquent pour le dieu national Yhwh les fonctions et la souveraineté du roi et des dieux assyriens. Selon Mann, l'idéologie assyrienne est militariste et nationaliste ; les mêmes termes s'appliquent à la relation entre Yhwh et son peuple dans le Deutéronome et Josué. Samuel et les Rois présentent aussi des parallèles aux conventions littéraires assyriennes. Le portrait de Salomon en constructeur ou restaurateur de temple et en roi sage et riche (1 R 3-14) est à l'image du roi de la propagande assyro-babylonienne ; quant au cadre structurant l'ensemble de 1 R 12 à 2 R 23, il est semblable à celui des chroniques royales d'Assyrie et de Babylone.
L'histoire du déclin de Saül et de l'ascension de David (1 S 9- 2 R 2) montre moins d'influence assyrienne ; peut-être le signe de traditions plus anciennes, retravaillées. Cependant l'insistance sur la stabilité de la dynastie davidique pourrait avoir une fonction polémique vis-à-vis des difficultés assyriennes récurrentes à assurer la succession après la mort d'un roi.

Les histoires de David et de Salomon, les chroniques des successeurs jusqu'à Josias étaient-elles déjà rassemblées en un seul rouleau ou existaient-elles encore indépendamment dans une collection flottante ? Il est assez tentant de supposer la préexistence d'une première édition d'un rouleau comprenant le récit de l'ascension de David, de la construction du temple par Salomon, de la translatio imperii du Nord au Sud et de la présentation de Josias comme nouveau David et nouveau Salomon.
Le but de ce rouleau. comme de ceux du Deutéronome et de Josué, aurait été de fournir un appui idéologique à la politique de centralisation et à la prétention de Juda à être le « véritable Israël ». L'idéologie de centralisation a réellement concerné les domaines politique, économique et religieux. Après 722, Jérusalem est devenue une vraie capitale, générant une concentration nouvelle du pouvoir politique et économique. Cette nouvelle situation se reflète dans l'idéologie de la centralisation du culte et dans la tentative des Deutéronomistes josianiques de promouvoir une vénération monolâtre de Yhwh au niveau d'une religion d'État.

La propagande deutéronomiste a affronté une première crise en 609 avant notre ère quand le roi égyptien, dont il était entre temps devenu le vassal, mit Josias à mort. Mais le vrai drame advint en 597 et 587 quand 1es Babyloniens détruisirent Jérusalem et en déportèrent la famille royale et la cour à Babylone.

 

p. 132

 L'édition exilique de l'Histoire deutéronomiste
Le Deutéronome ou le guide du lecteur de l'Histoire deutéronomiste

Essentiellement concernée par l'idéologie de la centralisation et de la loyauté absolue à Yhwh dans son édition assyrienne (Dt 6,4-5 ; 12-26 ; 28), l'édition exilique fait du Deutéronome une introduction à l'histoire depuis la conquête jusqu'à la perte du pays, comme racontée en Josué, Juges, Samuel et les Rois.

La fiction littéraire du Deutéronome

La fiction littéraire du Deutéronome, présentée comme dernier discours de Moïse, reflète la situation des exilés après 597 et 587 avant notre ère. En s'adressant directement à eux, en un sens, les Deutéronomistes les rendaient contemporains de Moïse, et cette fiction prend en charge la situation réelle de ce groupe en Babylonie : comme au temps de Moïse, ils se trouvent hors du pays et attendent les instructions qui leur permettront d'y entrer. Puisque la monarchie a échoué, les Deutéronomistes font remonter toutes les institutions importantes à la période des « origines », faisant de Moïse le médiateur entre Yhwh et Israël. Traditionnellement, c'est le roi qui représente la divinité pour son peuple et transmet la loi ; c'est maintenant à Moïse qu'incombent ces fonctions. En fait, selon la représentation deutéronomiste, il n'y a pas de nouvelle loi divine révélée après Moïse. Tous les héros à venir, comme les rois, doivent conformer leurs actes à la loi de Moïse ; elle fournit le critère herméneutique de l'histoire qui suit.

 

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