Les usages de Dieu
The Uses of God
Premier chapitre du livre « A New Great Story »
Don Cupitt
Traduction Gilles Castelnau
27 janvier 2015
Pour éviter tout malentendu, voici quelques remarques préliminaires sur le mot « Dieu » qui est employé de nos jours à tort et à travers.
En anglais contemporain on utilise couramment le mot « Dieu » comme synonyme de « religion ». On appelle « god-slot » (créneau de Dieu) le moment du dimanche soir où les chaines de télévision anglaises sont supposées diffuser une émission religieuse.
Un responsable bien connu du service de presse du Premier ministre a vertement répondu à un journaliste qui lui parlait de sa position religieuse : « nous ne nous occupons pas de Dieu ».
C’est dans ce sens que j’utilise dans ce livre le mot « Dieu ». Il désignera le monde spirituel dans son sens le plus large : au début un monde d’animaux et d’autres êtres mythiques, puis un monde peuplé d’esprits, ensuite un monde polythéiste de divinités agissant sous la présidence d’un Père céleste et finalement du Dieu unique du monothéisme « abrahamique » de la tradition juive, chrétienne et musulmane.
Le mot « Dieu » signifie donc au début la présence confuse d’obscures puissances, d’êtres invisibles et ce n’est qu’après plusieurs millénaires que la notion de « Dieu » est plus systématisée, centrée, unifiée jusqu’à devenir le Dieu Un.
La cosmologie et la psychologie ont suivi un peu plus tard la même évolution. Au fur et à mesure que les hommes se sont sédentarisés en un lieu, ils se sont représentés un monde centré et unifié, gouverné par une loi commune. Ce processus ne s’est achevé que dans les temps modernes et on le retrouve aussi dans l’évolution de la personnalité qui a, elle aussi, commencé de manière plurielle et l’est longtemps demeuré.
Aujourd’hui encore on entend dire : « l’esprit, l’âme et le corps », ce qui montre que la personnalité humaine n’est toujours pas totalement centrée et unifiée.
Il semble que toutes nos idées – ou du moins la plupart – concernant l’être humain et le monde n’ont jamais été conçues qu’en relation avec Dieu.
L’important passage du nomadisme à la sédentarisation a exigé de nouvelles institutions concernant le droit de possession, les questions de territoire, l’organisation légale, l’héritage, les frontières, l’argent, le marché etc. Comment les nomades ont-ils accepté un tel saut dans l’inconnu ? Ils n’avaient même pas le langage permettant d’exprimer toutes ces questions. Ils l’ont pourtant fait et y ont été aidés par l’annonce que Dieu fit par ses prophètes qu’il ne serait plus un Dieu nomade marchant à la tête de son peuple et demeurant sous la tente du tabernacle mais qu’il Il décidait de s’établir dans un temple de pierre, dans une Cité sainte et sur un territoire choisi et dont il promettait la possession au peuple et à sa descendance. La vie du peuple serait organisée à partir de ce lieu central et du Temple.
C’est donc la réflexion religieuse qui a permis aux nomades de traverser la grande mutation de la sédentarisation.
Ce premier exemple en suggère quantité d’autres semblables :
- Les peuples nomades n’emportaient évidemment pas de chaises avec eux. Dieu est le premier dont on a dit qu’il siégeait assis sur l’Arche de l’Alliance, conçue comme un trône portatif. Cette idée a ensuite été transférée aux trônes du roi, des évêques, des juges, des professeurs, des présidents.
- Les archéologues de l’âge du bronze nous ont montré que les plus anciennes installations sédentaires n’étaient pas constituées dans un ordre donné. Les premières rues rectilignes ont été imaginées pour les processions religieuses rituelles où l’on faisait avancer l’image du Dieu.
- Les premiers rideaux ont servi à dissimuler l’autel de Dieu et sa sainteté. On se souvient du voile du Temple. Aujourd’hui c’est notre propre intimité que protègent les rideaux.
- Le culte divin s’est progressivement étendu au service du roi.
Finalement ce sont toutes les prérogatives de Dieu qui tendent au cours des siècles à se démocratiser et se séculariser.
Ce qui nous distingue des animaux est que nous pensons toujours notre vie en relation avec un ensemble complexe d’idées et d’idéaux qui nous ont été transmis dès notre enfance et qui nous intègrent dans la société. Il s’agit de beaucoup plus que de seules coutumes tribales ou de manières d’être : nous baignons forcément dans une idéologie religieuse complexe qui représente, d’ailleurs, un puissant facteur de progrès.
Seule la religion a eu le dynamisme et la capacité de sédentariser les nomades, de les attacher à un territoire, de leur fournir une organisation politique, des lois organisant la propriété, les fêtes, le commerce et tout le reste.
Dieu a été le premier à penser un monde ordonné et unifié : « toutes les bêtes des champs sont à moi et le bétail sur toutes les collines ».
C’est bien la religion qui a été dès l’origine à la source du progrès. Elle a imaginé puis progressivement transféré à notre humanité les idées que nous avons fondamentalement faites nôtres, qui nous ont libérés de la Nature et nous ont rendus humains. C’est en ce sens et en ce sens seulement qu’on peut dire que Dieu nous a créés. Nous sommes toujours faits à son image.
On a dit plus tard que Dieu est à la fois le Commencement et la Fin, l’Alpha et l’Oméga, le Fondement et le But de notre existence. Cette idée de Dieu nous amène ainsi à critiquer et à récuser les anciennes habitudes, les anciennes conceptions de l’humanité et du monde et de parvenir à des niveaux de conscience et de liberté plus élevés.
Les anciennes coutumes semblent toujours plus fondamentales et les abandonner est pris comme un manque de foi ne pouvant mener qu’à l’obscurité et au vide. On continue donc à enseigner que Dieu est incompréhensible, impossible à représenter, obscur et impénétrable, que se rapprocher de Dieu en se vidant de soi-même, rend libre.
On peut dire que, globalement, la religion est restée une force progressiste dans la vie de l’humanité jusqu’à la fin du 16e siècle. Mais à cette époque les nouvelles théories scientifiques qui venaient de naître sont entrées en conflit avec les conceptions religieuses traditionnelles qui possédaient le terrain depuis longtemps. Galilée, par exemple, démolissait la philosophie d’Aristote en définissant Dieu comme ingénieur mathématicien.
Ceci provoqua, notamment dans le monde anglo-saxon une importante évolution dans la manière de penser Dieu. Jusqu’alors la compréhension métaphysique était fondée sur la philosophie de Platon. Dieu était conçu comme le Bien, objet transcendant de nos aspirations, mystérieux être « au-delà de l’être », demeurant depuis les temps bibliques dans une obscurité mystique.
Au 13e siècle une bonne partie de la conception de l’Être d’Aristote et de sa philosophie de la nature avait été ajoutée au théisme traditionnel et l’avait renouvelé.
Mais avec l’irruption des théories scientifiques, l’ancienne philosophie de Platon et d’Aristote déclina rapidement. Pour la remplacer un nouveau Dieu, plus scientifique, fut inventé, nommé en anglais « God of the Argument from Design ». (Son existence était fondée sur le fait qu’un dessein intelligent apparaissait évidemment lors de la réflexion sur le monde naturel. Note de GC).
Il était le personnage que Platon nommait « Démiurge » dans le Timée, architecte du monde, ingénieur et mathématicien, responsable de la perfection avec laquelle les petites machines que sont les organisme vivants sont adaptées à leur mode de vie. Cette nouvelle conception s’est rapidement développée dans le monde anglo-saxon, de Newton à Darwin. Mais, insuffisamment approfondie pour répondre vraiment aux besoin des intellectuels du 18e siècle, elle fut fermement réfutée par Hume et Kant.
Cette pensée est néanmoins si claire et simple qu’encore aujourd’hui les protestants évangéliques y demeurent attachés malgré les découvertes de Darwin. Aujourd’hui encore peu nombreux sont ceux qui sont conscients du fossé séparant le Dieu transcendant du vieux théisme métaphysique et l’Architecte organisant le monde à partir d’éléments préexistant.
Dieu est désormais exclusivement associé à la cosmogonie de l’univers ; il est conçu de manière quasi-scientifique à l’origine du monde, de la vie et en particulier de l’humanité. La religion qui parle d’espérance, de renouveau est oubliée.
Les évangéliques rejettent toute réflexion critique des idées religieuses et tout effort de progrès spirituel et se présentent pourtant étonnamment comme enracinés dans « la foi chrétienne traditionnelle ». Leur théologie est aussi vide que celle des temples bouddhistes de Hong Kong et on ne peut que donner raison au philosophe athée Richard Dawkins (l’équivalent anglais de Michel Onfray) pour sa critique de ce christianisme.
En conclusion, durant la période de la révolution scientifique, l’idée de Dieu a perdu de son dynamisme progressiste d’autrefois. Préoccupés de défendre une notion de Dieu globalement focalisée sur l’existence du cosmos et l’adaptation de la vie à l’environnement, les fidèles ont largement perdu le contact avec la théologie mystique traditionnelle.
A partir du milieu du 18e siècle, l’ancien théisme métaphysique a disparu – en tous cas dans le monde anglo-saxon.
Ma Nouvelle Grande Idée (« A New Great Story » est le titre du livre dont ces pages sont le premier chapitre) qui va être le contenu de ce livre est l’histoire notre culture idéale mise en relation avec l’évolution de notre pensée religieuse ; comment Dieu d’abord, puis le monde et finalement notre humanité ont été compris et ont pris forme.
On a d’abord créé Dieu, puis Dieu nous a progressivement créés ainsi que notre monde, tel qu’il est et tel qu’il évolue maintenant.
Traduction Gilles
Castelnau
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