Que peut-on croire
aujourd'hui ?
Prier pour le monde ?
Gilles
Castelnau
Dans les
prières d’intercession à la fin des cultes
(à la fin des messes on dit que ce sont des
prières universelles), on se laisse aller à une
grande déprime et on dit à Dieu tout ce qui ne
va pas. On lui demande de bien vouloir enfin
intervenir sur tous les sujets où manifestement
il lui reste tant à faire : il est clair
que c’est de lui que dépend la guérison des
malades, la fin des guerres que nous menons, la
découverte des vaccins, le partage équitable de
l’eau potable dans les pays arides et une
nourriture suffisante pour les populations
africaines affamées.
On recommence fidèlement et patiemment dimanche
après dimanche car on n’a jamais l’impression
que Dieu ait le moins du monde arrangé les
choses comme il pourrait si facilement le faire
dans sa toute puissance manifestement demeurée
inactive.
On ne lui fait, certes, aucun reproche direct,
mais il est clair que lorsqu’on considère tout
ce qui va mal, nos prières donnent l’impression
que l’on parle à un mur. Jamais le moindre
progrès dans le monde, jamais le plus petit
exaucement, Dieu semble ne rien voir de toutes
ces insuffisances qui nous aveuglent pourtant.
Nous lui parlons comme de petits enfants
dépendant de leurs parents et qui attendent
évidemment tout de leur intervention
bienveillante.
Nos prières d’intercession-universelles semblent
adressées à un « Père
tout-puissant créateur du ciel et de la
terre » qui pourrait tant faire et qui fait
si peu, qui pourrait tout voir et qui regarde si
mal, auquel il faudrait constamment rappeler ce
dont nous avons pourtant si évidemment un urgent
besoin.
Mais en réalité, Dieu est
en nous et sa présence agit par nous.
Il est plus que nous mais il n’agit pas sans
nous. Les théologiens disent qu’il est le Saint
Esprit : le Souffle qui se mêle à notre
propre souffle pour que nos poumons se gonflent
de la force et du courage que Dieu crée en nous,
pour affronter les forces maléfiques
destructrices d’espérance et de vie, pour que
les paroles que nous prononçons soient porteuses
du dynamisme divin et de sa créativité. Dieu est
aussi comme le Fondement divin dans lequel nous
sommes enracinés comme des plantes dans un
terreau nourricier.
Dieu est le créateur et le garant de la vie qui
nous anime comme elle anime tous les hommes,
chacun selon sa nature et sa culture, tous les
animaux et les plantes. Les minéraux peut-être
aussi, qui sait ?
Il est la Parole qui s’exprime en nous en se
mélangeant à nos propres paroles en un incognito
permanent. Que nous en soyons conscients ou non,
sourdement, il réoriente notre esprit dans une
direction positive, il nous suggère ce que l’on
peut penser et dire dans les circonstances qui
sont les nôtres. Il fait venir en nous des
pensées de paix et de fraternité lorsque
l’amertume et l’agressivité débordent dans nos
cœurs, des attitudes créatrices pour imaginer et
mettre en œuvre, à notre niveau et dans notre
milieu, avec les autres hommes de bonne volonté,
les mouvements novateur d’un monde meilleur ici,
maintenant et pour l’avenir.
On ne peut pas voir Dieu,
tout le monde le sait bien. Mais on ne
peut pas non plus l’entendre et on ne peut pas
décider que notre parole est sa Parole. C’est
après coup que l’on peut reconnaître que c’était
bien Lui qui était là.
Lorsqu’un élan fraternel nous a ouvert à un
prochain, c’est lui qui était dans les mots que
nous avons prononcés et le geste que nous avons
fait.
Lorsque malgré tout ce qui nous attendait, nous
avons réussi à nous lever et à marcher sur un
chemin pourtant bien noir, c’est sa force qui a
affermi la nôtre.
Lorsque nous avons trouvé le mot juste et le
sourire amical pour notre prochain en mal de
vivre, c’est lui qui nous l’a soufflé.
Lorsque les médecins ont trouvé les thérapies
qui améliorent désormais tellement le traitement
des enfants leucémiques, d’autres cancers, du
sida et de quantités de maladies également
terribles, c’est lui qui a mis en eux la
ténacité et l’intelligence de réussir.
Lorsque les techniciens ont conçu les IRM,
scanner, doppler et autres explorations
médicales qui participent à augmenter
considérablement notre espérance de vie, c’est
lui qui leur a suggéré la maîtrise de leur
science.
Lorsque les hommes politiques conçoivent des
lois protégeant les plus faibles : RSA,
arrêt des expulsions en hiver, gratuité des
soins dans les hôpitaux, lorsqu’ils s’associent
avec les responsables d’autres pays pour tenter
de limiter les catastrophes financières en Grèce
ou ailleurs, les exactions de Boko Aram ou les
menaces de Poutine, c’est Dieu qui joint dans la
mesure du possible son Esprit d’amour universel
à l’esprit des hommes de bonne volonté.
C’est pourquoi il est
injuste et immérité de prétendre
suggérer à Dieu dans nos prières qu’il ferait
bien de s’occuper davantage des points qui nous
paraissent pourtant urgent et de lui laisser
penser que nous le rendons seul responsable du
mal et des souffrances de notre monde. Il nous
répondrait à juste titre que nous ne devons pas
lui attribuer des tâches et des responsabilités
qui nous incombent et dont, d’ailleurs, il nous
a rendus capables.
La prière renonce dès lors à ses cascades de
demandes et se fait plutôt méditation :
attitude de calme, suscitée peut-être par une
lecture biblique, où l’on prend conscience de la
force de vie cosmique qui nous anime, nous rend
participant à toutes les autres vies du monde,
proches et lointaines et renouvelle en nos
cœurs l'amour et la créativité dynamique
que Jésus-Christ nous a fait connaître. Volonté
de Dieu que chacun, comme dit le prophète,
puisse demeurer « sous sa vigne, sous son
figuier et boire l’eau de sa propre
citerne » (Esaïe 36.17)