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Paul Tillich


Une foi réfléchie

 

 

André Gounelle

ancien doyen de la Faculté de théologie protestante de Montpellier

 

Éd. Olivétan

126 pages - 14,50 €


recension Gilles Castelnau

 

.

 

Paul Tillich (1886-1965) est certainement le plus important théologien de la période moderne. Il influence la pensée de nombreux théologiens actuels du monde anglo-saxon et de plus en plus de pasteurs (et de nombreux prêtres) francophones.

André Gounelle réussit, grâce à son don exceptionnel de lucidité et de simplicité, à nous faire comprendre cette pensée intelligente et libératrice. En effet, Paul Tillich pense qu’une parole qui ne nous concernerait pas « ultimement » ne serait pas une Parole de Dieu et c’est avec une exigence absolue qu’il s’applique à lui-même cette règle fondamentale : nombreux sont les croyants qui se détournaient de la foi à cause des présentations doctrinalement strictes et sèches qu’en faisaient leurs pasteurs et leurs prêtres et qui redécouvrent la fraîcheur et l’élan divin grâce à la compréhension qu’en propose Paul Tillich.

En voici quelques passages

 

page 20

La démarche théologique

[...]
Qu'en est-il de theos, du mot « Dieu » ? Tillich y voit un terme essentiellement relationnel ; il désigne ce ou celui qu’on adore et qu’on vénère, à qui on accorde sa confiance, qui anime et oriente son existence. Dans son Grand Catéchisme (1529), Luther écrit que la foi « fait » le Dieu. Certes, Dieu, s'il n'est pas illusoire, n'a pas besoin des croyants pour être ou exister objectivement ; sa réalité ne dépend pas d'eux. Cependant, en dehors de sa relation existentielle avec ses fidèles, il est l'Être Suprême, la Réalité Ultime, le Grand Architecte de l'Univers, mais pas, à proprement parler, Dieu. De la même manière que c’est l'amitié que je lui porte qui fait de Pierre un ami, de même l'appellation « Dieu » indique le culte qu’on rend à quelque chose ou à quelqu'un, l'importance qu'il prend et qu'on lui donne dans notre vie. Même des gens qui nient l'existence d'un être métaphysique et refusent toute transcendance ont, en ce sens, un dieu, non pas parce qu'ils croiraient obscurément, sans en avoir une conscience claire, à une entité surnaturelle, mais parce qu'il y a un idéal, un principe, une cause, une personne, un objet qui joue un rôle déterminant dans et pour leur existence.

Dieu, ainsi compris, nomme ce qui pour chacun de nous donne sens à sa vie. Dire cela ne dispense nullement de l'effort pour penser rigoureusement et objectivement son être. Mais cette réflexion vient à la suite, en second lieu, en conséquence d'un engagement existentiel. Elle ne naît pas seulement d'une curiosité ou d'un désir de savoir, elle prend sa source dans une interrogation légitime et un doute nécessaire. Comment ne pas me demander si ce en quoi je mets ma confiance la mérite vraiment ? Ce qui prend une importance ultime dans ma vie, est-il vraiment ultime ou suis-je victime d'un fantasme ? Mon Dieu est-il le vrai Dieu ou une idole, autrement dit, conduit-il mon existence vers son authenticité ou vers une catastrophe ? Si la relation vécue avec Dieu est bien première, elle engendre le besoin de s'enquérir de son être.

 

page 30

La corrélation
1. Tillich compare la théologie à une ellipse à deux foyers. La révélation (ou une révélation) divine constitue le premier foyer. Le discours théologique vient toujours en second. Il dépend et découle d'une manifestation préalable de Dieu. Tout commence par l'écoute ; elle précède la parole. Tillich insiste souvent sur ce point. Quand on lui demande : « Dans le monde actuel, que devons-nous faire et dire pour annoncer l'évangile ? » il répond : « d'abord, il nous faut le recevoir ».

La situation de l'être humain forme le second foyer. Elle comporte deux éléments. D'abord, un ensemble de réalités ontologiques (par exemple, le fait de devoir mourir), socio-économiques (l'organisation de la société où nous vivons), cognitives (l'état du savoir à un moment donné), culturelles et spirituelles (les idéaux et les valeurs qui dominent autour de nous). Ensuite, la manière dont nous vivons et ressentons ces réalités. Parfois on les accepte et elles satisfont, parfois elles suscitent malaises voire révoltes ; tantôt, on a une impression (juste ou fausse) de sécurité, tantôt on se sent (à tort ou à raison) fragile et menacé ; des périodes de cohésion et d'intégration alternent avec des temps de contestation et de décomposition. Le journalisme témoigne des agitations et émotions d'une époque.
[...]
La théologie se caractérise par cette dualité ; elle se réfère et porte attention aussi bien à la révélation qu'à la situation. Comment les mettre en correspondance et les articuler sans escamoter l'un des foyers ? Tillich propose deux pistes, celle de l'alliance d'une substance et d'une forme, celle de la rencontre entre des questions et des réponses.

2. Selon la première piste, la révélation fournit à la théologie chrétienne sa substance et la culture détermine sa forme. L’une lui enseigne ce qu'elle doit dire et l'autre lui apprend comment le dire. Cette piste paraît à première vue très simple, voire simpliste. Mais dès qu’on s y engage, on en découvre l'extrême complexité qui tient à deux raisons.

D’abord, il n’y a nulle part de substance sans forme. Même dans les écrits bibliques qui sont pour lui le lieu par excellence où se fait entendre la « parole de Dieu », le chrétien constate que la révélation ne se trouve pas à l'état pur. Elle se présente dans un moule culturel sémite pour l’Ancien Testament, judéo-hellénistique pour le Nouveau. Le message qui vient de Dieu ne se formule jamais en dehors d'un contexte précis et d'une conjoncture particulière. La révélation nous arrive dans des vêtements culturels et historiques. Il faut donc se livrer à une interprétation forcément risquée pour discerner la parole divine au travers de paroles humaines.

[...]

3. Tillich propose une seconde piste. On établit un pont entre la révélation et la situation quand on montre que la parole divine fournit de quoi surmonter les difficultés auxquelles se heurte la culture et de quoi satisfaire les aspirations qu'elle exprime. Une théologie authentique est « apologétique », autrement dit répondante. Elle a pour fonction de montrer les solutions que propose le message divin aux problèmes qui travaillent les êtres humains.

[...]

Notre existence a une forme interrogative. Sans cesse, elle mendie cet être qu'elle a, certes, mais en trop petite quantité. Plutôt que : « l'être humain pose des questions », il faut dire : « il est question ». La question, c'est lui-même. Nous sommes recherche, aspiration, désir, attente. Quand on prétend que l'homme sécularisé de la postmodernité ne se préoccupe plus du sens de son être ou de son existence, on se trompe. Pour Tillich, lorsqu’on ne les pose pas ouvertement, les questions ne disparaissent pas ; telles des braises sous la cendre, elles demeurent cachées, inaperçues, implicites mais présentes. Une interrogation fondamentale nous habite ; à un moment ou à un autre, elle jaillira et s'imposera. Les différentes activités humaines, ce que précisément on appelle la culture, traduisent dans des registres divers et sous des formes différentes cette quête qui nous constitue.

[...]

La théologie ne bâtit pas un édifice religieux à habiter, un immeuble de doctrines et de rites où se reposer. Elle anime et suscite un cheminement incessant. Sa route n'aboutit pas à un « terminus » , où elle s'arrêterait parce qu'elle aurait atteint ou trouvé une vérité absolue et définitive. À chaque époque, il lui faut chercher les nouvelles formulations à donner au même message fondamental dans des situations qui changent, selon le principe de la forme et de la substance. À des interrogations qui, tels certains feux de forêt, ne cessent de repartir ailleurs et autrement, elle doit toujours élaborer les répliques à apporter, selon le principe de la question et de la réponse.

 

 

page 44

Dieu

L’être-même
[...]
Si Dieu est l'être-même, il s'ensuit qu’on ne doit pas voir en lui un étant, un être particulier à côté et au-dessus d'autres. Tillich rejette le théisme.
[...]
Pour le théisme, Dieu est une personne suprême et supérieure qui a en dehors et en face d’elle d'autres personnes, inférieures et subordonnées, et des objets.
[...]
Au théisme ainsi défini, Tillich reproche de proposer l'image d’un Dieu fini, limité par le monde et les humains, vivant dans les mêmes cadres (temps, espace, causalité, etc.) que nous. Même si on lui reconnaît une grande supériorité, il reste très anthropomorphe ; on pourrait le comparer à une sorte de « superman ». Voir en Dieu un étant, un être particulier, même très puissant, très savant, très intelligent et très gentil le rapetisse, le ramène à notre mesure. Appliqués à Dieu, écrit Tillich, « les superlatifs deviennent des diminutifs ». En outre, le Dieu théiste provoque souvent des révoltes, car, en dépit des qualités positives qu’on lui reconnaît, il paraît vite écrasant. Au lieu de constituer la vérité profonde et fondatrice de notre être, il prend l'allure d un tyran qui s'impose despotiquement à nous de l'extérieur ; il nous soumet à sa loi ; il nous empêche d'être nous-mêmes et fait de nous sa propriété, sa chose. Tillich approuve la révolte d'un Nietzsche ou d'un Sartre contre un tel Dieu. Enfin, le théisme suscite immanquablement et logiquement sa réfutation ; comment ne pas nier un être qui se situe en dehors du monde des êtres ? Ce qu’on appelle athéisme consiste le plus souvent en un antithéisme, rejet non pas de Dieu lui-même, mais d’une conception théiste qui en masque et en fausse la vérité en faisant de lui « une personne comme les autres », « un objet parmi d'autres », même si on qualifie cette personne ou cet objet de « suprême ».

 

page 53

La puissance de l’être
[...]
En parlant de la puissance d'être, Tillich ne reprend pas à son compte la doctrine de la toute-puissance divine telle qu’on la comprend habituellement.

Dans la tradition chrétienne, on en rencontre deux grandes interprétations. La première affirme que Dieu décide de tout ce qui existe ou arrive ; il est la cause déterminante et consciente de chaque être et de chaque événement ; il a le monopole du pouvoir ou de la puissance ; il dispose de la potestas absoluta. La seconde déclare que toutes choses sont possibles à Dieu ; aucune éventualité ne lui est fermée ; il peut tout, mais ne fait pas tout, laissant aux créatures une certaine autonomie ; on parle alors plutôt d'omnipotentia.

Pour Tillich, ces deux conceptions restent dans le cadre et utilisent les catégories du théisme classique. Elles pensent la puissance divine comme la domination d'un souverain sur les choses et les personnes, alors que la puissance d'être telle que Tillich la conçoit agit dans les choses et les personnes. La toute-puissance de Dieu ne veut pas dire que tout lui est soumis comme à un monarque absolu ou qu'il peut faire n'importe quoi selon son bon plaisir (la comprendre ainsi nous plonge « dans un brouillard de représentations absurdes »). Elle signifie que sa puissance ne sera jamais vaincue, qu'elle finira par l'emporter sur toutes les autres puissances, qu'elle aura le dernier mot.

[...]

Ensuite, le non-être relatif qui désigne ce qui menace l'être, l’attaque, l'abîme, le dégrade et essaie de l'abattre. Il correspond, en gros, à ce que le langage symbolique de la religion qualifie de « démoniaque ». Il n'est pas étranger à l'être, comme le néant, il lui est hostile ; il tente de le défaire, de le décomposer. Il englobe ce qu'il faut surmonter pour vivre : la paresse, la lâcheté, le désespoir, la culpabilité, la maladie, la mort, l'absurde, etc. Il se situe à l'intérieur de nous, au sein de ce qu'il veut détruire.

[...]

Dieu « puissance de l'être » lutte contre ce non-être relatif et agressif non seulement dans le monde, mais aussi en lui-même. Il se heurte, comme nous, à une négativité, à une force de néantisation qu'il domine certes (alors que nous, nous finissons par être vaincus), mais qui ne dis- paraît jamais.

 

 

page 85

Jésus le Christ

 

La Croix et la Résurrection
[...]
Tillich refuse la thèse d’une mort expiatoire qui aurait été la rançon à payer pour nos péchés, Jésus subissant à notre place la punition que nous avons méritée. Il donne à la Croix une double signification.

Premièrement, elle met en évidence que Jésus n'a été ni préservé ni épargné. Il ne bénéficie d'aucun privilège, d'aucune exemption. Il ne possède pas un talisman surnaturel qui le protégerait des pires vicissitudes de l'existence ; il ne dispose pas, tel Astérix, d'une « potion magique » qui lui permettrait de sortir intact des situations les plus périlleuses. À la différence de certains récits de miracles qui lui confèrent des pouvoirs extraordinaires, son arrestation et son exécution mettent en évidence une fragilité et une vulnérabilité semblables aux nôtres. Il a subi les calamités qui s'abattent parfois sur les hommes sans perdre son lien avec Dieu ; elles n’ont pas détruit en lui « l’être nouveau ». Une existence en communion avec Dieu est donc possible pour les êtres que nous sommes ; elle ne demande pas des conditions hors du commun.

Deuxièmement, en acceptant de mourir, Jésus montre qu'il n'a en lui ni incroyance, ni orgueil ni concupiscence. Il ne poursuit aucun dessein personnel ; il sacrifie à sa mission l'individu de chair et de sang qu'il est. Golgotha devrait rendre impossible toute « jésulâtrie », c'est-à-dire toute idolâtrie de l'homme Jésus, et écarter toute théologie qui en ferait « l’objet de la foi chrétienne ». La Croix montre, en effet, que pour lui et pour le Nouveau Testament, son humanité n'est pas ultime puisqu'il sacrifie « ce qui en lui est Jésus à ce qui en lui est le Christ » (on pourrait traduire aussi : il sacrifie « son "être Jésus" à son "être le Christ" ») ; ailleurs, Tillich écrit qu'il se sacrifie « en tant qu'individu particulier… à lui-même en tant que porteur de l'Être nouveau ». La vérité dernière de son existence et de la nôtre ne réside pas en lui, mais en celui qu'il appelle son Père. Il s'efface, renonce à lui-même pour qu'on ne s'arrête pas à lui ; sa personne humaine consent à son propre anéantissement afin de ne pas masquer ou perturber la vérité qu'il porte et dont il témoigne. La Croix interdit d'identifier l'homme de Nazareth avec Dieu ; du coup, elle fait de Jésus le révélateur par excellence de Dieu, celui qui le manifeste de manière décisive et indépassable.

 

 

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