Clés pour le pentateuque
État de la recherche et thèmes fondamentaux
Diana V. Edelman
spéciaiste de la Bible hébraïque
Philip R. Davies
professeur à l'Université de Sheffield
Christophe Nihan
professeur à l'Université de Lausanne
Thomas Römer
professeur à l'Université de Lausanne
professeur au Collège de France
Édition Labor et Fides
240 pages – 25 €
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recension Gilles Castelnau
2 novembre 2013
Ce livre nous situe à la pointe de la recherche biblique actuelle et déstabilisera les certitudes traditionnelles des lecteurs qui n’ont pas suivi les publications savantes qui se succèdent depuis vingt ans.
Les noms de peuples et de lieux, le vocabulaire en général en rend également la lecture difficile pour ceux qui ne sont pas familiers de ce genre d’études.
Mais pour ceux qui prennent la peine d’entrer dans ce travail, qui ouvrent leur bible pour lire et souligner les nombreux passages mentionnés, qui se réfèrent fidèlement lorsque cela s’avère nécessaire au petit glossaire en fin de volume, un tout nouveau visage de la Bible apparaît.
On prend conscience du fait que nombre de textes bibliques ont dû être remaniés lors des aléas de l’histoire d’Israël ; on découvre l’évolution vers le monothéisme de conceptions où le Dieu Yhwh cohabitait avec les Dieux cananéens et… sa propre « parèdre » Ashéra.
Et on se prend à participer avec la foi puissante et primitive de ces temps si anciens, renforçant nos conceptions actuelles hésitantes et source de doute.
Voici quelques passages choisis parmi ceux que l’on a le moins de peine à assimiler. Souhaitons que nombreux soient ceux qui s’enhardiront à aborder ce livre, ils en seront largement récompensés.
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page 131
L'ordre de construire un autel au mont Garizim, en Dt 27,4-8, doit être regardé comme une concession faite aux yahwistes de Samarie. Sur la base du témoignage de Josèphe (Antiquités 11.3l7-319), cette construction a été située après la conquête de la Palestine par Alexandre. Cependant, les fouilles de Y. Magen sur le site ces dernières décennies ont suggéré que cette datation est probablement trop tardive : le sanctuaire était déjà construit au Ve siècle av. J.-C., sans doute après la réoccupation de Sichem vers 480-475 (cf. Magen 2000 ; Magen et Stern 2000).
Dans ce cas, l'ordre de construction d'un autel au « mont Garizim » en Dt 27,4 selon le Pentateuque samaritain et sa mention dans un codex de la Vieille latine ont sans doute été introduits lors de la composition du Pentateuque comme moyen de légitimer l'autel samaritain nouvellement construit, malgré la prescription de Dt 12 (un seul autel).
Il faut cependant noter qu'il n'est pas dit que l'autel de Dt 27 puisse être l'autel unique de Dt 12 ; la localisation de celui-ci au site choisi directement par Yhwh (à Jérusalem ou au Garizim) est laissée à l’appréciation de chaque communauté (voir pour plus de détails Nihan 2007b). Quoi qu'il en soit, l'introduction de Dt 27 dans le Pentateuque facilita et permit l'adoption du Pentateuque comme Torah en Yehud et en Samarie.
page 152
L'observation selon laquelle « Canaan » est parfois plus grand que le pays où les tribus israélites sont censées s'être installées conduit à une autre remarque : l'importance des origines étrangères et du voyage étranger aussi bien que la relation entre la terre et ses voisins. Abraham vient d'Ur, puis de Harran (laissant sa famille derrière lui, implicitement la première fois, explicitement la seconde), il s'en va en Egypte et plus tard, comme Isaac, au pays des Philistins. Jacob vit plusieurs années en Aram (Syrie) et toute la famille de Jacob s'en va finalement en Egypte. Les descendants de Jacob voyagent même vers Canaan par la longue route qui les y mène à travers la péninsule du Sinaï, à travers le Néguev et via la Transjordanie. Tout se passe comme si tous ces parcours anticipaient une diaspora, incluant en route des lieux où Israélites (ou Judéens) peuvent s'établir, les amenant ainsi dans l'orbite ancestrale. Si c'est là la visée, cela offre quelque indication sur la date et le contexte de la géographie du Pentateuque; cela montrerait une conscience qu'il y a des parties d'Israël qui ne sont pas dans la « terre d'Israël », à part Galaad et Bashan - de même qu'il y a des non-Israélites (Edomites et Philistins) dans le pays.
page 158
Yhwh et Ashéra
A l'époque des deux royaumes, Yhwh fut continuellement associé à une divinité féminine, Ashéra. Ensemble, le couple divin était la source principale d'abondance animale, agricole et humaine. Des inscriptions d'un poste-halte au désert du Sinaï, à Quntillet’ Ajrud, invoquent les bénédictions de « Yhwh de Samarie et (son) Ashéra » et une autre de « Yhwh de Teiman (au sud) et (son) Ashéra ». Le site date d'env. 850 av. J.-C. Une inscription sur une tombe à Khirbet el-Qom, dans la Shéphélah, dans le territoire du royaume de Juda, à peu près contemporaine, demande les bénédictions de Yhwh et (son) Ashéra (Zevit 2001, pp. 359-405).
Un symbole d'Ashéra en bois faisait partie du culte officiel du temple de Jérusalem (2 R 18,4 ; 23,4.6); un groupe consacré tissait au temple en son honneur (2 R 23,7). Des centaines de figurines féminines avec une abondante poitrine ont été trouvées en Juda. Il est généralement admis qu'elles sont les témoins des efforts des femmes pour demander à Ashéra des enfants en bonne santé et suffisamment de lait pour les nourrir (Kletter 1996).
page 159
Yhwh, El et Baal
Dans les textes bibliques, Yhwh revêt des caractéristiques typiquement associées aux deux types bien connus de divinités mâles : le créateur âgé qui était le chef masculin du panthéon divin, le père des dieux et de toute vie sur terre, humaine, animale et végétale (le type « El ») ; et le jeune dieu mâle associé à la fertilité animale et agricole et à la guerre (le type Baal). Leur témoin le mieux connu est le cycle des mythes trouvé à Ras-Shamra, sur la côte syrienne. C'était le site du royaume d'Ougarit, et les textes ont été trouvés dans ses ruines, généralement datés du XIIe siècle av. J.-C. Dans ces textes, El est dépeint comme un mâle âgé, barbu, siégeant sur un trône. Il est appelé père des dieux ; il a créé la terre et le ciel. Baal d'autre part est un dieu de l'orage, un mâle jeune, viril, puissant, souvent associé au taureau comme El. Faiseur de pluie, il est responsable de la naissance des récoltes et de la survie des animaux. Les populations de l'Ancien Levant dépendaient de la pluie pour donner de l'eau à leurs troupeaux et à leurs cultures ; il n'y avait en effet pas assez de rivières permanentes. Une stèle de Baal provenant d'un temple d'Ougarit le montre, un pied en avant de l’autre et un bras levé brandissant une massue, l'autre tendu, la foudre en main. Selon les mythes ougaritiques de Baal, il est le chef militaire d'une plus jeune génération de dieux qui ont défait son rival, le Dieu marin Yam, devenu roi de la même génération au ciel (Dietrich, Laretz et Sanmartin 1995).
Dans différents textes bibliques, Yhwh est dépeint comme une divinité de type El. Celles que connaissent les patriarches dans la Genèse sont des manifestations d'El ou présentent des traits associés à un dieu générique, 'el pouvant être le nom commun signifiant « Dieu » : el elyon (Gn 14,18-20.22), el roi (Gn 16,13), el shaddaï (Gn 17,1), el olam (Gn 21,33), el elohe yisrael (Gn 33,20) et el bethel (Gn 35,7). Yhwh est identifié à la plupart des El/els dans la Genèse individuellement et donc avec el shaddai des patriarches, en Ex 6,2-3. Il est un dieu âgé, patriarcal, siégeant sur son trône au ciel. Il est appelé le « créateur » et « père », source de grande sagesse en Job 15,7-8.
Yhwh est aussi dépeint en divinité de type Baal dans nombre de textes bibliques. Particulièrement intéressant le texte grec de Dt 32,8-9 où el elyon distribue des territoires à diverses divinités sur terre, Yhwh recevant Jacob pour sa part. Ici, Yhwh est l'un des dieux de la jeune génération de dieux nationaux. Le rôle de pourvoyeur de pluie de Yhwh est souligné ; voir surtout I Rois 18 où Yhwh l'emporte sur Baal au mont Carmel, puis envoie la pluie. Son statut de guerrier divin est très répandu dans la Bible hébraïque et à deux reprises, il prend position sur le mont Sion, son lieu saint, pour repousser des ennemis qui l'assaillent (Es 31,4-5 ; Za 14,l-9). Sa victoire sur le monstre aquatique cosmique diversement manifestée est parallèle à la défaite infligée par Baal au dieu marin Yam. Dans la tradition biblique, Yhwh combat contre la Mer, Léviathan, Rahab, Tannin et les eaux.
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