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Faut-il revoir la traduction

de l’oraison dominicale ?

 

 

pasteur Jean-Marc Babut

docteur en sciences bibliques
traducteur de la TOB et de la Bible en français courant

 

Foi & Vie

Revue de culture protestante

juin 2013 – 10 €

 

 

Recension Gilles Castelnau

 

16 juin 2013

Dans ce long article de 26 pages l’éminent connaisseur de la Bible qu’est le pasteur Jean-Marc Babut étudie le sens de chaque demande du Notre Père.

Voici quelques lignes de chacune des conclusions qu’il propose.

 

.

 

En 1966 les Églises francophones se sont dotées d'une formule liturgique commune pour l'Oraison dominicale. Le progrès était bienvenu dans la mesure où il permettait à des chrétiens d'obédiences différentes de prononcer à l'unisson la prière du Seigneur quand ils étaient réunis.

Il ne s'agissait pourtant pas d'une nouvelle traduction de l'Oraison dominicale, mais plutôt d'une synthèse de deux traditions liturgiques en fin de compte assez peu différentes. L’objectif visait à ce que les habitudes liturgiques des uns et des autres soient dérangées le moins possible. [...]

 

Le premier vœu

Que ton nom soit sanctifié

 

On voit difficilement en effet le disciple pressant Dieu de réaliser son propre projet. Il ne s'agit donc pas d'une demande, mais bien d'un souhait, et même d'un engagement ; le disciple qui prie ainsi s'engage devant Dieu, après Jésus et avec ses co-disciples, à ce que Dieu soit enfin reconnu pour ce qu’il est vraiment. Au lieu du « Fais connaître à tous qui tu es », il faudrait plutôt faire apparaître l'engagement de I'orant.

[...]

Le premier vœu de l'oraison dominicale devrait donc être rendu par quelque chose comme « Que tous reconnaissent qui tu es ! », étant entendu que c'est à cela même que nous nous engageons.

 

 

Le second vœu

Que ton Règne vienne

 

Pour Jésus ce Règne n'était pas à attendre passivement, même avec fièvre, puisque selon lui « le Règne de Dieu est devenu tout proche ». Tel est en effet le condensé de l'Évangile (message de salut) que Jésus proclame lui-même et qu'il charge ses disciples de répandre à leur tour. Puisque le Règne de Dieu n'est plus à attendre, il doit être cherché, et le salut consiste à y entrer. La porte d'entrée du Règne de Dieu est certes étroite et d'autant plus difficile à franchir qu'elle mène au monde nouveau de Dieu, là où la vie se conforme à de tout autres normes que celles qui prévalent au sein de notre humanité, pour laquelle il n'y a de salut qu'avec plus d'avoir et donc de pouvoir.

[...]

« Que ton Règne advienne ! » ne saurait donc être considéré comme une demande adressée à Dieu. Le contexte de l'Évangile appelle plutôt à comprendre ce vœu comme un engagement ou un réengagement du disciple à se mettre corps et âme au service du monde nouveau de Dieu, d'autant plus que, si le Règne de Dieu est devenu tout proche, il n'en est pas pour autant déjà parvenu à son but. Des paraboles comme celles de la semence ou de la graine de moutarde montrent qu'avec Jésus ce Règne n'en est encore qu'à son commencement, bien que son avenir soit dès à présent assuré du succès le plus total.

Le second vœu de I'oraison dominicale pourrait donc être rendu par quelque chose comme : « Que ton monde nouveau advienne ! », sous-entendu : mes co-disciples et moi, nous nous y engageons devant toi.

 

 

Le troisième vœu

Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel

 

Avec l’entrée en lice de Jésus la perspective avait radicalement changé : c'est maintenant que le Règne de Dieu commençait, il était déjà là où était Jésus, là où était enfin pris en compte ce que Dieu attendait des humains. Celui qui a donc choisi de suivre Jésus se considère comme pleinement impliqué dans ce changement : Que ce que tu désires soit fait sur la terre aussi bien que cela est déjà fait au ciel ! n'est qu'une autre façon de dire Que ton Règne advienne !

En conséquence la traduction de ce troisième vœu de I'oraison dominicale pourrait être quelque chose comme : Que sur la terre on réponde à ton attente aussi bien que dans le ciel !

 

 

Le Père

 

Ce qui manque à la métaphore ftançaise par rapport à celle dont use Jésus, c'est la dimension d’autorité, même si cette autorité n'a rien de commun avec celle du potentat de l’Antiquité, lequel a pourtant souvent servi de modèle à l’image qu'on se fait de Dieu. On l'a vu, l'autorité du Père évoqué par Jésus est l'autorité de Celui qui voit autrement plus clair que l'ensemble des humains, même de ceux qui se réclament de Lui. C'est l'autorité de Celui qui sait où la vraie sagesse oriente les humains.

Il apparaît donc que la traduction du patér grec par le français Père est appauvrissante. Si on cherche à rendre l’intégralité du sens, quelque chose comme Maître paternel rendrait plus complètement le contenu sémantique de la métaphore usitée par Jésus.

 

 

 

La première demande

Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour

 

Le contexte théologique de l’enseignement de Jésus invite donc à traduire la première demande proprement dite du Notre Père par quelque chose comme « Donne-nous aujourd’hui notre pain pour le jour qui vient », sous-entendu « afin de nous donner la force de remplir la mission dont tu nous a chargés ».

 

 

 

La deuxième demande

Pardonne-nous nos offenses
comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés

 

Le pardon reçu entraîne pour nous l'obligation d'accorder à notre tour le pardon. C’est ce que Jésus a clairement mis en lumière dans sa parabole dite du serviteur impitoyable. La deuxième demande proprement dite du Notre père pourrait donc être formulée en une première approximation comme ceci : « Remets-nous nos dettes. De la même manière nous remettons leurs dettes à ceux qui nous sont redevables ».

 

 

 

La troisième demande

Ne nous soumets pas à la tentation

 

Le récit de la Passion, et notamment l'épisode de Gethsémani apporte lui aussi un éclairage sur ce qu'est la tentation. Jésus n'a plus aucun doute sur la décision de l'éliminer prise par les autorités religieuses de Jérusalem. Se dérober à leur menace laisserait entendre qu'il tient plus à sa propre vie qu'à la vérité du message de salut dont il est porteur et qui insupporte radicalement les autorités religieuses de Jérusalem. Dans sa prière angoissée Jésus s’engage pourtant à donner la priorité au désir de Dieu, lequel ne vise évidemment pas à la mort de son envoyé mais bien au succès de son message de salut pour l'humanité.

[...]

Le binôme « entrer dans la tentation » évoque par antithèse un autre binôme souvent employé par Jésus, « entrer dans la basileia (monde nouveau) de Dieu », avec ses variantes comme « entrer dans la vie ». « Entrer en tentation » apparaît comme quelque chose de naturel à l'être humain. On ne peut en attribuer à Dieu la responsabilité, ce que la sentence de l’épître de Jacques confirmera expressément : « Dieu ne tente personne ».

[...]

Reste à rendre l'explicitation matthéenne de la dernière demande. À qui ou à quoi ceux qui reprennent l'oraison dominicale demandent-ils à être arrachés ? S'agit-il d'un terme neutre (ponèron, le mal) ou d'un terme masculin (ponèros, le Malin, le Mauvais, le Méchant) ? Les spécialistes restent divisés, et les versions bibliques en usage ont même varié au cours de leurs éditions successives.

[...]

Le contexte d'ensemble de Matthieu incline donc à comprendre l'agent tentateur comme un sujet personnifié plutôt que comme une réalité abstraite, et à donner en conséquence la préférence à une traduction comme le Malin ou le Mauvais.

 

 

Proposition finale

 

Notre Père qui es là-haut,

Que tous reconnaissent qui tu es !

Que ton monde nouveau advienne !

Que l'on reponde à ton attente aussi bien sur la terre que dans le ciel !

Donne-nous aujourd'hui le pain pour le jour qui vient.

Ce que nous n'avons pas fait, ne nous en tiens pas rigueur ;
de la même manière nous remettons leur dette à ceux qui nous sont redevables.

Ne nous laisse pas entrer dans la tentation

Mais arrache-nous au Séducteur.

 

 

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