Avec sa clarté coutumière, il présente ici l’essentiel de la foi protestante, en six chapitres et une conclusion : La protestation protestante, la Bible, le salut gratuit, l’Église, le culte, la prédication et la cène, les combats pour aujourd’hui.
La Bible
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Écriture et Église
Dans le catholicisme classique, la Bible se trouve toujours associée à la tradition et à l'enseignement de l'Église. Elle parvient au fidèle expliquée, commentée, interprétée ; tout un discours ecclésiastique l'entoure, l'enrobe et s'agglutine à elle. Selon des images souvent utilisées, la Bible constitue un trésor qui appartient à l'Église, et dont elle dispose, à son gré, pour nourrir les âmes qui lui sont confiées.
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Les Réformateurs n'ont pas opéré une révolution en proclamant l'autorité de l'Écriture (leurs adversaires la reconnaissaient sans aucune réserve), mais en distinguant l'Écriture de l'Église, en confrontant l'une avec l'autre, en les opposant.
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Au lieu de se servir de la Bible afin de légitimer les doctrines et pratiques de l'Église, ils lui ont demandé de les critiquer, de les bousculer, voire de les renverser. Ils ont lu l'Écriture « pour s'y cogner le nez » (comme le dit Zwingli), et non pas pour se conforter et se donner bonne conscience. Tout autant qu’un fondement, ils ont cherché dans la Bible un juge ou un examinateur qui dénonce ce qui va mal, et indique ce qui doit être changé.
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Écriture et Esprit
Pour les Réformateurs, il ne suffit pas d’avoir l’Écriture, de la lire et de se référer à elle. Elle n’est pas, en elle-même, parole de Dieu ; elle ne le devient que par l'action du Saint-Esprit dans le cœur et l'intelligence de celui qui la lit. Le Saint-Esprit fait qu'à travers un texte qui, sans lui, serait une « lettre morte », nous entendons et recevons une parole venant de Dieu.
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Sans l'Esprit, la Bible ne me parlerait pas vraiment, ni ne me toucherait en profondeur. Elle ne se présenterait pas à moi comme un message qui m'est personnellement adressé et qui concerne mon existence. Ma religion deviendrait soumission à un texte figé et dépourvu de vie.
Le salut gratuit
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La grande affirmation de la Réforme
Le salut par grâce constitue donc la première et la plus fondamentale des affirmations de la Réforme. Elle est même plus importante et plus significative que celle de l'autorité de l'Écriture. Au XVIe siècle, cette affirmation eut un impact considérable ; elle transforma la vie de beaucoup de gens. À cette époque, la conscience de leurs fautes et la crainte d'un châtiment éternel terrorisaient quantité d'hommes et de femmes. D'admirables et hallucinants tableaux figurant le « jugement dernier » expriment cette angoisse ; on y voit les défunts en train de comparaître devant le tribunal de Dieu, qui, selon ce qu'ils ont fait, les envoie en enfer ou au paradis. Il y avait, effectivement, de quoi avoir peur. Aussi multipliait-on les pratiques pieuses et les actes de dévotion ; on espérait, ce faisant, mériter l'indulgence de Dieu.
Longtemps, Luther a partagé cette angoisse. Il voyait en Dieu un juge impitoyable, qui ne laissait passer aucune faute ni aucune erreur. Et puis, un jour, en étudiant l'Épître aux Romains, il découvrit que, selon le Nouveau Testament, le salut est un don gratuit de Dieu, et non la récompense des actions de l'homme. Nous n'avons pas à mériter si peu que ce soit notre pardon ; nous en sommes, d'ailleurs, incapables. Il nous est accordé, sans contrepartie, par le Christ. Le Christ ne vient pas en juge, mais en sauveur. Dieu agit et intervient pour libérer le coupable ; il ne veut pas l'accabler et le condamner. L'annonce du salut gratuit a représenté au XVIe siècle une véritable révolution religieuse. À l'angoisse succédait la joie. La reconnaissance envers Dieu remplaçait la peur. Le message de la Réforme a retenti comme une enthousiasmante nouvelle qui changeait la condition de l'homme. Il a été vraiment « évangile » (« évangile » veut dire bonne nouvelle).
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Vivre le salut gratuit
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« Avec soi-même ». Le salut gratuit nous délivre de tout angoisse concernant notre personne. Il nous enlève toute inquiétude sur notre propre sort.
L’Église
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L’Église : d’abord, un événement
Pour le protestantisme, l’Église se définit d’abord par un événement. Les Réformateurs affirment qu’elle surgit et existe quand la parole de Dieu est purement prêchée et écoutée, et quand les sacrements sont droitement administrés (« droitement » signifie ici : conformément aux instructions du Christ).
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L’Église : ensuite, une institution
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L'Évangile passe avant l'Église, ne se confond pas avec elle, et reste libre à son égard. L'événement de la parole de Dieu annoncée et reçue relève uniquement de l'action du Saint¬-Esprit ; l'institution dépend de cet événement dont elle est la suite et la conséquence. La proclamation de la parole de Dieu constitue le fait premier qui commande et détermine tout le reste, y compris la communauté.
En insistant très fortement sur la subordination de l'institution à l'événement, le protestantisme se sépare des autres confessions chrétiennes. Il affirme que le Christ nous rencontre par sa parole, et que cette parole entraîne, ensuite, la formation de la communauté. L'événement crée l'institution. Le catholicisme tend à inverser ce mouvement ; on pourrait presque dire que, pour lui, l'institution crée l'événement ; en effet, en consacrant l'hostie, le prêtre rend le Christ présent ; en la distribuant, il provoque la rencontre avec le Christ. L'orthodoxie va dans le même sens que le catholicisme. Le théologien orthodoxe Paul Evdokimov écrit que l'« événement de la présence du Christ ne s'opère que dans le cadre de l'institution ecclésiastique ». Seule l'Église permet une relation pleine et totale avec le Christ. Un protestant dira, au contraire, que seule une relation authentique avec le Christ permet l'apparition de la véritable Église.
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L’autorité de l’Église
Dans la foi, je me trouve directement devant Dieu, en sa présence, à son écoute. L'Église ne vient pas s'interposer entre Dieu et moi ; elle ne réglemente pas ma relation au Christ, et n'a aucun pouvoir sur le lien qui m'unit à lui.
Il n'appartient donc pas à l'institution ecclésiastique de dire ce qu'il me faut croire et faire. Je dois me décider personnellement devant Dieu, en fonction de sa parole. L'Église n'exerce aucun magistère. Il n'entre pas dans ses attributions de définir des dogmes que je devrais accepter, ni des règles morales auxquelles je devrais me soumettre. Elle a pour vocation d'être la place et le moment où je suis appelé à écouter la parole de Dieu et à y conformer ma vie. Elle m'aide à réfléchir sur ce que signifie la foi chrétienne, et sur ce qu'elle implique concrètement. Elle sort de son rôle légitime quand elle entend me dicter mes croyances et mon comportement, lorsqu'elle prétend juger de la foi ou de la conduite de ses fidèles. C'est le Christ qui a autorité, non l'Église. Quand on demande aux dirigeants et aux assemblées ecclésiastiques de prendre position sur tel ou tel point, d'indiquer la bonne doctrine ou la bonne pratique, on adopte une attitude catholique, et on abandonne un principe essentiel du protestantisme.