Conaissance de la Bible
L'évangile de
Judas
Gilles
Castelnau
11 avril 2006
La découverte, la publication et
la traduction (actuellement
seulement en anglais) de l' « Évangile de
Judas » fascine les
journaux. De quoi s'agit-il donc ?
Ce manuscrit, écrit dans la
langue copte de l'Égypte du 3e siècle
est la traduction d'un original grec un peu plus ancien. Toute
découverte de documents anciens est évidemment
intéressante et c'est notamment le cas de celle-ci. Le texte
se présente sous la forme d'un dialogue entre Jésus et
l'apôtre Judas, celui qui le livra.
Ce qui étonne les
journalistes, leur paraît
sentir le soufre et leur semble un événement
sensationnel est le fait que Jésus y approuve le geste de
trahison de Judas, l'invite même à l'accomplir et le
justifie par avance :
« Je te fais
connaître le mystère du Royaume »
« Tu surpasseras tous les
autres. Car tu vas sacrifier l'homme qui me sert de
vêtement ».
De telles phrases sont
caractéristiques de la tendance dite « gnostique » de certains chrétiens de
l'époque.
Ceux-ci mettaient l'accent sur
l'importance de la
« connaissance »
(c'est le sens du mot grec
« gnostique »).
On est réellement
« sauvé », pensaient-ils, lorsqu'on apprend à
« connaître » le vrai Dieu, bien différent de l'idée
que s'en font couramment les gens et à « connaître » aussi la vraie nature de notre réalité
humaine, dont Dieu n'est pas responsable. Nous sommes, disaient-ils,
des êtres divins emprisonnés dans une chair terrestre,
matérielle et méprisable. Le Christ est notre
« sauveur » car il est venu nous faire connaître cet
état, nous éviter de nous y complaire et nous montrer
comment rejoindre le monde divin pour notre « salut ».
C'est le sens de la phrase
« Je te fais
connaître le mystère du Royaume »
C'est aussi le sens de l'explication du
geste de Judas :
« Tu vas sacrifier
l'homme qui me sert de vêtement ».
Il est caractéristique du gnosticisme
d'affirmer que « l'homme » n'est en réalité qu'un simplement
« vêtement » recouvrant l'être divin que nous sommes tous
et surtout Jésus. De sorte que la mort de Jésus va
permettre à son âme de rejoindre la sphère
céleste.
Une parabole familière de cette
pensée gnostique explique le
salut de la manière suivante : Un fils de roi voyageant
dans un pays éloigné s'y trouva si bien qu'il y
demeura. Le roi son père dut lui envoyer un messager
« sauveur » pour lui rappeler son origine royale et le ramener
dans son royaume. Ainsi en est-il de nous, disent les gnostiques, qui
avons besoin qu'on nous fasse connaître le mystère de
notre royaume.
D'autant plus que la « chair » matérielle dont nous sommes faits est
considérée comme méprisable par rapport à
l'esprit qui est notre véritable nature.
Cette tendance subsiste de nos
jours dans certains milieux
chrétiens, valorisant par exemple l'amour dit « platonique » sur l'amour « charnel », et considérant que les
réalités « spirituelles » représentent fondamentalement la nature
humaine bien plus que le monde « matériel » qu'ils prétendent sans importance.
L'Évangile de
Judas est très loin
d'être le seul représentant de cet important mouvement
gnostique. Des milliers de livres gnostiques ont été
découverts en Égypte à Nag Hammadi, dont le
fameux Évangile de
Thomas.
Ces textes n'ont pas été
rédigés dans le style de comptes-rendus journalistiques
rapportant avec exactitude des événements concrets,
comme nous en lisons dans la presse. Ils se veulent religieux,
spirituels. Le style dialogué qu'ils utilisent est typique de
la pédagogie de leur époque.
Il ne faudrait pas s'imaginer que
Jésus, qui s'exprimait évidemment en Juif palestinien
rural du 1er siècle
ait réellement employé avec Thomas ou Judas la langue
sophistiquée des grecs égyptiens du 3e
siècle !
.
Si ces textes ont longtemps
été perdus alors que
ceux du Nouveau Testament sont facilement parvenus jusqu'à
nous, ce n'est pas que « l'Église » ait décidé de les supprimer ! Il
n'y avait pas, à cette époque, d'autorité
ecclésiastique centrale ayant le pouvoir de le faire,
même si saint Irénée, l'évêque de
Lyon, l'aurait bien voulu. Les différentes tendances
chrétiennes transmettaient chacune librement ses propres
écrits, comme les écoles juives, les philosophes grecs
le faisaient de leur côté.
Si les textes gnostiques n'ont pas
été transmis c'est qu'un consensus s'était
établi pour récuser leur théologie et
décider qu'on ne les lirait pas lors du culte public. Plus
personne n'a pris la peine de les copier. Bien d'autres textes ont
également disparu.
.
Quant à penser retrouver une
vérité historique ignorée sur la personne de Judas, de Thomas ou de
Marie-Madeleine, il ne faut pas davantage y songer.
Les gnostiques qui cultivaient le culte du secret aimaient
dédaigner les personnages connus comme Pierre ou Jacques et
révéler les secrets cachés de Marie-Madeleine
et, ici, de Judas. Ils écrivaient d'ailleurs plusieurs
décennies et même plusieurs siècles après
les événements en question.
Les Évangiles
canoniques, eux-mêmes
rédigés dans les années 70 à 90 ne sont
d'ailleurs guère plus fiables sur le plan historique : le
récit même de la mort de Judas se trouve dans le Nouveau
Testament sous deux formes tout à fait différentes, ce
qui n'a pas gêné les responsables de la constitution du
canon, preuve évidente qu'ils n'y voyaient pas des
récits historiques. Voici ces deux passages :
Matthieu 27
Judas, qui l'avait livré,
voyant qu'il était condamné, se repentit, et rapporta
les trente pièces d'argent aux principaux sacrificateurs et
aux anciens, en disant: J'ai péché, en livrant le sang
innocent.
Ils répondirent :
- Que nous importe ? Cela te regarde.
Judas jeta les pièces d'argent dans le temple, se retira, et
alla se pendre.
Les principaux sacrificateurs les ramassèrent, et
dirent :
- Il n'est pas permis de les mettre dans le trésor
sacré, puisque c'est le prix du sang.
Et, après en avoir délibéré, ils
achetèrent avec cet argent le champ du potier, pour la
sépulture des étrangers.
C'est pourquoi ce champ a été appelé champ du
sang, jusqu'à ce jour.
Alors s'accomplit ce qui avait été annoncé par
Jérémie, le prophète :
- Ils ont pris les trente pièces d'argent, la valeur de
celui qui a été estimé, qu'on a estimé de
la part des enfants d'Israël ; et ils les ont
données pour le champ du potier, comme le Seigneur me l'avait
ordonné.
Actes 1
En ces jours-là, Pierre
se leva au milieu des frères, le nombre des personnes
réunies étant d'environ cent vingt. Et il
dit :
- Hommes frères, il fallait que s'accomplît ce que
le Saint-Esprit, dans l'Écriture, a annoncé d'avance,
par la bouche de David, au sujet de Judas, qui a été le
guide de ceux qui ont saisi Jésus.
Il était compté parmi nous, et il avait part au
même ministère.
Cet homme, ayant acquis un champ avec le salaire du crime, est
tombé, s'est rompu par le milieu du corps, et toutes ses
entrailles se sont répandues.
La chose a été si connue de tous les habitants de
Jérusalem que ce champ a été appelé dans
leur langue Hakeldama, c'est-à-dire, champ du sang.
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