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Connaissance de la Bible
La guérison de l'aveugle
Marc 10
Ils arrivèrent à Jéricho. Et, lorsque Jésus en sortit, avec ses disciples et une assez grande foule, le fils de Timée, Bartimée, mendiant aveugle, était assis au bord du chemin. Il entendit que c'était Jésus de Nazareth, et il se mit à crier :
- Fils de David, Jésus aie pitié de moi !
Plusieurs le reprenaient, pour le faire taire ; mais il criait beaucoup plus fort :
- Fils de David, aie pitié de moi !
Jésus s'arrêta, et dit :
-
Appelez-le.
Ils appelèrent l'aveugle, en lui disant :
-
Prends courage, lève-toi, il t'appelle.
L'aveugle jeta son manteau, et, se levant d'un bond, vint vers Jésus.
Jésus, prenant la parole, lui dit :
-
Que veux-tu que je te fasse ?
-
Rabbouni, lui répondit l'aveugle, que je recouvre la vue.
Et Jésus lui dit :
-
Va, ta foi t'a sauvé.
Aussitôt il recouvra la vue, et suivit Jésus dans le chemin.
28 septembre 2010
Il ne s’agit pas d’un miracle banal comme tous les guérisseurs en ont toujours fait dans toutes les civilisations, Jésus aussi. Il ne faudrait pas dire : « Jésus était Fils de Dieu, il était Dieu et c‘est tout naturellement qu’il faisait des prodiges pour se faire admirer et reconnaître. » D’ailleurs l’aveugle ne l’appelle pas Dieu ou Fils de Dieu, il l’appelle Fils de David. Il lui dit « rabbouni », ce qui signifie « maître, rabbin ».
Il n’est pas question ici que Jésus se fasse reconnaître comme prodigieux, comme Fils de Dieu. Il est question du salut d’un homme. Quand on dit « salut » il n’est pas question ici d‘entrer dans le Paradis. Ce n’est pas cela le salut que Dieu donne. Dans tout l’Ancien Testament on ne parle jamais de Paradis (ni d’Enfer, bien sûr !). Abraham, Moïse, le roi David, les prophètes et tous les autres personnages de l’Ancien Testament n’avaient jamais entendu parler d’un au-delà, d’un paradis.
Jésus n’a jamais dit : « si vous croyez en moi, si vous dites que je suis le Fils de Dieu, vous serez sauvés car vous entrerez dans le paradis. »
Regardons le texte : lorsque l’aveugle se lève d’un bond, jette son manteau, vient vers Jésus, parce qu’on lui a dit « prends courage, lève-toi, il t’appelle », voilà le salut, il est un homme nouveau, ici et maintenant, un homme qui bondit, un homme qui n’est plus écrasé dans sa marginalité d’aveugle mendiant au bord du chemin. Il est un homme qui se prend en main, qui a de l’espoir.
Il me semble que, même si Jésus ne l’avait pas guéri, après avoir bondi vers Jésus, il n’aurait plus été le même. Il me fait penser à l’homme qui n’a plus ni bras ni jambe mais qui vient de traverser la Manche à la nage en 13 heures. Voilà un homme « sauvé », un homme capable de faire ce que personne n’aurait pensé possible. Un homme dont le dynamisme créateur de Dieu monte en lui.
Quand Jésus dit « va, ta foi t’a sauvé », quelle était donc cette « foi » ? Il l'avait exprimée en criant : « Jésus, fils de David, prends pitié de moi ». David était le grand roi des anciens temps, ce n’était donc pas un titre divin. Il n’avait pas dit « Fils de Dieu aie pitié de moi ».
La foi de cet homme était d’avoir cru que par l’intermédiaire de la présence de Jésus, par ce souffle d’élan vital qui rayonnait autour de Jésus, on pouvait bondir.
En relisant de texte, je me dis : quel élan, quelle force, quelle joie, quel esprit émanent de ce texte. Et lorsque j’entends dire que peut-être la Bible n’est pas « vraie », qu’elle aurait été « falsifiée », que Jésus n’a peut-être jamais existé, je réponds qu’en lisant ce texte je ressens un souffle qui monte en moi et qui fait que je pourrais moi aussi « prendre courage, me lever, bondir » animé par cet Esprit qui émane de Jésus.
Regardons le texte de plus près
Le même récit, avec presque les mêmes mots, se retrouve dans les deux autres évangiles synoptiques, Matthieu et Luc : Les trois premiers évangiles se nomment synoptique car on peut les regarder ensemble sur trois colonnes. On a le même récit dans les trois colonnes et, à plusieurs reprises les mêmes mots se reproduisent.
Matthieu 20 |
Marc 10 |
Luc 18 |
29 Lorsqu'ils sortirent de Jéricho, une grande foule suivit Jésus. |
46 Ils arrivèrent à Jéricho. Et, lorsque Jésus en sortit, avec ses disciples et une assez grande foule |
35 Comme Jésus approchait de Jéricho |
30 Et voici, deux aveugles, assis au bord du chemin |
le fils de Timée, Bartimée, mendiant aveugle, était assis au bord du chemin. |
un aveugle était assis au bord du chemin, et mendiait. |
entendirent que Jésus passait, et crièrent : Aie pitié de nous, Seigneur, Fils de David ! |
47 Il entendit que c'était Jésus de Nazareth, et il se mit à crier ; Fils de David, Jésus aie pitié de moi ! |
36 Entendant la foule passer, il demanda ce que c'était. 37 On lui dit: C'est Jésus de Nazareth qui passe. 38 Et il cria: Jésus, Fils de David, aie pitié de moi! |
31 La foule les reprenait, pour les faire taire ; mais ils crièrent plus fort : Aie pitié de nous, Seigneur, Fils de David ! |
48 Plusieurs le reprenaient, pour le faire taire ; mais il criait beaucoup plus fort ; Fils de David, aie pitié de moi ! |
39 Ceux qui marchaient devant le reprenaient, pour le faire taire; mais il criait beaucoup plus fort : Fils de David, aie pitié de moi! |
32 Jésus s'arrêta, les appela, |
49 Jésus s'arrêta, et dit : Appelez-le. Ils appelèrent l'aveugle, en lui disant : Prends courage, lève-toi, il t'appelle.
50 L'aveugle jeta son manteau, et, se levant d'un bond, vint vers Jésus. |
40 Jésus, s'étant arrêté, ordonna qu'on le lui amène; et, quand il se fut approché, |
et dit : Que voulez-vous que je vous fasse ? 33 Ils lui dirent : Seigneur, que nos yeux s'ouvrent. |
51 Jésus, prenant la parole, lui dit : Que veux-tu que je te fasse ? Rabbouni, lui répondit l'aveugle, que je recouvre la vue. |
41 il lui demanda : Que veux-tu que je te fasse ? Il répondit : Seigneur, que je recouvre la vue. |
34 Emu de compassion, Jésus toucha leurs yeux ; |
52 Et Jésus lui dit : Va, ta foi t'a sauvé. |
42 Et Jésus lui dit : Recouvre la vue ; ta foi t'a sauvé. |
et aussitôt ils recouvrèrent la vue, et le suivirent. |
53Aussitôt il recouvra la vue, et suivit Jésus dans le chemin. |
43 A l'instant il recouvra la vue, et suivit Jésus |
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en glorifiant Dieu. Tout le peuple, voyant cela, loua Dieu. |
Par exemple au début : « Il était assis au bord du chemin et il entendit que c’était Jésus ». Les trois évangélistes utilisent les mêmes mots. Tous les instituteurs savent que dans une rédaction, même si les enfants racontent un événement dont tout le monde vient d’être témoin, jamais les élèves n’utilisent exactement les mêmes mots et surtout dans le même ordre. Si c’est le cas, c‘est qu’ils ont communiqué.
Autre exemple, quand on veut faire taire l’aveugle, les trois textes disent avec les mêmes mots (y compris dans l’original grec) : « il criait beaucoup plus fort : aie pitié de moi ». « Et aussitôt il recouvra la vue et le suivit »
Je ne cite pas, délibérément, les paroles mises dans la bouche de Jésus, dont on pourrait dire qu’il est normal que les trois évangélistes les rapportent mot à mot. Je m’en tiens pour la démonstration aux seules paroles narratives. A trois moments de ce court texte, les mêmes mots reviennent. De plus les trosi récit sont absolument parallèles.
Il est clair que les évangélistes ont communiqué, qu’ils se sont connus les uns les autres.
Lesquels ont connu lesquels ?
- Matthieu et Luc ont tous deux connu Marc
Marc est le seul à avoir nommé l’aveugle : Timée, fils de Bartimée. Ce que ne font ni Matthieu ni Luc. Les spécialistes de la communication, de l’analyse de textes, nous disent qu’il serait incroyable, si par exemple c’était Matthieu qui avait écrit le premier et n’avait pas nommé l’aveugle, que Marc invente ce nom ou l’ajoute. Ou Luc. Le fait que seul Marc le nomme et que Matthieu et Luc ne le nomment pas, fait penser que Marc a écrit le premier et que Matthieu et Luc ayant connu le texte de Marc aient tous les deux pensé qu’il était tout à fait inutile de rapporter pour nos lecteurs qui ne le connaissaient pas, le nom de l’aveugle. Alors que cet aveugle est un modèle de renouveau, et d’espérance pour tout le monde.
Autre exemple. Marc est le seul à dire que l’aveugle appelle Jésus « rabbouni », ce qui est un mot courant pour désigner un rabbin. Matthieu et Luc ont sans doute pensé que ce n’est pas par ce titre qu’il convient de nommer Jésus, qu’ils remplacent par le mot « kyrie », Seigneur. Les biblistes en déduisent que Marc a du écrire le premier et que Matthieu et Luc ont connu son texte, l’ont recopié, modifié, amélioré à leur gré.
- Matthieu et Luc se sont-ils connus mutuellement ? Luc n’a pas connu Matthieu. Matthieu dit, contrairement à Marc et à Luc qu’il n’y avait pas un seul aveugle mais deux. C’est étrange car on n’a jamais vu deux mendiants mendier côte à côte. Surtout deux mendiants aveugles. Peut-on penser que si Marc et Luc avaient lu dans le texte de Matthieu qu’il y avait deux mendiants, ils auraient eu l’idée d’en supprimer un ? C’est Matthieu qui a rajouté un mendiant. On peut se demander pourquoi.
Pour une raison bien simple : lorsqu’ils disent « Seigneur aie pitié de nous », le texte grec dit : « kyrie eleison », ce qui est la formule toujours employée dans la liturgie actuelle de la messe. Ce sont les deux seuls mots grecs figurant dans le latin traditionnel de la messe.
On peut penser que Matthieu a voulu situer dans son récit la formule que l’on utilisait déjà dans la liturgie de l’Église de son temps.Matthieu aurait donc connu Marc et l’aurait amélioré.
On peut également penser que Luc n’a pas connu Matthieu.
En effet, s’il l’avait connu, il aurait aimé reprendre cette idée de deux aveugles disant, comme nous, au pluriel « Seigneur aie pitié de nous ». Ce qu’il ne fait pas. Autre exemple. C’est à cet endroit du texte que Matthieu ajoute à deux reprises le mot de « kyrie », Seigneur, ce que Luc ne fait pas. Si Luc avait connu le texte de Matthieu, il aurait pensé que c’était une bonne idée d’utiliser à deux reprises le mot kyrie. Luc n’a pas du connaître Matthieu.
Matthieu n’a pas connu Luc.
A la fin de son texte, Luc écrit que le mendiant guéri a loué Dieu, ce que ni Marc ni Matthieu ne disent. Luc ajoute que « tout le peuple voyant cela suivait Jésus en louant Dieu ». Si Matthieu avait connu Luc, il aurait certainement pensé qu’ajouter cette louange était une bonne idée. S’il ne le fait pas, c’est sans que doute que Mathtieu n’a pas connu Luc.
Matthieu et Luc ont tous deux connu Marc mais ne se sont pas connus l’un l’autre.
Ces remarques sont intéressantes car elles montrent que les petites différences que l’on constate entre les évangiles sont la marque de l’effort rédactionnel que chacun des évangélistes a accompli pour apporter une petite amélioration religieuse, spirituelle au texte qu’il propose à ses lecteurs.
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Reprenons maintenant le « kyrie eleison » de Matthieu que l’on dit chaque dimanche à la messe, dans le grec originel et non en latin. Dans ce texte, il n’a pas tout à fait le même sens que dans une messe. Dans une messe il est plutôt question du pardon des péchés. Lorsque la communauté du dimanche proclame « kyrien eleison », Seigneur aie pitié de nous, c’est le pardon de ses péchés qu’elle demande, en se frappant même la poitrine. Mais dans ce texte il n’est question ni de péché ni de pardon. Il est question d’un homme « assis au bord du chemin, mendiant », qui à la suite de sa demande, reçoit une parole qui le relève : « prends courage, lève-toi. Il t'appelle » Il jette son manteau, il bondit. Ce qu’il demandait, espérait, ce qu’il reçoit, c’est la parole dynamique qui le rend à la communauté : comme dit Luc, il rejoint le peuple dans une louange. Il est guéri, il est renouvelé, j’allais dire « il est ressuscité ». La force de Dieu l’anime.
Marc avait écrit : « plusieurs le reprenaient pour le faire taire ». Luc change les mots « plusieurs » en « ceux qui marchaient devant ». On peut naturellement penser qu’il est logique que ce soient les premiers qui le reprenaient. Sauf que dans la tradition des évangiles, ce qui convient est de « suivre » Jésus. Luc dit même, on l’a vu, qu’après cet épisode « tout le peuple suivait Jésus en louant Dieu ». Suivre Jésus est dans les évangiles, l’attitude de ceux qui aceptent d’entrer dans cet élan d’amour, de joie, de force, de bienveillance, d’espérance que Jésus nous révèle, nous fait connaître. On suit cet exemple, cette parole. Marcher devant signifierait alors que c’est moi qui prétends montrer à Jésus la voie à suivre !
Par ce changement subtil, Luc montre que ceux qui « marchent devant Jésus » et qui ne le suivent donc pas ont cette attitude décourageante, déprimante, négative, destructrice, de dire à l’aveugle de se taire alors qu’il avait raison de dire « eleison », de refuser sa situation où il se trouvait incapable de gagner sa vie, en dehors du chemin, « à côté du chemin » dit précisément le texte.
L’homme avait raison de refuser cela de vouloir s’en sortir. On voulait le faire taire. Mais à cette attitude destructrice de foi, d’espérance et d’amour, il répond en criant plus fort encore « kyrie eleison ».
Luc, pense-t-on était grec. Le monde hellénistique était marqué par la pensée stoïcienne. Les stoïciens étaient justement des gens qui, comme ceux qui « marchaient devant », pensaient que la « piété » était le respect du sort que Dieu voulait pour nous et qu’il ne fallait pas chercher à s’en sortir, il ne fallait pas dire « kyrie eleison ». L’empereur Marc Aurèle, par exemple, qui était stoïcien, disait : « Dieu a fait de moi un empereur, c’est bien. Si demain des barbares m’enlèvent comme esclave, ce sera bien aussi. J’aime ma femme, c’est bien. Si demain elle doit mourir, si Dieu me la reprend, c’est bien aussi ».
Les stoïciens disaient d’accepter le sort que Dieu veut pour nous, ne pas chercher à en être libérer car ce serait se libérer avec impiété de la volonté de Dieu. Ils pensaient qu’un mendiant aveugle se devait d'être un « bon » mendiant aveugle. Le christianisme a gagné contre le stoïcisme.
Il est clair que ce texte n’est pas un simple récit de guérison miraculeuse comme en font tous les guérisseurs de toutes les religions. C’est un texte de salut, montrant comment un homme marginalisé, assis, « à côté du chemin », immobile, incapable de se prendre en charge, peut bondir, rejeter son manteau et « suivre Jésus en louant Dieu » de sorte que « tout le peuple voyant cela loue Dieu avec lui ». C’est un texte de salut.
Le Dieu que Jésus nous fait connaître n’est pas le Dieu de la Loi d’un Livre : nous ne sommes pas les hommes d’un Livre. Dieu n’est pas le Dieu de la Loi, du règlement, de la Justice. Il n’est pas le Dieu de la piété : attention à la « piété ». Il n’est pas le Dieu de la fidélité scrupuleuse. Il n’est pas le Dieu de la justice. Ne disons même pas qu’il est le Dieu de l’amour car ce mot est trop galvaudé. Il est le Dieu de la vie, de l’élan vital. Quand on aide notre prochain à vivre, quand on ne le « reprend pas pour qu’il se taise ». Quand au contraire on l’aide à dire « kyrie eleison » pour se lever et bondir, quand on aide notre prochain à se lever et bondir, c’est de l’amour. C’est plus que de l’amour, c’est de la résurrection intérieure. Le dynamisme créateur est l’Esprit de vie qui souffle à travers toute la Bible.
Souvenons-nous de la parole répétée à plusieurs reprises à Gédéon, au début du livre des Juges : « Va avec cette force que tu as ». C’est bien cela que l’on devait dire à l’aveugle – quand, du moins, on ne faisait pas partie de ceux qui marchaient « devant » Jésus.
C’est la parole dite par l’ange au prophète Elie, couché sous son genêt, qui voulait mourir : « lève-toi et mange, car le chemin est trop long pour toi » (I Rois 19).
Ce n’est pas « O Dieu fais-moi réussir mon examen ». C’est « O Dieu donne-moi la force, le dynamisme de le préparer malgré tout et si je le rate, d’affrronter néanmons le lendemain, dans la souffrance du lendemain ». Car Dieu ne nous préserve pas des souffrances, des maladies des drames de l’existence que nous connaissons tous. Il ne nous libère pas de notre cancer. Il faut lui demander, à travers ce cancer, à travers ce chômage, ce divorce, ce deuil, l’obscurité de la vie, de nous donner la forcede continuer quand même. De nous lever et de bondir à la rencontre de Jésus. Ce n’est pas un esprit de justesse, de pureté, de piété, de fidélité aux détails, de religion, que Dieu fait monter en nous, c’est l’Esprit de vie.
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