C’est un magnifique livre cartonné sur du très beau papier, illustré de quantités de belles photos. Il ferait un beau cadeau.
Le auteurs, entourés de cinq collaborateurs font le tour de toutes les questions concernant les manuscrits de la mer Morte. Leur découverte, le temps des Esséniens, la lecture des textes, présentation des grandes figures de Qumran (les Fils de Lumière, les Fils des Ténèbres, le Maître de Justice etc), les relations des Esséniens avec les Pharisiens, les Sadducéens, les Zélotes, Jean-Baptiste, Jésus. Leur conception de la Loi, leur calendrier etc.
Le texte n’est pas difficile à lire, il est intéressant et vivant, complet.
En voici quelques pages qui donneront sans doute envie aux internautes d’acquérir ce beau volume.
Qumran
page 72
Toutes « bibliothèques » confondues, on a retrouvé des restes d'au moins 900 manuscrits sans compter nombre de fragments non encore identifiés dans les onze grottes à manuscrits de Qumrân. Il est difficile de donner un chiffre exact car, parmi les dizaines de milliers de fragments, certains étaient si petits, inscrits de deux mots, un mot, voire une lettre, qu'il est impossible de dire s'ils appartenaient ou non au même manuscrit. Par ailleurs, la collection qui a survécu ne représente certainement pas la collection d'origine ; des grottes se sont éboulées, des ouvrages ont pu et dû disparaître complètement en deux mille ans à force de dommages - climat, moisissures, insectes, rongeurs, etc. À considérer l'émiettement poussé de certains textes, on s'imagine aisément que d'autres ont dû subir le même sort et avec une rapidité plus grande. De plus, en deux mille ans, les grottes ont pu être visitées (et pillées) à plusieurs reprises, outre les deux fois déjà mentionnées, et des centaines de manuscrits bibliques et non bibliques être emportés.
Ces 900 manuscrits comptent parfois des copies d'une même œuvre (recopiée à Qumrân en plusieurs exemplaires) et des extraits d'ouvrages. Le nombre d'œuvres différentes représentées est d'environ 300. On a pu observer qu'un même scribe a copié au moins cinquante manuscrits retrouvés dans les grottes 1,2,3,4,5,6 et 11, ainsi que d'autres retrouvés à Massada, et datés du tournant de notre ère par la paléographie. Ces copies appartiennent au corpus biblique et non biblique, qu'ils soient typiquement esséniens ou autres, apocryphes entre autres. Cette dernière remarque à toute son importance pour la constitution de la bibliothèque d'une part et, d'autre part, pour l'origine des manuscrits retrouvés ailleurs. Ils confirment que des Esséniens de Qumrân sont bien allés rejoindre les zélotes dans leur résistance jusque dans leur fuite au refuge de Massada, contrairement à des hypothèses de plusieurs savants qui voudraient faire des quelques manuscrits de Massada des œuvres d’autres groupes juifs en les reversant au fonds commun du judaïsme.
Page 93
La Règle de la Guerre, plus connue sous le nom de Rouleau de la Guerre des Fils de Lumière contre les Fils des Ténèbres, est l’un des rouleaux de la grotte 1 acquis par Eléazar Sukenik. C’est un beau document de 2,9 m de long, fait de cinq feuilles de peau inscrites de 20 colonnes au moins, mais dont la partie inférieure a irrémédiablement été endommagée par le pourrissement du cuir et dont la finale est perdue. D'autres copies du même livre ont été mises au jour dans les grottes 4 et 11. Il y est question d'une guerre eschatologique - à la fin de l'ère terrestre de l'humanité - qui se déroulera sur quarante années et au terme de laquelle les justes ou Fils de Lumière vaincront leurs « ténébreux » ennemis: les juifs de Jérusalem et leurs prêtres, les nations païennes voisines telles Edom, Moab, la Philistie, et les Romains. Bien sûr, ce sont les guerres bien réelles dont Israël a fait l'expérience qui ont servi de source d'inspiration pour tout le détail militaire mis en scène dans le texte : stratégie, armement (types et dimensions: frondes, lances, javelots, harpons, épées, boucliers), unités d'armée (infanterie légère, lourde, cavalerie), montures requises (pour la cavalerie), âge requis des soldats, etc. Le texte n'en reste pas moins proprement religieux, sans combat le sabbat et l'année sabbatique, avec une liste des prières adéquates à prononcer à chaque situation : veille de bataille, bas moral des troupes, victoire ... Il a été composé vers la fin du IIe siècle av. J.-C.
Page 142
Un stade ancien et non documenté de la Bible
Tandis que les rouleaux démontrent absolument que notre Bible traditionnelle, la Bible massorétique, est un témoin extrêmement précis d'une forme ancienne du texte biblique, ils démontrent aussi, en même temps, la « pluriformité » créative qui caractérisait le processus de développement et de transmission de la Bible, comme le fait que seule une forme du texte ancien nous soit parvenue dans le texte massorétique qui est traduit dans nos Bibles. L’accumulation des éditions littéraires différentes nous enseigne alors que le texte que nous appelons maintenant notre Bible était encore certainement dans une période de formation plurielle et de développement à l'époque des origines du christianisme et du judaïsme rabbinique.
La critique littéraire a, depuis les Lumières, montré à de multiples reprises que tous les livres bibliques sont en réalité le produit d'une longue série d'efforts créatifs menés par plusieurs mains sur plusieurs générations. Qumrân nous a permis d'apercevoir les dernières étapes de ce processus dynamique de composition des livres bibliques jusqu'à la période de la rédaction du Nouveau Testament. Politiquement, le pouvoir irrésistible de Rome, et, religieusement, la montée menaçante du christianisme, expliquent l'arrêt brusque de ce processus dynamique et la survivance d'une unique forme du texte pour chaque livre au sein de la communauté rabbinique. Ce ne fut pas tant une « stabilisation » des textes bibliques qu'une perte des formes diverses qu'ils prenaient et une transition d'une tradition en croissance dynamique à une collection uniforme de l' « Écriture ».
Les rouleaux bibliques de Qumrân sont les plus anciens, les meilleurs et les plus authentiques témoins du texte de notre Bible à cette période décisive. Ils signalent l'existence d'éditions littéraires différentes pour la majorité des livres bibliques et montrent que le texte des Écritures était pluriforme et se trouvait encore en « croissance organique » à l'époque et ce, au moins jusqu'à la destruction de Jérusalem et du Temple en 70 ap. J.-C.
Page 176
La Règle de la Communauté informe avec autant de saveur sur la bonne façon de mener sa vie à Sokoka-Qumrân ; ce code de conduite est parfois transmis en négatif, à travers la liste des punitions sanctionnant un manquement ou un délit. S'il y avait volonté délibérée de mal agir, la sanction était toujours plus sévère qu'en cas de faute non intentionnelle. Chaque membre devait obéissance à ses supérieurs. Toutefois, les repas, les prières et les conseils étaient des moments partagés par tous en commun. Qui mentait sciemment au sujet de sa fortune se voyait retirer le quart de sa ration de nourriture; qui nommait Dieu à tort et à travers (en particulier en blasphémant) était définitivement exclu de la communauté ; qui parlait avec colère à l'un des prêtres se voyait puni pour une année et isolé du groupe car tenu pour impur; en revanche, s'il ne l'avait pas fait exprès, la punition était ramenée à six mois; la diffamation intentionnelle était également punie d'un an d'isoloir, de même que toute tromperie (six mois de mise au pain sec et à l'eau, trois si c'était involontaire) ; toute parole indécente, trois mois; aller dormir au lieu d'assister à une séance publique, trente jours; quitter sans raison son siège lors d'une séance plus de deux fois, dix jours, et trente jours en cas de refus d'obéir à l'ordre donné de rester; déambuler nu devant son voisin, six mois. Cracher en cours de séance publique, trente jours ; faire l’exhibitionniste, trente jours ; partir d’un fou rire, trente jours ; critiquer les fondements de la communauté provoquait une expulsion sans appel. La sévérité des peines a augmenté avec l’afflux des recrues quelques décennies après l’installation à Sokoka.
Page 192
Jean-Baptiste et les Esséniens
Les Évangiles présentent Jean, le cousin du Seigneur,comme celui « qui demeura dans les solitudes jusqu'au jour où il se manifesta à Israël » (Luc 1,80), jusqu'au jour où, vers la fin des années vingt, la parole de Dieu lui fut adressée dans le désert. « Il parcourut toute la région du Jourdain proclamant un baptême de repentir pour le pardon des péchés comme il est dit dans le livre du prophète Isaïe (40,3) : "Une voix crie dans le désert, préparez le chemin du Seigneur ... " » (Luc 3,2-4). Parce qu'il prêchait la venue imminente du royaume messianique et qu'il exerçait dans une région proche de Qumrân-Sokoka, certains modernes n'ont pas hésité à faire de Jean un Essénien, voire un Qumranien dissident faisant de nombreux disciples, auquel Jésus demanda le baptême. Qu'en est-il ?
À cette époque, il est vrai, la région était parcourue par plusieurs mouvements religieux juifs mais rien ne prouve que Jean ait jamais fait partie de la communauté de Qumrân et même plus largement du groupe essénien. Si tel était le cas, Jean aurait dû quitter le courant religieux de son enfance - Son père Zacharie de la classe sacerdotale d'Abiyah officiant au Temple et sa mère Élisabeth étant une descendante d'Aaron pour appartenir un temps à ce groupe et quitter ce dernier pour fonder à son tour son propre cercle ou mouvement. Ces ruptures en série, séparation et désertion ou exclusion, sont-elles vraisemblables et nécessaires pour rendre compte de l'activité prophétique du Baptiste ? Sans doute, à la mort de ses parents âgés, l'orphelin Jean aurait pu être adopté par les Qumrano-Esséniens. Mais un tel itinéraire peut paraître suspect pour un guide religieux de son rang qui passe pour un nazîr, un consacré.
D'après les sources, Jean pratiquait un baptême unique dont il était lui-même le ministre au point que ce rite va définitivement coller à son nom, Jean le Baptiste, ce qui n'est dit d'aucun autre, pas même de ses disciples. Le baptême de Jean que Jésus a voulu recevoir se distingue fondamentalement du baptême au nom de Jésus. Jean prêchait la conversion et un baptême de repentir aux foules de Jérusalem, de Judée et de la région du Jourdain qui venaient à lui, sans exclusive ni appartenance à un groupe particulier, publicains et soldats, Pharisiens et Sadducéens compris. Ceux-ci confessant leurs péchés, il les baptisait selon un rite d'immersion, symbole de purification et de renouveau, et les renvoyait vaquer à leurs occupations en leur recommandant de produire un fruit digne du repentir. Non réitérable de par sa réelle efficacité dépendant du Jugement divin à venir, le baptême de Jean revêt de ce fait l'aspect d'un rite d'initiation à valeur eschatologique. Il introduit dans le groupe ou la communauté de ceux qui attendent la venue imminente du Messie dont il annonce et prépare à la fois la venue, et qui seul baptisera dans l'Esprit Saint et le Feu qui purifiera ou consumera selon la disposition de chacun.
Certes, les Qumraniens admis dans la Communauté pratiquaient des ablutions multi-quotidiennes, aussi souvent que nécessaire pour la pureté rituelle signe de pureté morale, mais sans nul ministre ni autre connotation théologique ou lien direct à l'eschaton. Il n'y est pas question de baptême, et les bassins de purification (miqwaôt) ne sont pas identiques à l'eau vive du Jourdain ou d'une source. Ces ablutions et rites de purification dans des bains strictement réservés aux membres de la communauté sacerdotale de Qumrân, ou essénienne ailleurs, ne sont pas très différents de ceux pratiqués régulièrement par les officiants au temple de Jérusalem, mais adaptés aux ayants droit suivant la nouvelle situation de l'exil temporaire au désert. L’accès aux bains rituels est limité à l'état d'admissibilité du candidat après un long temps de probation et l'examen du nouveau venu ou le réexamen du coupable par le conseil de l'ensemble des sages. Sans doute, le rituel d'entrée dans l'alliance inclut une confession des péchés, mais il est annuellement renouvelable à la fête de la Pentecôte par une confession collective, à l'opposé du baptême de Jean. Pour l'Essénien, c'est l'entrée définitive dans la Communauté qui garantit le salut, l'appartenance à l'héritage, au lot de lumière, et non l'admission aux bains rituels après une première probation.
[...]
S'il est impossible de savoir si Jean connut de quelque manière la Communauté de Qumrân, il paraît plus vraisemblable qu'il n'a jamais été compté parmi ses membres, à moins d'avoir à nouveau totalement changé d'orientation, ce que rien ne laisse présager. Il ne leur a pas emprunté le rite baptismal pour le pardon des péchés, rite inconnu de leurs textes et de leurs pratiques. Sur ce point-là, l'ascète Bannous, que Flavius Josèphe dit avoir suivi pendant trois ans, leur serait plus proche (Autobiographie § 11). Les disciples de Jean n'ont rien d'essénien tout comme lui-même ne paraît avoir été exclu de la Communauté pour son comportement ou ses idées contraires. S'il a pris quelque distance par rapport au judaïsme officiel de Jérusalem pour revenir à l'esprit de la Loi par-delà la lettre, à l'instar des Esséniens, rien ne dit qu'il se soit coupé du temple où avait officié son père. Il a prêché aux foules, sans distinction ni examen probatoire, les exigences religieuses et morales de l'ancienne alliance et préparé le peuple, non un reste exclusif, à la venue du Messie. Il se tient à l'aube de l'ère nouvelle, ayant baptisé, reconnu et désigné le Messie Jésus. Avec lui les temps messianiques sont arrivés et ne sont plus à attendre comme il en est des autres courants religieux juifs.
Page 198
Jésus, sa passion et les Esséniens.
Le cadre nécessaire pour que Jésus ne fût arrêté avant l'heure qu'il avait lui-même programmée, les autorités juives ayant décidé d'en finir avec lui avant la fête, explique parfaitement et l'ambiance pascale des synoptiques avec la mention du pain et du vin typiques des repas esséniens (Règle de la Congrégation II), et le récit de Jean 13,1 et suivants sur la pureté, et l'enchaînement des jours de la passion depuis l'onction à Béthanie jusqu'à la crucifixion et la résurrection. S'il en était autrement, le sanhédrin aurait-il pu se réunir en hâte, le 15 nisan au petit matin après la nuit de la Pâque, le premier jour des Azymes, pour prononcer une condamnation à mort à exécuter le jour même de la fête ? Il y aurait là d'une part la plus grande invraisemblance; d'autre part ce ne saurait être « avant la fête », ainsi que le rappellent Marc 14,2 ; Matthieu 26,5 ; Jean 13,1,29, etc., ce que confirment aussi la réquisition de Simon de Cyrène revenant des champs et l'élargissement de Barabbas visé aussi en Actes 3,14. Mais encore une fois, que le lieu où Jésus prit ce repas fût le quartier essénien, à l'écart des milieux hostiles des prêtres et des Pharisiens pour échapper à une arrestation prématurée, ne suffit pas à prouver que ce repas d'adieux fut, pour Jésus et les siens, le repas pascal sans agneau du calendrier essénien que les Esséniens du lieu mangeaient par-devers eux dans une salle à part et dans un état de pureté rituelle absolue. Il n'y a pas non plus à imaginer une déformation de l'histoire par l'église primitive comme le propose par exemple Renan, croyant que ce repas fut le festin pascal, en lien avec l'institution de l'eucharistie « qu'on supposait s'être passée une fois pour toutes la veille de la Passion ». Jésus a certainement été crucifié la veille de la Pâque, le 14 (non le 15) nisan selon le calendrier luni-solaire suivi par les Sadducéens et les Pharisiens et par Jésus lui-même. Il n'a donc pu manger l'agneau pascal comme on pourrait le croire à la lecture rapide de certains passages : Luc 22,14-18 ; Jean 18,28,31-36 ; 1 Corinthiens 5,7.
Ces quelques indications suffisent à souligner à la fois des points de contact et des divergences entre les comportements et les enseignements du Maître galiléen et ceux des Esséniens qui suivent les instructions du Maître de Justice.