Connaissance de la Bible
« Les anges sont-ils nés
en Mésopotamie ? »
Une étude comparative entre les génies
du Proche-Orient antique et les anges de la Bible
230 pages. 21, 50 €
Aurélien Le Maillot
doctorant en archéologie du Proche-Orient antique à l'université Paris 1 Panthéon - Sorbonne
éd. L' Harmattan
Recension Gilles Castelnau
4 septembre 2009
Ce livre intéressant et écrit dans un langage facile à comprendre présente dans le détail les anges, chérubins, séraphins et autres personnages divins secondaires du panthéon mésopotamien qui ont pu avoir des cousins notamment dans la Bible : leurs appellations, leur apparence, leur rôle etc.
En voici des passages qui en montreront l’intérêt pour les lecteurs de la Bible et leur donneront, nous l’espérons, l’idée de l’acheter.
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Depuis les premières fouilles archéologiques au Proche-Orient au XIXe siècle, les archéologues, historiens et philologues ont démontré que nombre de récits et de concepts bibliques s'inspirent ou dérivent de la mythologie et de la culture proche-orientales, et plus précisément mésopotamiennes. Ainsi, dès 1872, George Smith démontra que le récit de la Genèse narrant le Déluge n'est en fait qu'une des différentes versions d'un mythe mésopotamien que l'on trouve dans Le Poème d'Atrahasîs et L'Epopée de Gilgamesh.
Le modèle de l'ange de l'Ancien Testament, que l'on retrouve à la fois dans le judaïsme, le christianisme et l'islam, s'inscrit également dans cet héritage. Certaines divinités secondaires, génies - et même parfois démons ! - de
Mésopotamie et des régions limitrophes sont de toute évidence des prototypes angéliques, à tel point qu'il est permis de se poser la question suivante : les anges sont-ils nés en Mésopotamie ?
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Ainsi, les « sëdu », dont nous reparlerons par la suite, sont mentionnés à plusieurs reprises dans l'Ancien Testament. Par exemple, à Ps.106.37, et à Dt.32.17, les Cananéens sacrifient aux sëdu. Sëdu a été traduit par daimon dans la Septante, et par idole ou démon dans diverses traductions françaises.
Baal Zebub quant à lui apparaît quatre fois dans l'Ancien Testament, à 2 R. 1.2 ; 1.3 ; 1.6 ; 1.16. Zebub signifiant mouche en hébreu, nous avons donc là un « seigneur des mouches ». Dans le Nouveau Testament, il devient Beelzebul ou Belzebuth. La forme originelle de cette divinité pourrait être Baal Zebul qui signifie le seigneur de la grande maison.
Le nom pourrait aussi venir de la racine ZBL connue en akkadien et en arabique et qui signifie prince. Le nom signifierait donc le prince Baal, Baal étant un dieu de l'orage sémitique et notamment cananéen. Baal (ou bël) signifie le Seigneur et désigne parfois certaines divinités comme par exemple Marduk appelé Bël à Babylone ou le dieu de l'orage Addu que l'on retrouve à Ugarit.
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Comme les génies et les démons mésopotamiens, les anges sont la plupart du temps anonymes et sans personnalité. Mais il existe néanmoins quelques exceptions.
Les premiers noms propres d'anges apparaissent dans Daniel. Ce livre est daté du IIe siècle av J.-C. On trouve l'ange Gabriel mentionné à Dn. 8.16 et 9.21. Mickaël apparaît à Dn. 10.13 ; 10.21 ; 12.1. Tobie (5.17 ; 12.15) cite Raphaël. Gabriel, Mickaël et Raphaël sont les seuls noms d'anges mentionnés dans l'Ancien Testament.
Beaucoup de textes apocryphes mentionnent d'autres anges. Par exemple, à 1 Hén. 1.20, une liste énumère sept noms, dont certains non mentionnés dans la Bible : Gabriel, Mickaël, Raphaël, Uriel, Raguel, Sariel et Remiel.
A 1 Hén. 9.1, on liste quatre noms d'archanges: Gabriel, Mickaël, Sariel et Raphaël, auxquels s'ajoute parfois Uriel selon les versions. Dans les textes, Sariel est parfois remplacé par Uriel ou Phanuel.
Les noms des anges apparurent lors du retour des juifs exilés à Babylone au Vle siècle av J.-C. Certaines figures d'anges auraient même des modèles babyloniens. Ainsi, A. Caquot rapproche l'ange scribe de Ez. 9.2 de NaM. De même, Mickaël pourrait avoir été à l'origine vénéré en Babylonie.
Quoi qu'il en soit, les noms d'anges (et les individualisations) apparaissent dans les livres tardifs de la Bible et dans les textes intertestamentaires.
La caractérisation des anges, notamment par l'attribution d'un nom, ne semble avoir lieu que pour les archanges. En effet, Mickaël, Gabriel et Raphaël sont considérés comme des archanges, même s'ils sont seulement appelés « anges » dans la Bible. Ainsi,Gabriel et Raphaël sont des anges promus archanges par les évangiles apocryphes.
Cependant, on peut se demander si les noms ont été attribués parce que ces êtres étaient des archanges, ou bien si leur promotion d'archanges est due au fait qu'ils étaient déjà individualisés, notamment parce qu'ils possédaient des noms.
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Quant au chérubin, son nom semble provenir de celui du génie kâribu dont on ne connaît pas la forme mais dont le nom pouvait qualifier par extension différentes sortes de génies. Le terme kâribu serait donc passé en hébreu sous la forme kerûbim. Son apparence semble être multiple. Les visions d'Ezéchiel s'inspirent vraisemblablement des taureaux ailés androcéphales (parfois considérés comme des dieux kâribu) qu'Ezéchiel a vus lors de sa déportation à Babylone au VIe siècle av. JC., auxquels s'ajoutent le modèle mésopotamien d'un être hybride à plusieurs faces. Les quatre ailes dont il dispose pourraient aussi provenir de génies dont certains en sont effectivement munis.
En revanche, les chérubins du Temple renvoient plutôt à l'image du sphinx. Le fait qu'à l'image des chérubins, les sphinx soient souvent les assesseurs des trônes, notamment en Egypte, nous incite à penser que ceux-ci avaient l'apparence du sphinx dans le Temple de Salomon. De même, le fait que la fonction de gardien de l'arbre de vie ait vraisemblablement été empruntée par le chérubin au sphinx, comme le démontrent les plaquettes de Samarie et de Megiddo ou encore la peinture de l'Investiture, abonde dans ce sens.
Enfin, le graffiti représentant un sphinx retrouvé dans les « carrières royales » de Jérusalem est un argument de plus pour cette thèse. Le chérubin possède donc un nom d'origine akkadienne et une image et des fonctions héritées d'êtres
mésopotamiens et égyptiens.
Enfin, le nom du séraphin provient de l'urœus égyptien qui était représenté par un cobra à col noir appelé en hébreu siiriip, exactement comme le séraphin. Tout comme le chérubin, ses ailes proviennent vraisemblablement de modèles proche-orientaux.
Les figures angéliques que nous venons d'étudier ont connu une longue élaboration, se sont diffusées et ont évolué sous des influences multiples dans une région particulièrement riche et dynamique en matière d'iconographie. Des modèles le plus souvent mésopotamiens ou égyptiens ont pénétré la sphère syro-palestinienne, puis ont été modifiés par des courants phéniciens, grecs ou même romains pour au final donner les figures d'anges que nous connaissons aujourd'hui. Nous observons d'ailleurs à l'époque hellénistique une multiplication des anges dans les écrits. Durant cette période où les cultures babylonienne et grecque sont en contact étroit, le thème par exemple de l'ange déchu est très présent dans les récits.
Remarquons enfin que ces figures continuent à évoluer par la suite, puisque au Moyen Age et à la Renaissance apparaissent des figures modifiées ou même nouvelles, à l'instar des putti - ces petits angelots bien potelés - de l'époque moderne.
Enfin, il apparaît très clairement que l'exil des Hébreux au VIe siècle av. J.-C. a constitué un tournant dans la conception du divin et de sa manifestation : avant la déportation à Babylone, Yahvé s'adresse le plus souvent directement à l'homme par le prophète. En revanche, après l'exil, ce sont les anges qui transmettent le message de Dieu. En outre, leur forme pré-exilique est humaine, alors que par la suite ils adoptent une apparence hybride, notamment avec Ezéchiel. Enfin, les premiers noms propres d'anges apparaissent aussi lors de ce retour. Il en résulta une nouvelle façon de concevoir l'ange qui évolua dans ses aspects et ses fonctions pour donner les nombreux modèles que le Pseudo-Denys l'Aréopagite classa au début du Vle siècle de notre ère.
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