Connaissance de la Bible
Le combat de David et
Goliath
Pierre Bordreuil et
Françoise Briquel-Chatonnet
Chercheurs au CNRS
15 avril 206
La protection divine se manifeste
dès le premier exploit de David, quand il affronte le géant Goliath. Cette
histoire (1 Samuel 17) met en scène un combat
singulier, motif rare dans les récits historiques
d'affrontement et de conquête, mais courant dans la
littérature épique qui montre volontiers deux parties
adverses, en guerre, s'en remettre au sort du combat entre deux
champions choisis de chaque côté. Les combats d'Hector
et Pâris d'un côté, Ajax et Ménélas
de l'autre, rythment le déroulement de l'Iliade.
Sur ce récit épique se
greffe à la fois un récit d'initiation et un motif de conte folklorique. L'initiation, rite
pratiqué dans de nombreuses civilisations, est
l'épreuve initiale que doit surmonter tout jeune homme pour
être admis dans le monde des adultes et participer à la
vie sociale et politique de sa communauté. L'adolescent doit
quitter son monde, sortir de la ville, de son vil1age, ici de la
maison de son père, faire face aux menaces et assurer sa
survie par des moyens courants, pour David une simple fronde.
L'épreuve se termine par une grande fête, au cours de
laquelle le héros est accueilli parmi les hommes, et donc les
guerriers, de sa communauté. On pense ici aux épreuves
auxquelles étaient soumis !es jeunes Spartiates avant
d'être intégrés dans Je corps des citoyens. Le
récit biblique marque, de la même façon,
l'entrée de David dans le groupe des hommes
d'Israël.
Le motif de conte, dérivé
d'un récit mythique, est
celui de la menace que fait peser sur le royaume une créature
monstrueuse. Le péril ne pourra être conjuré que
si un héros est vainqueur d'une épreuve hors du commun,
ici le combat contre un géant : la taille de Goliath,
près de trois mètres, en fait de toute évidence
une créature fantastique. Les contes n'envisagent jamais la
possibilité que le roi lui-même ou ses fils s'y
soumettent : le roi est trop vieux et n'a qu'une fille, qui
transmettra le royaume. Or, dans la partie centrale de cet
épisode, le fils de Saül, Jonathan, n'apparaît pas.
L'épreuve semble insurmontable et ceux qui paraissent les plus
compétents l'affrontent en premier, mais sans
succès : les trois frères aînés de
David sont partis à la guerre avant lui et ne se sont pas
risqués à se battre contre le géant. Le
héros décide alors, de lui-même, de tenter
l'épreuve, face à la moquerie de ses frères, et
réussit, en employant des moyens différents des autres,
à sa mesure, qui semblent bien faibles mais qui prouvent leur
efficacité (1 Samuel 17,43). Victorieux, le
héros coupe la tête de l'être menaçant,
monstre, dragon ou géant, et la brandit en trophée. Le
prix de cette victoire, comme dans tous les contes, est la main de la
fille du roi (1 Samuel 17,25). Dans cette histoire, David
est une figure analogue à celle de Persée
délivrant Andromède du dragon. Cependant, le conte a
été ici historicisé, intégré dans
un récit historique et adapté à un personnage de
l'histoire d'Israël : le genre littéraire est celui
de l'épopée. Le merveilleux a été
gommé et c'est avec une arme normale, banale, même si sa
réussite est quasi miraculeuse, que David abat Goliath.
David, dans ce premier épisode
où il est mis en scène, fait déjà montre de toutes les
qualités royales. Il n'apparaît pas comme le mieux
placé pour combattre le champion des Philistins et sa
candidature est reçue avec mépris quand il la
présente. Mais il réussit cependant à gagner la
confiance de Saül, en lui racontant les combats contre les
fauves, lions et ours, qu'il a dû mener pour protéger
les troupeaux de son père (1 Samuel 17,34-36). Ce
n'est pas tant sa vaillance et sa force qu'il prouve là que le
caractère royal qui déjà l'habite. Il se
décrit dans la situation du seigneur des fauves,
maîtrisant les animaux dressés contre lui sur leurs
pattes arrières, dans une scène qui évoque les
représentations de chasses royales commandées par le
souverain assyrien Assourbanipal, au VIIe siècle,
pour les murs de son palais à Ninive, ou les rois
figurés, dans la même position, sur de nombreux sceaux
cylindres. Dominant la force sauvage des fauves, il
récupère pour son propre bénéfice les
qualités de force et de vaillance du lion et montre qu'il
possède les qualités d'un roi, qui se doit d'être
plus fort que le lion (2 Samuel 1,23) ; Sargon d'Akkad
également se vantait d'être « un lion
décharné » auquel nul ennemi ne peut
résister. David est donc apte à combattre les
bêtes sauvages, dont Goliath n'est qu'un avatar. De fait, non
seulement Saül lui confie la mission de combattre le champion
philistin, mais il lui remet aussi ses propres armes et
vêtements royaux. Le récit est donc aussi une mise en
scène de J'idéologie royale orientale.
La victoire de David est finalement due
à la présence de Yahweh à ses
côtés. Si Goliath
maudit David par ses dieux, celui-ci invoque Yahweh qui lui donne la
victoire. Yahweh est le dieu d'Israël, le dieu des armées
d'Israël (1 Samuel 17,45-46), et c'est lui qui donne
la victoire à son propre peuple. La mort de Goliath est le
signe que Yahweh est plus puissant que les divinités
tutélaires des Philistins. Mais elle témoigne surtout
de la supériorité de la puissance divine sur la
puissance humaine, voire sur-humaine.
« Le temps de la
Bible »
Gallimard
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