Spiritualité
La lecture des
récits bibliques
à la manière du théologien
Rudolf
Bultmann
Les deux récits de Noël dans les
évangiles de Matthieu et de Luc
ne sont évidemment pas des comptes-rendus fidèles des
« événements » qu'ils
rapportent
mais des introductions théologiques au contenu de
l'évangile qu'ils introduisent
Professeur Laurent Gagnebin
13 décembre 2007
Pour Bultmann, le mythe n'a pas le
même statut ni ne relève de la même
compréhension, selon qu'il
est celui de la démythisation ou celui de la
démythologisation. Le mythe de la démythisation est en
quelque sorte considéré comme une fable, une
légende, un conte de fées, qui ne correspond pas
à notre manière actuelle et scientifique, par exemple,
de voir les choses, le monde, la nature en particulier.
Démythiser revient alors à retrancher de la Bible ce
qui offusque, contrarie notre raison. La Bible est expurgée,
mais elle est ainsi censurée au nom de la raison, d'une
exigence rationaliste et réductrice. Une certaine
exégèse a souvent opéré ainsi.
Le mythe de la démythologisation est
représenté par le langage religieux en
général et biblique en particulier. Il est (et comment
ne le serait-il pas ?) une manière humaine, terrestre,
mondaine de parler de Dieu. Il suppose toujours une foi en une
Transcendance. Il veut par conséquent dire et exprimer Dieu.
Mais ce mythe ne peut échapper à un piège :
comment puis,-je en effet dire Dieu avec des mots humains ? Une
telle prétention est vouée à l'échec. Le
seul fait de dire Dieu dans nos mots, c'est déjà.!e
trahir. Seul Dieu parle bien de Dieu. Comme j'aime à le
répéter : quand je dis « Dieu », ce n'est déjà plus Dieu que je dis.
Le mythe de la démythologisation fonctionne ainsi en pleine
contradiction : il veut dire Dieu et, ce faisant, il ne le dit
pas vraiment. Dieu est transcendant ; il ne nous appartient pas.
N'est-il pas hors de notre portée ?
Par et dans mes mots, Dieu dépend de
moi, au lieu que je dépende de lui. Dieu devient l'objet de
mes raisonnements, au lieu d'être le sujet de ma pensée.
Je saisis Dieu au lieu qu'il me saisisse. La Bible, d'ailleurs, est
toujours ainsi à la fois Parole de Dieu et parole
humaine ; et quand elle affirme « Dieu a dit » c'est, bien un être humain, un croyant, qui me
dit « Dieu a
dit ».
Ainsi, par le mythologique, je neutralise
Dieu, je le maîtrise et domine
ou domestique, je l'objective ou chosifie, je le rationalise :
il est sous la coupe de mon langage et de mes raisonnements.
[...]
Dans de telles conditions,
démythoJogiser consiste à retrouver l'intention
première du mythe : une foi en Dieu toute nue. La
démythologisation est toujours à reprendre. Mais que
l'on ne s'y trompe pas : démythologiser c'est bien
dérationaliser (retrouver cette foi originelle), tandis que
démythiser c'est bien rationaliser (censurer au nom de la
raison).
On voit là pourquoi confondre ces
deux démarches et traduire démythologiser par
démythiser aboutit à un résultat
diamétralement opposé à la pensée de
Bultmann. Il ne s'agit pas, avec la démythologisation, de
tailler une Bible à nos mesures, mais bien de lire et
interpréter toute la Bible sans en rien retrancher ; il
s'agit de voir non seulement ce que le texte dit mais bien aussi et
surtout ce qu'il veut dire. Il convient donc de retrouver, à
travers une écriture humaine, une parole de... Dieu (venue de
lui) et qui m'interpelle dans la foi.
L'entreprise de démythologisation
se veut donc, et elle est, hautement
positive. Elle n'est pas une action destructrice et un rationalisme
nihiliste. Qu'est-ce que cela signifie et implique ?
La lecture croyante du texte biblique
retrouve un Dieu qui nous interpelle (et non la description d'un
événement réellement survenu) : il ne
s'agit pas seulement avec el!e d'entendre ce que veut dire le texte,
mais bien ce qu'il veut me dire et me dire aujourd'hui. Dans celle
interpellation va s'opérer ainsi quelque chose qui
m'interroge, qui met enjeu et dévoile le sens de mon
existence. Je suis en effet placé par cette interpellation
divine devant une décision de... foi où je me reconnais
dans toutes mes limites, celles de ma condition très
simplement humaine.
Ainsi, ma relation à la Bible,
à travers la lecture que j'en fais, n'est pas uniquement
neutre, tranquillement scientifique, distanciée, voire
spéculative et gratuite. Elle appelle une réponse, elle
me mobilise, elle sollicite mon adhésion ou mon refus. Cette
lecture suppose l'engagement de la foi. Il s'agit d'entendre une
parole de Dieu, même dans un texte lourdement humain
(« légendaire », par exemple), tributaire, pour le moins, d'une
vision du monde qui ne correspond plus à la nôtre. En
quoi ce texte me parle-t-il, m'interpelle-t-il comme une parole de
Dieu à travers une écriture, un langage, une
terminologie et des concepts humains, que ce texte soit historique,
narratif, poétique ou de fiction ?
C'est bien le
« sola fide » (la foi seule) qui est ici
requis dans cette écoute et
cette interprétation et non la seule approche rationaliste,
aussi nécessaire est-elle dans l'ordre d'une analyse
historique, honnête et désintéressée.
Notons, en passant, que la lecture croyante et
démythologisante du texte n'est pas nécessairement
moins scientifique qu'une autre, puisque le texte biblique a
précisément été écrit pour une
telle lecture, c'est-à-dire pour susciter la foi.
[ ...]
Le croyant qui s'ouvre à l'appel
divin et refuse de s'enfermer en
lui-même dit toujours à Dieu la prière
d'illumination qui, au cours du culte, précède les
lectures bibliques : « Fais taire en moi toute autre voix que la
tienne ! ».
Comprendre le texte biblique c'est
comprendre qu'il est pour moi une interpellation en forme de relation
dont Dieu a l'initiative.
Retour vers
Connaissance de la Bible
Retour vers Laurent Gagnebin
Retour
Vos
commentaires et réactions
haut de la page