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Dans l’atelier de l’exégète


du canon aux apocryphes

 

François Bovon

professeur de Nouveau Testament
à la Divinity School de l’Université de Harvard
et à l’Université de Genève.

 

Ed. Labor et Fides
407 pages - 37 €

 

Recension Gilles Castelnau

 

26 juin 2012

François Bovon replace les livres du Nouveau Testament et notamment les évangiles dans le contexte des Ier et IIsiècles. A cette époque, ils n’étaient pas encore considérés comme « écriture sainte » mais se trouvaient mêlés à tous les autres textes religieux concernant Jésus, que nous appelons aujourd'hui « apocryphes ».
Il s’agit d’un travail considérable et la quantité de renseignements accumulés par le professeur François Bovon risque bien d’en impressionner plus d’un. Pourtant ce livre n’est pas d’une lecture particulièrement difficile et le monde inconnu dans lequel il nous fait pénétrer représente une découverte inoubliable.

Voici quelques titres relevés parmi ses 21 chapitres :

Evangiles synoptiques et Actes apocryphes des apôtres
Les sentences propres à Luc dans l’Evangile selon Thomas
Miracles, magie et guérison dans les Actes apocryphes des apôtres
L’enfant et la bête. Combattre la violence dans le christianisme ancien.
Un fragment grec inédit des Actes de Pierre ?

En voici des passages (On a omis les très nombreuses notes techniques en petits caractères des bas de page).  G.C.

 

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Page 150

chapitre 8

L’Évangile de Jean, accès à Dieu
Aux origines obscures du christianisme

A l’origine de la communauté johannique

[...] Les Eglises occidentales, catholique et protestante, sont les héritières de ce christianisme à deux pôles, Jérusalem-Antioche, Pierre-Paul. Mais il y eut d'autres groupes chrétiens : on sait par le Nouveau Testament qu'il y eut des chrétiens en Galilée (des traditions l'attestent dans les Evangiles synoptiques), d'autres en Samarie, mais nous sommes mal renseignés sur leur compte (cf. Ac 9,31 et 8,4-25). Et certainement des communautés se sont constituées à l'est et au sud de la Palestine, en Syrie, en Egypte et ailleurs : hélas, n'ayant pas obtenu la victoire, elles n'ont guère laissé de traces.

Nombreux sont les savants qui, aujourd’hui sont convaincus que l'Evangile de Jean est le produit d'une de ces communautés mystérieuses.

[...] Ce groupe johannique de Samarie de 40 à 60 apr. J.-C. s'est peut-être déployé aussi en Syrie ; mais, en tout cas, comme tout le monde palestinien d'alors, il fut cruellement marqué par la révolte zélote et la guerre juive contre Rome de 66-70. Tous les chrétiens de la région se sont posé la question à ce moment-là : est-il de notre devoir de participer à la lutte ? La réponse de tous fut la même : notre espérance n'est pas identique à celle des Juifs, elle n'est plus nationaliste, ni liée à la Terre promise. Le dialogue mis sur les lèvres de Jésus et de Pilate l'atteste : les chrétiens ont un roi, mais son royaume n'est pas de ce monde et il n'y a pas d'obligation à se révolter contre le pouvoir romain (Jn 18, 33-38). Plutôt le martyre que la violence.

Eusèbe de Césarée nous indique que la communauté chrétienne de Jérusalem s'enfuit en Transjordanie, à Pella, lorsque la capitale fut directement menacée par les Romains. Nous avons tout lieu de croire que la communauté johannique ou une partie de cette communauté, dirigée, s'il était encore en vie, par son chef spirituel, préféra, elle aussi, quitter le lieu des opérations militaires. Trois indices nous font penser qu'ils se sont réfugiés à Ephèse : 1° la tradition ecclésiastique qui situe à Ephèse la composition de l'Evangile de Jean et la mort de l'apôtre ; 2° la liste des Eglises, toutes situées dans la province d'Asie, avec Ephèse en tête, dans les lettres des chapitres 2-3 de l'Apocalypse canonique de Jean ; 3° la présence de disciples chrétiens de Jean-Baptiste à Ephèse selon les Actes 19,1-7. Il y avait donc, à la fin du premier siècle, au moins deux communautés chrétiennes distinctes à Ephèse : la communauté fondée par Paul en 54 (cf. Actes 19,1-20,1) et la communauté dirigée par Jean (arrivée vers 70).

En résumé, l'Evangile de Jean a été rédigé à l'intérieur d'une communauté qui n'était ni pétrinienne, ni paulinienne, mais johannique, marquée par Jean, fils de Zébédée. Cette communauté, située d'abord en Samarie-Syrie, s'est installée ensuite à Ephèse.

La genèse de l’Evangile de Jean

[...] Derrière l'homme Jésus, celui que ses contemporains, fixés sur les apparences, appellent le fils de Joseph et de Marie, il y a beaucoup plus qu'un homme, il y a le Fils de Dieu. Les Synoptiques, avant Jean, l'avaient deviné ; tous les premiers chrétiens, quand ils appellent Jésus le Messie, le Christ, le confessent. Mais l'Evangile de Jean, lui, développe la réflexion primitive sur le Fils de Dieu. Titre attribué au Messie davidique, il n'impliquait, à Jérusalem, aucune préexistence, ni aucune parenté dépassant l'adoption juridique. La communauté johannique se dit quant à elle : si la croix, cette élévation, conduit Jésus vers le Père, c'est qu'il s'agit d'un retour de celui qui autrefois était déjà auprès de lui. Fils de Dieu signifie participant à la divinité de Dieu. Ainsi s'élabore dans le groupe johannique la conviction de l'appartenance de Jésus au monde de Dieu : tout ce que le judaïsme disait, non du Messie, mais de la Sagesse, de la Parole ou de la Justice de Dieu comme des vertus accompagnant Dieu de toute éternité et utilisées par Dieu pour se manifester à Israël, la communauté johannique le reprend à son compte pour expliquer, proclamer Jésus, l'homme de Galilée. On pense aussitôt au Prologue, « Au commencement était la Parole,... » (Jn 1,1-18). Mais l'on songe aussi à la formule d'envoi : « Dieu a tant aimé le monde... » (Jn 3,16) ou aux discours mis sur les lèvres de Jésus à propos des liens entre le Père et le Fils.

 

 

page 181

Évangiles synoptiques et actes apocryphes des apôtres

C'est à la fin du IIsiècle que les quatre évangiles sont devenus canoniques. Aujourd'hui, partout dans le monde, ils figurent côte à côte, dans le même ordre, dotés de la même autorité, en tête du Nouveau Testament, au cœur de la Bible chrétienne. Le texte de ces évangiles - et celui du Nouveau Testament en général - est depuis longtemps stabilisé, même si l’on n’ignore pas les milliers de variantes qui ont ébranlé les esprits en Europe dès le début du XVIIIe siècle. Personne ne songe par ailleurs à publier des évangiles interpolés ou à falsifier nos livres saints. Les sciences bibliques sont au programme d'innombrables facultés de théologie et départements de sciences religieuses. Enfin, des sociétés savantes comme la society of Biblical Literature montrent assez l'orientation contemporaine des recherches menées par les spécialistes de ces sciences.

Quant à la littérature apocryphe chrétienne, personne ne sait exactement Quel en est le corpus. Le texte de ces documents n’a jamais été fixé : à l’époque où Konstantin von Tischendorf préparait une édition critique des Martyres et des Apocalypses d'apôtres, un moine grec de Palestine, qui finissait ses jours au mont Athos, continuait de raconter à sa façon, dans sa langue grecque populaire du XIXe siècle, les mêmes histoires que celles qu'éditaient Tischendorf, R.A. Lipsius et M. Bonnet. Aucune discipline scientifique spécifique ne s'est constituée pour l'étude de ces textes : ce sont des biblistes, des patristiciens et des historiens qui s'occupent de cette littérature orpheline d'auteurs et, pour l'heure encore, de « tuteurs » reconnus.

Ce que je vous propose ici, c'est de modifier notre perspective. Nous le savons avec la tête, mais cela a du mal à entrer dans le cœur et les tripes : il nous faut considérer - et la pratique des écrits apocryphes nous y aidera - les évangiles devenus canoniques tels qu'ils étaient avant 180, en oubliant donc ce qu'ils sont devenus par la suite : ils étaient alors ce que les apocryphes n'ont cessé d'être depuis. Comme les apocryphes, les évangiles synoptiques n'étaient pas alors canoniques. Ils ne circulaient pas encore dans les mêmes types de recueils, ni toujours dans le même ordre. Ils n'étaient pas les seuls à être recopiés et lus. D'autres évangiles avaient vu le jour pour d'autres groupes chrétiens. Par ailleurs, leurs textes subissaient des corrections et connaissaient des recensions savantes (surtout Luc-Actes). Plusieurs les retouchaient, d'autres les harmonisaient (Tatien), les élaguaient ou les complétaient. Beaucoup les respectaient d'une telle manière qu'ils favorisèrent une sacralisation que leurs « auteurs » n'avaient peut-être pas souhaitée. Certains allaient bientôt les enchâsser dans un canon ce qui, selon F. Overbeck, impliquait le risque de ne plus les comprendre. Théologiens orthodoxes et hétérodoxes, de Marcion à Origène, adversaires du christianisme, de Celse à Porphyre, tous attestent les aléas des évangiles au IIe siècle : menacés, malmenés, ils ne s'installent dans la sécurité et la stabilité qu'à partir d'Irénée. Mais jusque-là, pour comprendre leur existence nomade et précaire, rien de plus salutaire que de lire « les apocryphes », cette expression étant entendue en son sens large de littérature relative à Jésus et aux apôtres qui n'a pas été intégrée au Canon, et non au sens restreint et « tendancieuse » de littérature « secrète » propre à diverses sectes.

Ce changement de regard nous permettra aussi de remonter, par la conscience, au-delà de la première circulation des évangiles, jusqu'à leur rédaction et donc, antérieurement, jusqu'à l'époque où circulaient leurs sources. Nous constaterons - peut-être avec un frisson dans le dos - que les évangélistes ont pratiqué sans vergogne ce que les Pères reprocheront plus tard aux hérétiques, à savoir d'avoir manipulé des sources relatives à Jésus et puisé à l'occasion dans des documents antérieurs, avant de les faire disparaître. Nous savons qu'ils ont adapté et modifié la documentation dont ils disposaient ; mais parce que les œuvres qu'on leur prête sont devenues canoniques, nous estimons que leurs interventions ont été fidèles, réussies, légitimes en raison des contextes nouveaux auxquels il fallait s'adapter. Certes, on se rend compte que certains développements dans les évangiles eux-mêmes sont légendaires (par exemple l'épisode des didrachmes dans Mt 17,24-27) : toutefois, dans l'ensemble, notre jugement reste favorable. Mais pourquoi les retouches que Matthieu apporte à l'Evangile de Marc seraient-elles légitimes, tandis que celles de Marcion sur l'Evangile de Luc sont désastreuses ? Les jugements des manuels ne sont-ils pas conditionnés par une certaine idée du Canon ? Ce n'est pas que je veuille être iconoclaste et menacer ce Canon. Je constate en historien que jusqu'en plein IIe siècle, le corpus des évangiles n'existe pas encore, qu'il se constitue lentement dans les recueils et que les Pères garderont le souvenir de ces débuts laborieux : aussi bien pour les remaniements opérés par les évangélistes sur leurs sources anciennes que pour les modifications apportées ultérieurement à leur œuvre. Une seule et même pratique littéraire rapproche les évangélistes et leurs continuateurs. Et c'est en regardant travailler ces continuateurs, dont l'atelier est encore ouvert, que le XXIe siècle reconstruira la pratique des évangélistes dont l'échoppe a été, elle, fermée, oubliée, dès lors que leur travail a été figé pour figurer au musée des chrétiens, c'est-à-dire dans le Nouveau Testament. [...]

Le « produit » et sa forme

Ce que l'exégète a le plus souvent sous les yeux, c'est une édition moderne du Nouveau Testament. Le changement de regard que je propose pour le siècle qui vient implique que les biblistes, comme les éditeurs d'apocryphes, retournent aux textes manuscrits. Rien ne remplace le contact direct avec le document brut, avec les habitudes des scribes, les impératifs qui pèsent sur eux, etc. Il n'est pas nécessaire de devenir un spécialiste de codicologie, il suffit de s'y intéresser et le virus vous atteint vite. Plus que cent pages érudites, une visite à la bibliothèque de la Grande Laure au mont Athos m'a convaincu de l'importance des lectionnaires écrits en majuscules que la critique textuelle n'a que trop longtemps négligés.

Il faut s'intéresser à la structure des manuscrits et établir des liens entre les différentes pratiques littéraires des chrétiens, leurs convictions théologiques et les contraintes ecclésiales qu'ils subissent ou transmettent. Changer notre regard, c'est s'habituer à ce qui est encore une « chose curieuse » pour des spécialistes de critique textuelle, à savoir que seuls cinq manuscrits sur les trois cent et quelques onciaux que nous possédons transmettent le Nouveau Testament dans son intégralité. Alors que la notion de Nouveau Testament représente pour nous une entité fixe, elle coïncidait alors avec quelque chose de beaucoup plus malléable, même à l'époque où le Canon a été arrêté.

Pour s'y retrouver dans un recueil hagiographique, homilétique ou apocryphe, il faut commencer par en décrire le manuscrit, puis en établir la table des matières, à savoir la liste et l'identité des pièces. Incipit, desinit, inscriptio, subscriptio et toute autre indication (colophon, etc.) retiennent l'attention. Or, je suis surpris de constater que les sous-titres des Epîtres de Pierre dans le P72, qui frappent tant celui qui a vu l'original ou des photos, aient été jusqu'ici négligés ; ils révèlent pourtant une certaine lecture, une certaine exégèse de ces épîtres au IIIe siècle. Surprise aussi, teintée de critique, en remarquant que deux éditions récentes, le Nestle et le Greek New Testament, se désintéressent souvent de ces indications. Le titre à la fin de l'œuvre était dans l’Antiquité le plus important ; pourquoi ces éditions ne les transmettent-elles pas, ni à la fin de l'Evangile de Luc, ni à la fin des Actes ? a ce dernier endroit, on aurait peut-être la chance de retrouver le titre original de l'œuvre.

Si l'on se tourne du côté des Actes apocryphes des apôtres, on constate que ces œuvres, le plus souvent sous forme fragmentaire, sont insérés dans des recueils hagiographiques, ménologes et vies de saints. Ils portent, dans ces documents, des titres variés, dont la variété même correspond a mon avis au manque de canonicité : « Acte(s) » au singulier ou au pluriel, « voyages » « vie et martyre » apparaissent tour à tour. La numérotation primitive des « Actes » dans les Actes de Philippe, par exemple, est en général éliminée dès qu'un scribe se contente de sélectionner l'un d'entre eux (soit l’Acte II de Philippe, soit, plus souvent, le Martyre, exceptionnellement l'Acte VIII de Philippe).

Cette variabilité est significative de l'instabilité des notions de canon et de texte. Je vois dans ce phénomène un argument de poids contre les hypothèses sécurisantes de Martin Hengel, pour qui les titres rapportés par la tradition manuscrite du Nouveau Testament sont des données stables : c'est parce que nous n'avons pas de codices (avec inscriptio ou subscriptio) antérieurs à la canonisation que la variété des titres des évangiles n’apparaît pas. L'Evangile de Matthieu a pu s'appeler « Genèse » ou « Vie » tout comme Luc-Actes ont pu porter le titre de « Récit » ou Marc celui de « Mémoires ». L'exemple des Actes d’André nous conduit à la double conclusion suivante : les évangiles du Nouveau Testament, dans leurs plus anciens manuscrits, avaient des titres. Mais les titres qui leur sont attribués maintenant résultent d'un effort de stabilisation consécutif à leur intégration dans un corpus en voie de « normalisation ». Ils sont donc secondaires.

 

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