Le Psaume 85 a été rédigé
et chanté par des fidièles de la
tradition dite « deutéronomiste ». Celle-ci
est résumée par le passage du Deutéronome cité
ci-dessus : Dieu protège et garde son peuple
dans son alliance d'amour, dans la mesure où
celui-ci ne s'en détourne pas, car alors Dieu le
laisse se débattre seul avec ses problèmes et
notamment les menaces de ses ennemis :
c'est ainsi que tu pourras
demeurer dans le pays que l'Eternel a juré de
donner à tes pères.
Et justement le féroce roi Nabuchodonosor a
envahi Israël et l'a déporté à Babylone. La
libération va survenir à l'arrivée de Cyrus, roi
de Perse qui libère et renvoie chez eux avec
bienveillance les peuples dominés par Babylone.
Ce Psaume a été écrit juste après ou juste avant
le Retour en Israêl : voyez que certaines
phrases sont contradictoires à ce sujet.
Tout le monde n'était pas
d'accord avec la pensée deutéronomiste.
On n'est pas obligé de croire qu’une
telle attitude incontestablement fautive et
condamnable entraîne forcément et à tous les
coups la destruction du peuple et la déportation
dans un pays étranger !
- L’auteur du livre
de Job met en jeu le long dialogue de
Job avec ses 4 visiteurs deutéronomistes.
Job avait tout perdu : ses fils et ses filles
étaient morts, ses troupeaux dispersés et sa
santé même gravement atteinte : Ses visiteurs,
en bons lecteurs du Deutéronome et fidèles de la
théologie de l’Alliance s’efforçaient de le
persuader qu’il était victime d’une punition
pour avoir transgressé la loi divine. Il
s’obstinait à refuser cette idée. Il n’était pas
particulièrement pécheur et ses malheurs étaient
immérités. A la fin du livre, c’est à Job que
Dieu donne raison.
- L’Ecclésiaste
aussi récuse cette logique trop simple de la
punition qui suit la faute :
Eccl 9.22
Tout arrive également à
tous ; même sort pour le juste et pour
le méchant,
pour celui qui est bon et pur et pour celui
qui est impur,
pour celui qui offre des sacrifices et pour
celui qui n'en offre pas ;
il en est du bon comme du pécheur, de celui
qui jure comme de celui qui craint de jurer.
Il n’en demeure pas moins que l’auteur du
Psaume 85 nous incite vertement à rester fidèles
à l’Alliance d’amour, loin de toute injustice.
.
Les mots Justice, Paix,
Vérité et Amour ont en hébreu un sens
précis un peu différent de celui que nous leur
attribuons en français.
- Justice (tsêdêk).
Alors qu'en prononçant le mot de
« Justice » nous pensons à la juste
peine que « 3 mois de prison dont deux avec
surpris » pour tel cambriolage ou la
« réclusion à perpétuité avec 22 ans
incompressibles » pour un crime affreux
sont « jus<tes », dans la Bible la
« justice » rétablit dans ses droits
la veuve, l’orphelin et l’immigré qui en ont été
« injustement » spoliés par les
« injustes ».
Le Psaume 72
qui est la liturgie de couronnements des rois
d’Israël demande à Dieu pour le roi le don de la
justice :
O Dieu, donne tes jugements
au roi, et ta justice à ce fils de roi !
Il jugera ton peuple avec justice, et les
malheureux avec équité.
Il fera droit aux malheureux du peuple,
Il sauvera les enfants du pauvre, et il
écrasera l'oppresseur...
Il délivrera le pauvre qui crie, et le
malheureux qui n'a point d'aide.
Il aura pitié du misérable et de l'indigent,
et il sauvera la vie des pauvres ;
Il les affranchira de l'oppression et de la
violence, et leur sang aura du prix à ses
yeux...
La paix sera grande
Il ne s’agit pas que le roi fasse régner un
équilibre que nous qualifierions de
« juste » entre les délits et leur
répression pris en charge par la police et les
tribunaux mais qu’il intervienne avec
compassion, pour restaurer comme les chevaliers
d’antan le droit spolié du malheureux et du
pauvre sans aide qui crient lorsque l’oppresseur
et le violent font couler leur sang.
Cette notion de « justice » se
trouve en de nombreux endroits de l’Ancien
Testament.
Par exemple Ezéchiel 18.5
L'homme qui est juste, qui
pratique la droiture et la justice, 6
qui ne mange pas sur les montagnes et ne lève
pas les yeux vers les idoles de la maison
d'Israël,
qui ne déshonore pas la femme de son prochain
et ne s'approche pas d'une femme pendant son
impureté,
qui n'opprime personne, qui rend au débiteur
son gage, qui ne commet point de rapines,
qui donne son pain à celui qui a faim et
couvre d'un vêtement celui qui est nu,
qui ne prête pas à intérêt et ne tire point
d'usure,
qui détourne sa main de l'iniquité et juge
selon la vérité entre un homme et un autre.
Mêlé à l’interdiction de l’idolâtrie, du sang
(les règles de la femme), la notion de justice
est centrée sur le respect de l’intégrité du
prochain : donne du
pain à celui qui a faim, ne prête pas à
intérêt et ne tire point d'usure...
- La Paix (chalôm) n’est
pas comme en français la fin de la guerre. C’est
la tranquillité calme, certaine et ferme que
l’on vit « chacun sous sa vigne et sous son
figuier », sans qu’aucun oppresseur, aucun
spoliateur ne vienne troubler cette situation de
justice : monde de l’amour, monde de Dieu.
Michée 4.3
De leurs glaives ils forgeront
des socs de charrue, Eet de leurs lances des
serpes.
Une nation ne tirera plus l'épée contre une
autre, et l'on n'apprendra plus la guerre.
Ils habiteront chacun sous sa vigne et sous
son figuier, et il n'y aura personne pour les
troubler.
- Vérité (êmêt, amen) :
Ce mot que l'on dit à la fin de nos prières
désigne une réalité qui n'est pas illusoire,
mensongère mais au contraire solide, ferme,
certaine, incontournable.
- L’amour (hêsêd, hassid).
La conception de l’amour, dans l’Ancien
Testament est donc corrélée à la justice, la
fidélité. « Aimer son
prochain comme soi-même » n’est
pas éprouver une chaleur sympathique pour
quelqu’un d’antipathique. Il ne s’agit pas de
s’ouvrir à une attitude émotionnelle qui est,
d’ailleurs sans aucun intérêt pour la personne
en question, qu’elle laisse évidemment tout à
fait indifférente. C’est avoir à son égard,
comme envers soi-même, une attitude de Justice,
c’est-à-dire agir de sorte qu’il ait, comme
soi-même et comme tout le monde, ce dont on a
besoin pour vivre et s’épanouir en paix. Que
chacun puisse vivre en paix, comme le dit
l’Ancien Testament à plusieurs reprises, « sous sa vigne et sous
son figuier ».
Amour et Vérité se rencontrent
Justice et paix s'embrassent
On dit que Dieu est amour
car Dieu est le Dieu de la vie des hommes (et
pas seulement des hommes, mais aussi des
animaux, des plantes, de la nature, de la vie du
monde : vie de la vigne et du figuier, vie
qui n’est troublée par aucune injustice, vie
d’amour. C’est « L’insensé
qui dit en son cœur : il n’y a pas de
Dieu » (Psaume 53) Cela ne
signifie pas qu’il serait insensé d’être athée
ou agnostique. Mais nier Dieu, nier
l’universalité de la vie, admettre l’injustice,
l’oppression, le mépris de l’autre est insensé.
Le monde vit la grande loi de la vie.
.
Cette Justice créatrice de
Paix, dans la Vérité et l'Amour n'est
certainement pas sans violence. La liturgie de
couronnement du Psaume 72 le dit bien :
Il fera droit aux
malheureux du peuple, Il sauvera les enfants
du pauvre, il écrasera l'oppresseur...
La vraie justice est
coercitive pour rétablir le droit. Il
ne faut pas laisser l’oppresseur tout gâcher. Il
ne faut pas laisser les violents menacer les
gens au coin de la rue, les violeurs, les
cambrioleurs, les trafiquants de drogue, les
maris violents insultant et battant leur femme
pourrissent la vie du monde de Dieu.
Les harcellement personnels ou collectifs dans
les grandes entreprises poussant au suicide et à
la dépression, les agences de notation qui
élèvent le pourcentage des intérêts, le
boursicottage déstabilisant les entreprises
aussi.
Mais la justice
coercitive ne doit d’ailleurs pas non
plus se transformer en oppression des coupables.
Les coupables ne doivent pas gâcher la vie de
leurs prochains mais ils ont le droit de vivre
eux aussi. La justice n’est pas une vengeance
mais rétablissement du droit. La justice
coercitive est tragique. Il ne faut pas s’en
réjouir. Certes la condamnation du coupable
(voleur, mari violent, meurtrier des deux femmes
gendarmes, violeur) est satisfaisant pour les
victimes car elle est reconnaissance du mal qui
leur a été fait. Mais il faut de la pudeur, de
la retenue dans la manifestation de la
satisfaction : car toute condamnation est
tragique. Une prison insalubre n’est pas une
vraie justice. Si la « justice »
déshumanise elle est sans amour et les aumôniers
ont raison de visiter les détenus et de leur
témoigner respect et amour.
Un pays où la Justice ne
règne pas, un pays sans Paix, sans
Vérité et sans Amour, dit le Psaume 85 ne mérite
pas mieux que d’être déporté à Babylone.
La Paix soit avec vous,
disait Jésus le soir de Pâques.
Jean 14
Je vous laisse la paix, je
vous donne la paix.
Je ne vous la donne pas comme le monde la
donne.
Ne soyez pas inquiets et n'ayez pas peur.
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