Introduction
à la
théologie du « Process »
Gilles Castelnau
Les théologiens du
Process ne veulent plus ignorer les
apports de la science moderne, qu'ils estiment devoir intégrer
à leur conception de Dieu et du monde. Ils élaborent
une théologie du Dieu créateur, de l'évolution,
du devenir.
Ainsi Whitehead, mathématicien anglais (+ 1945) et philosophe
anglican. Cobb et Griffin, tous deux méthodistes et
professeurs en Californie. « Le Dynamisme créateur de
Dieu » par le professeur
André Gounelle.
Un Dieu expliquant le
monde
Regardez autour de vous, nous demandent les théologiens du
Process : tout bouge, grandit, se complexifie. Nous assistons
sans cesse au renouveau des hommes, des animaux, des plantes, de la
nature entière. Tout naît, se développe, puis
disparaît pour laisser la place à d'autres mouvements ;
beaucoup de possibles se présentent à nous constamment.
D'où tout cela vient-il sinon d'un Dieu créateur. Il
est plus facile de discerner l'action de Dieu que de la nier.
Dieu ouvre sans cesse l'avenir, injecte des
possibilités nouvelles dans nos pensées et dans le
monde. Il ne détermine pas celles qui seront retenues ou
refusées : il propose et l'homme ou la nature
dispose.
Dieu n'a pas créé son peuple
à partir de zéro ; il ne le fait jamais : il
l'a pris là où il en était et l'a fait passer
d'un avant à un après par un acte de création,
qui laissait place ensuite, bien entendu à de nouvelles
séries d'actes créateurs.
Dieu propose, influence, tient compte des
résultats qui en adviennent pour modifier son action : C'est
la joie qu'il veut en ce monde et il agit et ouvre des
possibilités jusqu'à ce qu'il y arrive.
Dieu a son idée : il tente
d'influencer le projet par persuasion et non par contrainte ou par
force. Il souhaite qu'on s'épanouisse, que le monde
s'harmonise. L'évolution du monde, son « process », concerne Dieu : il n'est pas le
« tout
autre », immobile et
impassible ; il est « Emmanuel », Dieu au milieu de nous.
D'autres puissances que celle de
Dieu sont à l'œuvre dans le
monde, concurrencent et même s'opposent à la sienne.
Notre prière est justement une de ces forces et, loin de
s'opposer à la volonté de Dieu elle fait au contraire
partie dans son plan divin.
- La pensée populaire catholique et
évangélique identifie facilement Jésus à
Dieu marchant sur la terre et surnaturel. Les théologiens du
Process ne parlent pas ainsi
- Les théologies de la libération, un
certain christianisme politique ou social se centre avant tout sur un
engagement concret dans le monde. Les
théologiens du Process ne parlent pas ainsi
- Le piétisme met l'accent sur la vie
spirituelle, centre la spiritualité sur la vie de
prière et l'action de Dieu dans les cœurs. Les
théologiens du Process ne parlent pas ainsi
- Une certaine pensée orthodoxe met l'accent sur
le Dieu juste qui nous voit pécheurs, sur la repentance, et le
sentiment de culpabilité. Les théologiens du Process ne
parlent pas ainsi.
Un Dieu
créateur
Non pas un créateur
siégeant à l'extérieur du monde, à l'extérieur de nous-mêmes. Il
n'est pas un super-empereur regardant toutes choses de là-haut
et dont nous, misérables vermisseaux, essayerions d'obtenir
parfois de lui quelque faveur ! Dieu n'est pas « ailleurs », il n'est pas « au ciel », il n'est pas « tout autre »,
il est le dynamisme intérieur aux hommes et au monde.
Dieu ne vient pas du dehors mais du
dedans. Il est présent dans
la vie de notre monde, il en est le moteur, l'âme, il en est
l'élan. Et pas seulement de nous mais aussi des animaux, des
plantes, et peut-être aussi des minéraux. Il est aussi
indispensable à la vie du monde que le moteur à la vie
d'une voiture. Il participe à tout ce qui se passe, à
toutes les réalités auxquelles nous avons à
faire et d'abord à nous-mêmes. Il agit en tout ce qui
bouge : rien n'échappe à son action de même
que rien n'échappe aux rayons du soleil ou à l'air qui
nous baigne.
Il ne faut pas le chercher dans
des « miracles », dans l'extraordinaires et le surnaturel, modifiant
le cours des événements de l'extérieur. On le
rencontre dans le quotidien, l'habituel, le normal. Tout vient de
lui, toute vie est par lui. Rien n'est plus normal que de croire en
lui.
Dieu se trouve au cœur du monde, comme le
levain qu'une femme a caché dans la pâte pour la faire
lever. Matthieu 13. 33. Mais Dieu n'est pas la pâte. Il est dans le
monde mais il est tout de même un peu distinct du monde, comme
le moteur est un élément de la voiture mais n'est pas
toute la voiture.
Le flot de la
vie
Dès que nous
constatons autour de nous une
transformation, un processus, « Process » de vie, c'est Dieu qui lui donne son élan.
S'il n'y avait pas de Dieu donnant la vie, tout serait mort, rien ne
bougerait, tout se décomposerait misérablement. Dieu
fait, sans cesse, avancer les choses ; puis, lorsqu'elles ont
atteint leur résultat, leur « joie », un autre événement prend la suite du
précédent. Le monde est un immense flot incessant de
milliards d'événements en création
perpétuelle, en devenir permanent, dont chacun est une
mini-création originale de Dieu.
Ainsi la sortie d'Égypte
se compose bien d'un avant (la souffrance
en Égypte), d'un après (la vie
libre au désert puis en Canaan) et d'un pendant qui est
l'acte créateur proprement dit. Arrivé au
désert, le peuple souffrait de la faim et de la soif et nouvel
acte créateur de Dieu lui a redonné son élan et
ainsi de suite.
Réfléchissons encore
Ce peuple sortant d'Égypte
était composé, dit le
récit de l'Exode, de 600 000 personnes, hommes, femmes,
enfants, vieillards, dont chacun avait son individualité, ses
joies, ses peines, se problèmes, ses espérances ;
les vieillards avaient leurs rhumatismes, les adolescents leurs
amours. Et Dieu ne se détournait d'aucun d'eux mais
renouvelait chacun d'étape en étape, de
mini-création en mini-création.
De plus chacun de ces individus était lui-même
composé d'une quantité d'éléments
physiques, moraux, spirituels, vivant, se développant, se
transformant : digestion, circulation sanguine,
pensées... Si tout fonctionne si bien dans chacune de ces
merveilles que sont les corps humains (et animaux !) c'est que
Dieu les crée et les recrée sans cesse.
Il en est ainsi depuis cette grande origine de toutes choses dont
parle le début de la Bible (Genèse 1) où
Dieu n'a pas créé le monde à partir de rien mais
à partir de l'« informe » et du « vide » de ce chaos sur lequel régnait
l'obscurité : et la création s'organise par
transformations, décomposée en six jours
eux-mêmes composés de différentes parties.
L'histoire n'est pas
écrite d'avance, Dieu agit en douceur
Dieu est plus féminin que
masculin. La femme, dit-on, est plus
souple que l'homme : elle accepte, discute, tolère,
sourit, pousse doucement, attire par séduction. Dieu a de la
tendresse.
Dieu ne connaît pas l'avenir ; il n'est pas omniscient,
omniprésent, omnipotent. L'histoire n'est pas écrite
d'avance ; Dieu connaît le présent qu'il est en train de
promouvoir mais l'avenir dépend de ce que les hommes en
feront.
Le moteur d'une voiture ne sait pas où va la voiture avec
l'élan qu'il lui communique. C'est aux hommes, aux animaux,
aux plantes et peut-être aussi aux minéraux qu'il
incombe de concrétiser d'une manière ou d'une autre la
volonté de Dieu : volonté de vie
d'espérance, de réussite certes, mais il y a
différentes sortes de réussite !
Dieu oriente et donne l'élan
mais si la réponse est
négative ou inattendue, Dieu persévère et sans
jamais renoncer, donne toujours d'autres possibilités.
Dieu donne la vie aux plantes ; mais si un rocher écrase
la plante, Dieu lui permet de s'adapter et de trouver son chemin vers
la lumière ; si on ôte le rocher, elle changera
à nouveau le sens de sa croissance. Il en est de même
avec les hommes et les civilisations.
Dieu a fait alliance avec le peuple
hébreu ; mais si le
peuple ne saisit pas cet élan d'amour et d'espérance,
Dieu fera subsister « un
reste » Ésaie 10. 21 et si le « reste » lui-même est décevant, Dieu trouvera
une jeune fille de Nazareth pour un nouveau commencement de son
histoire de vie. Si la jeune Marie avait répondu :
« je ne suis pas la
servante du Seigneur, qu'il ne me soit pas fait selon ta
Parole », Dieu ne se
serait pas découragé, il n'aurait pas abandonné
dessein et aurait trouvé autre chose, quelqu'un d'autre,
ailleurs, car jamais son dynamisme créateur ne
s'épuise.
Panthéisme ou
théisme
Le panthéisme (Dieu est tout). Cette conception de Dieu est celle
des religions africaines, de l'hindouisme, des mystiques
chrétiens ou musulmans. On y fait l'expérience de la
paix intérieure, de la sérénité ; on
découvre au fond de soi une réalité profonde qui
n'est pas celle de nos fantasmes et de nos désirs, qui ne
dépend pas que de nous ; réalité
présente aussi chez les autres, qui la découvrent au
fond d'eux-mêmes ; réalité qui est aussi le
fondement de l'univers entier. On la nomme « Dieu » car il est « tout en tous ».
Le théisme dit que Dieu est face à nous comme un
Seigneur, comme un père ; il est un Autre. Le monde vit
et Dieu le regarde comme un homme regarde et cultive son jardin, avec
soin et bienveillance mais face à lui.
Le pan-en-théisme (Tout est en Dieu) est la troisième voie, celle qui est
proposée par les théologies du Process. Elle participe
à la fois un peu du théisme et du panthéisme,
mais ajoute au panthéisme l'idée que Dieu garde une
liberté, une volonté.
Dans le panthéisme, Dieu est immobile, il n'y a rien à attendre
de nouveau, tout est déjà là ; on recherche
seulement la fusion avec Dieu, avec l'Esprit du monde.
Les théologien du Process disent que, bien au contraire, il y
a tout à attendre car Dieu est toujours le Dieu
créateur. Lorsque les Juifs étaient esclaves en
Égypte, le panthéisme leur aurait fait trouver la
fusion immobile avec l'âme du monde au lieu de les amener
à se lever et marcher vers leur renouveau.
Mais dans le
théisme, l'idée du
Dieu face à nous, revient toujours l'idée d'approuver
ce qu'il a fait et organisé car là est le bon : le
peuple esclave en Égypte devrait se soumettre à la
volonté supérieure qui l'a exilé. Si Dieu a
voulu le monde, il importe de se soumettre au statu quo qui ne peut
qu'être excellent.
Ou alors résoudre le problème dit de la « théodicée », c'est-à-dire de la « justice de
Dieu » : comment un
Dieu bon et tout-puissant laisse-t-il le mal exister ?
Le panthéisme et le théisme
sont tous deux des conservatismes.
Le Process est progressiste. Car la fidélité du
théiste est de conserver ce que Dieu a fait et dit dans le
passé. La fidélité du panthéiste est dans
sa fusion avec l'Esprit divin pleinement présent dans les
éléments tels qu'ils sont.
La fidélité du théologien du Process est dans
son ouverture et sa participation à la volonté de Dieu
d'un monde toujours meilleur que le fidèle va s'efforcer
d'imaginer et de mettre en œuvre en s'enracinant dans le dynamisme
créateur qu'il reçoit de Dieu. Le théisme
classique peut incliner à la résignation, la
soumission, le conformisme. Le Process à l'optimisme, à
aller de l'avant. Le théisme suggère la
stabilité et la prudence ; le Process l'évolution
et l'aventure.
Teilhard de Chardin a développé cette vision de
développement, d'évolution (en partant de la
paléontologie dont il était un spécialiste).
Mais il voyait toutes choses converger vers un état
idéal parfait, qu'il nommait le point Oméga,
lorsque Dieu aurait réussi finalement à amener le monde
à sa perfection.
Pour les théologiens du Process, Dieu
ne connaît pas l'avenir, n'en est pas maître, et tout ne
va pas forcément vers la réussite : le monde peut
mal finir. Dieu s'occupe de tout l'univers, pas seulement notre
monde.
.
Vendredi-saint. Le monde a le pouvoir de s'opposer à la
volonté de Dieu. Les hommes ont montré jusqu'où
va leur capacité de refus en tuant Jésus-Christ,
l'envoyé de Dieu, le Fils unique, celui qui incarnait sa
volonté, concrétisait son appel.
La liturgie fait prendre conscience de
l'orientation et de l'élan que Dieu fait monter en nous. Nous
y sommes rendus attentifs et encouragés par les chants, la
prédication, la prière. Le culte dirige notre attention
vers la Présence de Dieu. Sa Parole nous y atteint. Il est
vrai que tout le monde reçoit la chaleur du soleil, c'est
pourtant ceux qui se font systématiquement bronzer qui en
profitent le mieux. ainsi en est-il de l'exercice de la
piété. Attention : quel Dieu est
désigné par les mots de la liturgie ?
Le chef
d'orchestre
Plutôt qu'à un
souverain, dit le professeur
André Gounelle, il faut comparer Dieu à un chef
d'orchestre qui propose la partition aux musiciens ; partition
de vie et de joie. Il distribue des partitions plus simples ou plus
riches selon les moyens de chacun. Il encourage, dynamise les
musiciens et suivant leur jeu peut modifier leur partition.
Il souffre des fausses notes et de la mauvaise qualité
de certains musiciens. L'orchestre n'atteint jamais la
perfection.
Il y a un premier violon, Jésus-Christ, dont le rôle dans
l'orchestre est primordial. Il ressent la joie de la réussite
des musiciens : Dieu est un Dieu de joie.
Le mal
Dans l'image de
l'orchestre dont Dieu conserve la
direction sans se laisser décourager par les résultats
médiocres des musiciens, nous comprenons que Dieu n'est pas
impassible mais qu'il souffre des fausses notes, du mal.
Il ne se contente pas de réprouver le mal, de le regretter. Il
propose toujours à nouveau une autre « partition » à celui qui ne peut pas ou n'a pas voulu
suivre le mouvement de l'harmonie générale.
Il ne punit pas, il ne détruit rien, il n'annule rien, mais il
reprend et transfigure tout. Il invente toujours une nouvelle
solution positive et créatrice et efface à sa
manière les résultats destructeurs des actions contre
nature des hommes, des bêtes, de la nature. Il est une force
active qui se combine ou se heurte avec d'autres forces
actives.
Ainsi la résurrection de
Jésus-Christ est-elle la
réplique, la réponse de Dieu à l'horreur de la
croix. Affirmer sa « toute-puissance » signifie que l'on peut compter sur lui pour ne
jamais être véritablement vaincu mais être
toujours capable de faire renaître la lumière à
travers les ténèbres, le sourire après les
larmes et faire jaillir la vie de la mort.
L'éthique
La pensée du
Process semble
particulièrement bien adaptée à notre monde
actuel dans la mesure où elle rejette tout pessimisme à
l'égard de l'homme, des sociétés ; tout
juridisme aussi dans les relations avec Dieu et les autres hommes.
Elle est fondamentalement optimiste, créatrice. Ouverte aussi
aux autres religions. Ouverte à l'amour de la nature et du
monde animal.
De plus sa vision des relations incessantes des
mini-événements créateurs avec leur passé
et leur futur, et les uns avec les autres convient à un monde
où les relations entre hommes, pays, continents, races,
idéologies sont nombreuses.
Dieu désire le bonheur des hommes plutôt que de promouvoir des lois. Il souhaite le bonheur des homosexuels, ce qui n'implique certainement pas pour eux un mariage hétérosexuel ou l'abstinence d'une vie entière, nin non plus d'ailleurs une vie dissolue et débauchée. Dieu appelle les homosexuels à une vie régulière heureuse avec un partenaire fidèle.
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