Connaissance de la
Bible
« Que son
sang retombe sur nous
et sur nos enfants »
5 avril 2004
J'ai entendu mentionner plusieurs
fois, depuis qu'on parle du film de
Mel Gibson « la Passion du
Christ », cette fameuse
phrase prononcée par la foule de Jérusalem. Et certains
en tirent la conclusion que ce sont les juifs qui ont ainsi
attiré eux-mêmes sur leur propre tête les
persécutions, les pogroms, l'holocauste et que tout ce sang
qu'on leur a fait verser, c'est donc eux-mêmes qui l'ont fait
« retomber sur eux et sur
leurs enfants ». Voyons
cela de plus près.
Quand on cite une phrase, surtout lorsqu'on entend la charger d'autant de
poids que celle-ci il faut, si l'on veut être honnête, la
replacer dans son contexte, pour ne pas lui faire dire n'importe
quoi !
D'ailleurs, à propos de n'importe quelle phrase que l'on
répète, il faut préciser :
Qui a dit cela ?
A qui cela a-t-il été dit ?
Dans quel contexte ?
Dans quel but ?
C'est l'évangéliste
Matthieu qui la rapporte, seul
évangéliste des quatre. C'est, nous dit Matthieu, la
foule de Jérusalem en émeute s'opposant violemment
à Pilate à propos de la condamnation de Jésus
que Pilate n'entend pas prononcer.
D'autant que la propre femme de Pilate (Matthieu est le seul à
nous le dire) lui a dit pendant qu'il siégeait au
tribunal :
Ne te mêle pas de
l'affaire de ce juste, car aujourd'hui j'ai beaucoup souffert en
songe à cause de lui.
La foule, nous dit Matthieu est
soulevée par les grands-prêtres et les anciens et
demande la condamnation de Jésus. Pilate ne la prononce pas.
Il demande par trois fois pourquoi il devrait le faire.
Je note qu'en comparant au texte
parallèle de Marc, que Matthieu suit presque à la
lettre, à part les ajouts dont je parle, Matthieu ajoute une
3e prise de parole de Pilate innocentant Jésus
et proposant de le relâcher à la place de
Barabbas.
Puis voici la fin :
Pilate, voyant qu'il ne
gagnait rien, mais que le tumulte augmentait, prit de l'eau, se lava
les mains en présence de la foule, et dit :
- Je suis innocent du sang de ce juste. Cela vous regarde.
Et tout le peuple répondit :
- Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants !
Alors Pilate relâcha Barabbas; et, après avoir fait
battre de verges Jésus, il le livra pour être
crucifié. Matthieu 27.24
Cette phrase prononcée par la
foule en émeute :
Que son sang retombe sur nous
et sur nos enfants
s'oppose donc au calme de Pilate qui dit au
contraire :
Je suis innocent du sang de
ce juste.
Et cette phrase de Pilate prend une allure
d'autant plus officielle et légale que dans cette page,
Matthieu prend soin d'ajouter à six reprises au texte de Marc
le titre de « gouverneur » lorsqu'il nomme Pilate, ce qui souligne
évidemment l'aspect légal et officiel de son
rôle.
.
Pourquoi Matthieu s'attache-t-il ainsi
à souligner que la
condamnation de Jésus ne venait pas du gouverneur romain qui
le déclarait« juste » et répugnait à le condamner, mais
venait d'une foule en émeute d'une violence impossible
à calmer ?
Pilate, voyant qu'il ne
gagnait rien, mais que le tumulte augmentait...
La question se pose d'autant plus que
Pilate, nous disent les historiens, n'était en rien le
gouverneur épris de justice et de modération que nous
présente Matthieu. Sa violence et sa cruauté
étaient telles que l'empereur lui-même était
intervenu à propos d'autres affaires et l'avait limogé.
Matthieu n'a pas fait tellement oeuvre d'historien exact à ce
sujet !
C'est que Matthieu avait des
préoccupations très pressantes lorsqu'il rédigeait son Évangile. Il
l'a fait, nous disent les biblistes, en l'an 80, justement
après la révolte de la foule de Jérusalem, qui
avait pris les armes et s'était soulevée contre le
gouverneur à partir de l'an 66, de sorte que
l'armée romain avait dû intervenir, sous la conduite de
Titus : le sang avait coulé, la ville avait
été détruite, le temple rasé, les
derniers combattants réfugiés dans la forteresse de
Massada s'étaient suicidés plutôt que de se
rendre et toute la population avait été
déportée dans l'Empire romain.
Les visiteurs du forum de Rome connaissent l'Arc de triomphe de Titus
dont un bas-relief montre le chandelier à sept branches du
Temple de Jérusalem emmené à Rome par des
soldats.
De plus sous Néron, dans les
années 60, les
chrétiens avaient été
persécutés : on les accusait d'être de
mauvais citoyens, de fomenter des troubles, de refuser de rendre son
culte à l'Empereur. On disait justement que déjà
leur fondateur, « un
certain Christ », avait
été accusé de troubles, de prétention
royale, de ne pas respecter l'ordre établi.
Pour mettre fin à ces
bruits, (Néron) chercha les coupables et infligea les plus
cruelles tortures à des malheureux abhorrés pour leurs
infamies qu'on appelait vulgairement "chrétiens".
Le Christ, d'où leur vient ce nom avait été
condamné au supplice sous Tibère, par le procurateur
Ponce Pilate.
Réprimée sur le moment, cette exécrable
superstition ne tarda pas à se répandre de nouveau, non
seulement dans la Judée où elle avait pris naissance,
mais jusque dans Rome même, où affluent et se
grossissent tous les dérèglements et tous les
crimes.
On commença par se saisir de ceux qui s'avouaient
chrétiens, et ensuite, sur leur dénonciation, d'une
multitude immense qui fut moins convaincue d'avoir incendié
Rome que d'avoir la haine du genre humain. Tacite, historien romain, an 120.
Il est tout à fait clair que
Matthieu s'oppose à ces accusations : le Christ n'était en rien fauteur de
trouble : le « gouverneur
romain » l'avait
lui-même clairement reconnu. Les troubles venaient de la foule
de Jérusalem, qui est, d'ailleurs, toujours à fomenter
des troubles politiques, comme on l'a bien vu lors du procès
de Jésus.
Et de plus, si Titus l'a si durement châtiée en
l'an 70, c'était mérité : n'avait-elle
pas elle-même dit :
Que son sang retombe sur nous
et sur nos enfants !
En l'occurrence, 40 ans plus tard,
c'était bien les enfants et même les petits-enfants de
ceux qui avaient fait condamner Jésus qui s'étaient
trouvés aussi cruellement massacrés par les
légions romaines.
D'ailleurs dans la parabole des
invités qui ne veulent pas venir au festin du roi, qui se
trouve dans Matthieu 22.1 et dans Luc 14.16, Matthieu
ajoute la phrase effroyable :
le roi se mit en
colère, envoya ses troupes, fit périr ces assassins et
incendia leur ville.
Après l'incendie de la ville de
Jérusalem révoltée contre l'Empereur, cette
parabole prenait un sens terriblement actuel.
.
La phrase
Que son sang retombe sur nous
et sur nos enfants !
a donc vraiment, si l'on y est attentif, un
sens très concret. La religion juive n'y est en rien
mêlée puisqu'on est dans un contexte purement politique
à la suite du massacre de la ville de Jérusalem. On ne
peut y fonder aucun antisémitisme !
.
La conclusion de cette réflexion
est qu'il ne faut pas chercher
à justifier son racisme antisémite par des arguments
d'apparence historique.
Une étude un peu sérieuse de ce texte me semble prouver
qu'il est aussi absurde de l'utiliser pour justifier son
antisémitisme en accusant les juifs d'attirer sur eux une
malédiction divine en faisant condamner Jésus que
d'accuser les Lyonnais d'antichristianisme pour avoir fait en
l'an 177 des pogroms de chrétiens où ils
martyrisèrent leur évêque Pothin et la pauvre
esclave Blandine ou de reprocher aux Italiens de nous avoir
imposé avec Jules César leur langue latine, qui est
devenue la langue française, à la place de notre langue
d'époque celtique, qui nous aurait fait parler au lieu du
français une langue de famille anglo-saxonne...
Un peu de rigueur dans notre étude
permet souvent d'éviter de la
méchanceté injuste.
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