Réflexion
Parler avec des
dinosaures
débat avec le Rev. Brian
Hebblethwaite, membre du Queen's College, Cambridge
Talking With Dinosaurs
Don Cupitt
26 juillet 2008
Jusqu'à la fin du
17e siècle, on
vivait en Europe dans une culture traditionnelle, une conception
religieuse du monde. Toute connaissance importante était
considérée comme venant de Dieu, par
l'intermédiaire de la tradition de l'Église, par
révélation divine ou par une illumination directe de
l'Esprit.
Pour recevoir la connaissance, il fallait se
purifier afin d'en être moralement digne. La connaissance des
réalisations humaines existait mais n'était pas tenue
en haute estime : le Moyen-Age ne nous a laissé aucun
livre décrivant la construction des cathédrales ou des
navires de guerre. Ce type de connaissance était
considéré comme une simple technique.
Au 17e siècle
les choses commencèrent à changer. Il devint clair que seule la raison humaine
était capable de connaissances scientifiques qui
étaient de loin supérieures à tout ce qui
existait jusque là. L'ancienne cosmologie religieuse
commença immédiatement à mourir et les penseurs
des Lumières initièrent une nouvelle culture humaniste
et critique. Les connaissances ne descendaient plus du ciel mais
étaient élaborées à partir des sens de
l'être humain, de sa raison, de son jugement critique, de son
imagination créatrice et - naturellement - de ses
débats avec les autres penseurs.
Une pensée radicalement nouvelle
était née. Par exemple
l'ancienne éthique d'obéissance à la loi divine
fut progressivement supplantée par une nouvelle éthique
fondée sur l'élaboration d'un contrat social.
L'éthique devint plus humaniste.
De même la politique de l'ancienne
monarchie absolue qui nous réduisait à l'état de
sujets soumis laissait la place à une démocratie
libérale dont l'autorité venait du peuple.
L'État lui-même devenait
humaniste.
Dans la pensée
religieuse, Dieu est de plus en plus
remplacé par l'expérience spirituelle individuelle et
les différentes religions du monde sont
considérées comme des élaborations humaines.
Puisque les humains ont développé leur propre langage,
leur propre connaissance, leur propre compréhension du monde
et sont les seuls juges de ce qui est vrai, c'est donc que l'esprit
humain est créatif. C'est nous, les hommes, qui avons fait
tout cela. Nous sommes les créateurs de notre propre monde,
nous en sommes les seuls juges. Alors que dans le passé Dieu a
été, en effet, le Seigneur de l'histoire et donc son
seul moteur, ce sont désormais les humains et notamment
après la Révolution française de 1789, qui
commencent à se considérer eux-mêmes comme
collectivement le moteur de leur propre histoire. Nous en sommes
seuls les responsables.
Dans cette grande évolution de la
culture, on constate un transfert des compétences de Dieu
à l'homme, événement extraordinaire que le
christianisme avait prévu et décrit comme la « kénose » de Dieu. Dieu s'incarne en simple mortel et
humain-du-monde. Il demeure avec les hommes, il se démocratise
et meurt dans la nature humaine. Les anciens dogmes de l'Incarnation
et de la Trinité avaient prévu ce qui arrive
maintenant. Paul avait dit : « toutes choses sont à
vous ».
Aujourd'hui la situation est la
suivante. Au lieu d'un cosmos
créé, fabriqué, maintenu et dirigé par la
propre Parole puissante de Dieu, nous avons seulement notre monde,
dont la signification toujours changeante n'a de
réalité que dans nos conversations humaines. Les
conceptions « objectivement
vraies » et toutes les
anciennes vérités « éternelles et
absolues » dont on vivait
autrefois ont aujourd'hui disparu. Nous vivons désormais dans
des certitudes continuellement changeantes. Nos connaissances, notre
monde et... nous-mêmes sommes éphémères.
Et pourtant dans ces conditions la vie demeure vivable et notre monde
est toujours beau.
On avait l'habitude de fonder notre
pensée sur trois grandes entités : Dieu, le monde
et l'âme humaine. Nous devons abandonner aujourd'hui ce langage
et nous fonder sur deux entités : la Vie et ma
vie.
« La
Vie » est, dans le monde
de l'humanité sans fin et sans bornes - mais
évidemment fini - le flux des choses, marée
montante et descendante des échanges et des
pensées.
Et au milieu, cette entité que je reconnais pour être « moi », ma Vie. Je suis un pas de danse dans le grand ballet
du monde. Je ne suis que peu de choses mais avant de partir, je peux
participer à la danse.
Dans ces conditions, notre tâche est
d'oublier le passé, d'apprendre à voir le monde tel
qu'il est, d'accepter la vie telle qu'elle nous est désormais
donnée, d'entrer librement dans la danse et de vivre
pleinement notre vie.
Cette nouvelle sorte de religion n'est pas
vraiment nouvelle. Jésus lui-même l'a enseignée
avec beaucoup de clarté. Il est tout à fait possible de
vivre aujourd'hui notre vie à la manière de
Jésus car sous bien des aspects la société
moderne est plus chrétienne qu'elle ne l'a jamais
été dans la soi-disant
« société
chrétienne » : il n'est que de
considérer l'existence même d'organisations comme nos
services de sécurité sociale, l'Organisation des
Nations Unies, les services d'entraide mondiaux et l'importance
attachée aux Droits de l'Homme. Rien de cela n'existait
autrefois.
Le monde est plus chrétien qu'il
n'était alors que
l'Église y est moins heureuse et en rapide
déclin ! Elle se croit toujours, en effet, dans le monde
pré-moderne et pré-critique. Dostoïevski en
parle dans le fameux passage des Frères Karamazov où il
raconte que le Christ revient sur terre et se voit
récusé par le Grand Inquisiteur.
L'Église a oublié qu'elle
n'était qu'une structure transitoire qui devra, le moment venu, céder la place
à une plus grande Réalité à laquelle elle
doit nous préparer. Elle se vénère
elle-même et son organisation comme une idole et s'imagine
qu'elle apporte elle-même le salut. Elle ne sait pas comment
s'en sortir, alors même que les fidèles se rendent
compte que la vision du cosmos qu'enseigne l'Église ainsi que,
globalement, tout son système doctrinal sont aujourd'hui
parfaitement obsolètes.
Véhémente, aigrie,
bloquée en elle-même et se réfugiant dans le
fondamentalisme, l'Église n'a tout simplement plus la
capacité d'être honnête avec
elle-même.
Voici un exemple de l'effondrement
auquel nous assistons de la doctrine
traditionnelle. Depuis une vingtaine d'années, les
cérémonies d'enterrements ont tout à fait
abandonné les quatre composantes traditionnelles
qu'étaient la mort, le jugement, le paradis et l'enfer pour
les remplacer par la reconnaissance de la vie du défunt, ce
qui est plus profane. Chaque cérémonie d'enterrement
confirme une fois de plus la disparition de notre pensée du
monde surnaturel. Ni les prêtres ni les évêques
n'ont eu la force ni même le désir d'y
remédier.
Dans mes voyages à travers le monde,
j'ai vu dans quantités de cultures différentes, des
gens qui essayaient désespérément de conserver
des lambeaux de leurs traditions ancestrales qui étaient en
train de disparaître devant la modernité qui
avançait de manière irrésistible.
Par exemple, en Chine, la médecine
traditionnelle à base de
simples, résiste mal à l'arrivée massive de la
médecine scientifique occidentale. La même chose se
produit d'ailleurs en occident où on peut difficilement
dénier la valeur de la médecine officielle et où
pourtant on conserve de nombreux exemples des guérisseurs
traditionnels. Tout ceci est évidemment absurde et nous le
faisons pourtant. L'occident a donné naissance à la
modernité et, d'une certaine manière, ne parvient pas
à l'aimer.
Telle est la position de certains de nos
contemporains, comme Brian
Hebblethwaite. Ils sont modernes mais ils vivent dans la
réaction, s'efforçant de maintenir vivante une vision
du monde morte depuis 300 ans et qui, aujourd'hui, ne fonctionne
plus du tout. Je n'affirme pas qu'ils se trompent complètement
car je ne crois pas, personnellement, à l'existence d'une
vérité absolue. Les gens ont bien le droit de se
construire les visions du monde les plus étranges et d'y vivre
à leur manière.
Mais on verra bien,
finalement, laquelle de nos visions
de la condition humaine s'avèrera la plus intellectuellement
satisfaisante et participera le mieux au bonheur de la vie.
Traduction Gilles
Castelnau
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