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Les « plaies » d'Égypte

 

un récit encourageant et apaisant

 

Exode chapitres 7 à 14

 

Gilles Castelnau

 

15 juillet 2008
Nous sommes au 6e siècle av. JC
, les Israélites sont en Exil à Babylone sous la botte des redoutables Babyloniens et produisent les textes de l'Exode racontant la mythique sortie d'Égypte avec Moïse. (On supposait naguère encore qu'une partie des récits de la Genèse et de l'Exode dataient de l'époque du roi Salomon. Depuis maintenant une quinzaine d'années, grâce notamment aux biblistes allemands ont pense que ces textes datent en réalité du 6e siècle av. JC).

Les malheureux exilés chantent le Psaume 137 :

Sur les bords des fleuves de Babylone,
Nous étions assis et nous pleurions,
En nous souvenant de Sion...

Et voici que plusieurs auteurs écrivent indépendamment les uns des autres un nouveau chant - qui a été repris par les esclaves noirs des plantations de coton aux États-Unis et que nous chantons nous-mêmes encore autant de siècles plus tard : « let my people go », laisse aller mon peuple.

Ce récit de la Sortie d'Égypte que l'on ne manque pas de raconter aux enfants du catéchisme, est marqué à la fois par l'angoisse des exilés enfoncés dans la détresse et par la grande foi d'un peuple à l'esprit de vainqueur qui sent au fond de lui la présence du dynamisme sauveur du Dieu puissant et libérateur, l'espérance de la libération de cette nouvelle maison de servitude, de la résurrection de cette mort vivante.

 

Comment se fait-il que l'exaucement ne soit pas plus simple ? Que l'on ait parfois l'impression que rien ne bougera jamais ?

Aujourd'hui on pense naturellement aux prisonniers des Farc en Colombie, au sinistre Mugabe affamant et terrorisant le Zimbabwe, aux petits propriétaires américains et anglais obligés par les conseils d'administrations de leurs banques de revendre à bas prix leurs belles maisons récemment acquises, aux jeunes des banlieues pris dans des règlements de compte où certains perdent la vie...

C'est bien l'impression qu'avaient les Israélites à Babylone. Les Babyloniens le leur disaient : Mardouk,, le Dieu de Babylone est le plus fort. Nabuchodonosor le roi de Babylone est tout-puissant.

Alors on écrit l'histoire de cet autre Exil, marquant l'origine de l'histoire du peuple, avec Moïse où c'était l'Égypte qui était la Maison de servitude et le Pharaon qui en était le prince inflexible.

Et en écoutant toujours à nouveau ce récit de la Sortie d'Égypte, on sent toujours l'esprit de victoire monter en nous, même si le combat du Dieu de la liberté contre le Pharaon au coeur dur se poursuit en dix rounds.

 

.

 

D'autres auteurs, d'autres théologiens ont d'ailleurs, à la même époque, cherché à répondre à leur manière à l'angoisse générale.

 

Un des auteurs de la Genèse, qui écrit lui aussi, comme on le pense, pendant l'Exil à Babylone, commence par décrire, selon les conceptions de son époque, la création de la Terre en 6 jours. Et chaque jour, écrit-il, Dieu regarde le monde dont il vient de faire progresser la création et il déclare que « c'est bien ! ».

Les malheureux juifs exilés sont naturellement portés à dire au contraire que tout va mal et que le monde est inhabitable. Mais, suggère l'auteur, Dieu n'a-t-il pas dit que « c'est bien ! » ?

L'obscurité initiale a été trouée dès le premier jour du monde par la lumière. Et Dieu a passé toute cette première journée à séparer obscurité et lumière pour que l'on ne parle pas de s'enfoncer dans l'obscurité alors que la lumière, en vérité, brille pour nous. Ne faut-il pas éviter de parler d'obscurité alors que la lumière, en réalité, brille créée par Dieu ?

A Babylone aussi ? Certes oui !

Le marécage initial où l'on enfonce sans rien trouver de solide sous ses pieds a laissé place à la terre ferme que Dieu a si bien séparé de la mer qu'il leur a même trouvé des noms : « terre » et « mer ».

A Babylone est-on sur la terre ferme ? peut-on y vivre sans s' « enfoncer » ? Certes !

Par la suite la Genèse nous raconte l'histoire de notre premier ancêtre Abraham qui vivait lui aussi en Exil : Babylonien (n'était-il pas d'Ur en Chaldée ?). Dieu l'envoie en Palestine où il se trouve étranger, parmi les Cananéens (Genèse 12).

Il a vécu, dit le récit, sans jamais posséder le moindre arpent de cette terre qui manque tellement à ses descendants. Il a pourtant réussi à survivre, à vivre et même à se comporter en bon terme avec les excellents habitants de ce pays qui n'était pas le sien !

D'ailleurs, même les Égyptiens ne sont pas toujours persécuteurs des Hébreux. C'est même le contraire qui se produit lorsque Agar la servante égyptienne est si mal traitée par Sara la propre épouse d'Abraham.

Le Dieu de la Genèse n'est pas, comme celui de l'Exode le puissant libérateur. Il propage l'harmonie et de la compréhension entre tous les hommes ; il fait régner la paix dans les coeurs troublés

 

Les auteurs des livres dits historiques (Josué, Juges, Samuel, Rois) rapportent que ce n'est pas l'impuissance de Dieu qui nous a livrés aux mains de nos ennemis mais le fait que nous nous étions détournés de lui et de son Alliance. Nous n'avions par respecté ses commandements et il nous avait abandonnés à nous-mêmes. Nous méritions le malheur qui nous frappait. Mais si nous nous repentions et redemandions son aide, Dieu qui est miséricordieux et pardonne nous secourrait. En attendant, il nous fallait revenir à l'observance de ses commandements.

Ces auteurs là, que l'on appelle « deutéronomistes » car ils suivent la théologie de l'Alliance du Deutéronome, sont les ancêtres des Pharisiens auxquels Jésus s'oppose dans les évangiles. Cette conception d'un Dieu de la Justice perdure dans certains milieux jusqu'en notre 21e siècle.

 

L'auteur du livre de Job met en scène les visiteurs du malheureux Job, personnage sympathique qui a tout perdu : ceux-ci s'efforcent de le persuader, selon la théologie deutéronomiste, que s'il est ainsi abandonné de Dieu, la raison en est, sans aucun doute, dans le fait qu'il a abandonné l'alliance sainte et ses commandements : qu'il se repente de ses péchés et Dieu le sauvera. Job refuse cette conception de Dieu, refuse d'admettre que ses péchés soient la cause de ses malheurs et finalement c'est à lui que Dieu donne raison.

La polémique devait faire rage entre les théologiens israélites !

 

Le Second Esaïe, auteur des chapitres 40 à 55 du livre, n'entre pas dans ces questions de responsabilité et affirme tout simplement et avec un élan convaincant : « Consolez, consolez mon peuple, dit l'Éternel et dites-lui que son esclavage va bientôt prendre fin ».

 

.

 

C'est dans ce contexte que les récits de la sortie d'Égypte ont été rédigés dans l'Exode.

 

Le combat des monstres

Parmi toutes ces conceptions, celles de l'Exode sont incontestablement celles d'un Dieu libérateur. Mais elles se heurtent forcément à la question du mal : comment se fait-il que Dieu nous libère si peu et si difficilement ?

Les récit des « 10 plaies » (Exode 7 à 11) nous montrent justement que la libération fondamentale du peuple hors d'Égypte n'a été acquise qu'à l'issue d'un combat incertain en dix rounds de Dieu contre le Pharaon.

Le prologue de cette grande et terrible joute est celui où Moïse transforme son bâton en monstre alors que les magiciens du Pharaon en font autant.

 

Exode 7.1-13

L'Eternel dit à Moïse :
- Tu diras tout ce que je t'ordonnerai et Aaron, ton frère, parlera à Pharaon, pour qu'il laisse aller les enfants d'Israël hors de son pays. Et moi, j'endurcirai le coeur de Pharaon, et je multiplierai mes signes et mes miracles dans le pays d'Égypte.
Pharaon ne vous écoutera point. Je mettrai ma main sur l'Égypte, et je ferai sortir du pays d'Egypte mes armées, mon peuple, les enfants d'Israël, par de grands jugements.
Les Egyptiens connaîtront que je suis l'Eternel, lorsque j'étendrai ma main sur l'Égypte, et que je ferai sortir du milieu d'eux les enfants d'Israël.

Moïse et Aaron firent ce que l'Eternel leur avait ordonné ; ils firent ainsi. Moïse était âgé de quatre-vingts ans, et Aaron de quatre-vingt-trois ans, lorsqu'ils parlèrent à Pharaon.

L'Eternel dit à Moïse et à Aaron :
- Si Pharaon vous parle, et vous dit : Faites un miracle ! tu diras à Aaron : Prends ton baton, et jette-le devant Pharaon. Il deviendra un monstre.

Moïse et Aaron allèrent auprès de Pharaon et ils firent ce que l'Eternel avait ordonné. Aaron jeta son baton devant Pharaon et devant ses serviteurs et il devint un monstre.
Mais Pharaon appela des sages et des enchanteurs; et les magiciens d'Égypte, eux aussi, en firent autant par leurs enchantements.
Ils jetèrent tous leurs batons, et ils devinrent des monstres. Mais le baton d'Aaron engloutit leurs batons.
Le coeur de Pharaon s'endurcit, et il n'écouta point Moïse et Aaron comme l'Éternel avait dit.

 

Le mot hébreu utilisé, que nos versions rendent volontiers par « reptile », désigne un monstre. Le récit de la création du 5e jour dans Genèse 1 précise que parmi les animaux marins, Dieu avait créé les « grands monstres ». Dieu qui aurait donc pu former, devant le Pharaon, un « grand monstre », n'en a en réalité produit qu'un « normal » pour ainsi dire. Il se trouvait donc presque à égalité avec les magiciens du Pharaon qui avaient été capables d'en faire autant. Sauf que le monstre de Dieu avait dévoré ceux du Pharaon. Exemple frappant de la manière dont, aux yeux de l'auteur, la victoire de Dieu se produit. Elle n'est pas le résultat d'une intervention surnaturelle révélant la présence fracassante d'un tout-puissant. Elle est le combat presque d'égal à égal d'un Dieu s'impliquant dans le monde des hommes et... des humbles magiciens d'un Pharaon égyptien !

De même lors de la 1ère plaie, lorsque toute l'eau du pays d'Égypte est transformée en sang, les magiciens du Pharaon « en font autant ». (L'auteur de ce passage est tellement lancé dans sa réflexion théologique qu'il se soucie peu de savoir où les magiciens ont trouvé de l'eau à changer en sang puisque « toute l'eau du pays d'Égypte » était déjà du sang !)

Cette conception de Dieu est donc loin d'être celle d'un tout-puissant céleste intervenant souverainement, de manière surnaturelle, dans l'histoire des hommes pour y accomplir sa volonté mais elle le montre totalement impliqué dans le monde humain. Un Dieu tout près de s'incarner. Non pas un « tout-puissant » (le mot ne se trouve jamais dans l'original hébreu, mais un « puissant » parmi les puissants, exerçant une force libératrice au milieu du chaos des forces hostiles.

 

Le cœur dur du Pharaon

Le grand récit de l'Exode - et tout particulièrement la narration (chapitres 7 à 11) des fameuses « plaies d'Égypte » : l'eau changée en sang, les grenouilles, les moustiques, les mouches, la peste du bétail, les ulcères, la grêle, les sauterelles et les ténèbres - est un patchwork composée de textes élaborés par plusieurs auteurs proposant parfois des explications un peu différentes. Une lecture attentive des textes permet de les reconstituer à partir des répétitions de vocabulaire. Ce n'est pas le même auteur qui a écrit les récits des différentes « plaies ».

 

L'auteur des plaies 4, 5 et 7 écrit :

« Le cœur du Pharaon s'endurcit et il ne laissa pas partir le peuple »

Le malheur n'est pas inouï. Le mal existe tout naturellement, la chose est bien connue. Que les Israélites se souviennent que déjà en Égypte, le blocage du Pharaon précipitait tout un peuple dans le malheur. Après tout les animaux souffrent aussi et - saint Paul le dira plus tard - « la création tout entière soupire ».

On peut donc dire non à Dieu. Dieu n'est donc pas le tout-puissant maître du monde à la volonté irrésistible.

Le Pharaon peut endurcir son coeur. Mugabe, votre chef de bureau, votre adolescent bloqué le peuvent également.

Il n'y a qu'une chose à faire : continuer tout droit.

C'est le temps de la persévérance.

 

L'auteur des plaies 1, 2 et 3 écrit :

« Le cœur du Pharaon s'endurcit et il n'écouta pas Moïse et Aaron comme l'avait dit l'Éternel »

Dieu savait donc ! Amos avait déjà écrit il y a bien longtemps avant l'Exil : « Jamais, dit l'Éternel, je n'oublierai une seule de leurs œuvres ! »

Et Jérémie : « Je sais tout cela, j'en suis le témoin, dit l'Éternel » (Jér. 24.29).

Nous ne sommes pas seuls, ignorés, dans notre souffrance, nous avons un témoin, un consolateur.

 

L'auteur des plaies 6, 8 et 9 écrit :

« L'Éternel endurcit le cœur du Pharaon »

Celui-ci a l'idée que Dieu est tout-puissant et maître de toutes choses comme le disent aujourd'hui les musulmans lorsqu'ils répètent « inch'Allah » ou les évangéliques. Ils rendent même Dieu responsable des tremblements de terre, des tsunamis et du Destin de l'humanité. Saint Paul lui-même avait proposé cette idée en parlant de la prédestination et Calvin l'a suivi. Certains catholiques ne trouvent qu'un moyen pour se libérer de ce terrible destin, c'est d'essayer de faire intervenir la Vierge Marie ou sainte Rita, patronne des causes perdues.

 

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La conclusion de tout cela n'est pas la même dans chacune des dix plaies.

 

« C'est afin que tu reconnaisses que nul n'est semblable à l'Éternel » (plaies 2 et 7)

Cette expérience nous donne donc un sentiment de stabilité, de paix intérieure : nous sommes capables de poursuivre notre vie. Comme les oiseaux du ciel qui ne valent pas deux sous et dont Jésus a dit qu'ils ne tombaient pas à terre sans la présence du Père (Les mots « sans la volonté » du Père ne figurent pas dans le texte grec).

On peut donc garder la foi.

 

« C'est afin que tu reconnaisses que moi l'Éternel je suis au milieu de ce pays » (plaie 4)

Dieu est donc au milieu de l'Égypte, au milieu de Babylone, présent secrètement. Elie Wiesel raconte qu'assistant dans le camp de concentration d'Auschwitz à la terrible exécution d'un jeune adolescent, la question fusa dans les ranges des déportés : « où est donc Dieu ? ». Et la réponse jaillit aussi : « il est là, sous la potence, avec ce malheureux supplicié. »

On peut donc garder la force de l'espérance.

 

« C'est afin que tu reconnaisses que la terre est à l'Éternel » (plaie 7)

La terre d'Égypte, celle de Babylone, la terre du 93, de l'Irak, du Zimbabwe, de Colombie, la terre de France appartiennent à l'Éternel.

On peut donc garder l'amour pour les hommes qui y demeurent.

 

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