Libre opinion
Théisme,
panthéisme, panenthéisme
Gilles Castelnau
17 octobre 2004
Le
théisme
La première manière de
comprendre Dieu porte le nom théologique de
« théisme ». Elle
consiste à croire en un Dieu personnel qui
dirige l'histoire et intervient directement dans
la vie des hommes, justement celui « qui fait mourir et qui
fait vivre ». Il conduit la nature
et l'humanité.
On cite pour
justifier cette option le texte :
Ne vend-on pas deux
moineaux pour un sou ? Cependant,
il n'en tombe pas un à terre sans (la
volonté de) votre Père. Matthieu 10.29
Il faut tout de même remarquer que les mots « sans la volonté »
ne figurent pas dans le texte biblique :
ils ont été ajoutés par le traducteur. Le texte
dit :
Cependant, il
n'en tombe pas un à terre sans votre
Père.
Ce qui ne signifie pas que Dieu aurait voulu ou
aurait permis qu'il tombe, mais que Dieu était
bien présent lorsqu'ils sont tombés. De même
qu'un visiteur peut être présent lorsqu'un
malade meurt.
On cite
également :
L'Éternel est
mon berger : je ne manquerai
de rien
Il me conduit dans les verts
pâturages. Psaume 23
On pense alors que rien ni personne ne peut
entraver les desseins d'un Dieu que l'on dira « tout-puissant ».
Mais ce mot n'est pas dans la Bible. Lorsqu'on
le traduit ainsi, dans l'Ancien Testament, on
est bien hardi car le mot hébreu ainsi traduit ,
en général « El
Shaddaï », n'est pas du tout clair
et ne signifie en tout cas pas « tout-puissant ».
Dans le Nouveau Testament le titre de « tout-puissant »
ne figure nulle part sauf dans
l'Apocalypse : « pantocrator ».
Mais cela ne signifie pas que Dieu puisse faire
tout ce qu'il veut et n'importe quand.
Dieu écoute la prière
des hommes et modifie, s'il le
veut, le cours des événements, dit la pensée
théiste. Un télévangéliste américain disait
qu'il était convaincu d'obtenir par la prière,
que Dieu détourne un cyclone de son centre de
télévision. Cette affirmation a suscité beaucoup
d'émotion chez ses voisins qui remarquaient que
le cyclone viendrait alors sur eux !
Ces prières de demandes existent. Sur les
registres de prières qui sont parfois à
disposition des gens à la porte des églises, on
peut inscrire des demandes précises :
- « Rends-moi
l'amour de Carla »
- « Obtiens
la mutation de mon mari à Nîmes »
L'idée est que l'on remet ainsi à la providence
de Dieu les besoins et les soucis, dans la
confiance qu'il les prendra en charge puisqu'il
prend soin des hommes et écoute leurs demandes.
L'évêque John
Spong, près de New York, s'est scandalisé
lorsqu'à propos d'une rémission dont son épouse
venait de bénéficier dans le cancer qui
l'affectait, ses paroissiens lui ont dit :
-
« Nous avons été tellement nombreux à
faire une chaîne de prières en sa faveur,
qu'il ne nous étonne pas que Dieu en ait tenu
compte. »
L'évêque Spong a répondu :
- « Cela
semble signifier que Dieu est plutôt sensible
au fait que beaucoup de gens connaissent ma
femme, qu'elle est femme d'évêque et cela la
rend importante à ses yeux ! Alors qu'il
aurait moins soin d'une pauvre femme
solitaire ! Quel Dieu antipathique vous
me présentez là ! »
Cette 1ère
manière ne rend pas compte de la
souffrance des innocents et des prières non
exaucées.
Les journaux de Nashville (Tennessee) ont donné
beaucoup d'ampleur à l'anecdote que voici.
Après l'accident d'auto dont la chanteuse
Barbara Mandrell avait réchappé sans trop de
dommages, le Président Reagan l'avait félicitée
en ajoutant : « Dieu
vous a protégée », en oubliant que
l'autre automobiliste impliqué dans l'accident y
avait perdu la vie ! Étrange conception de
la providence divine qui suppose que Dieu
n'aurait pas souhaité protéger aussi l'autre
automobiliste ! Elle en a laissé plus d'un
perplexe.
Bien des gens ne veulent plus, et à juste
titre, d'une telle théologie.
La question est
fréquemment soulevée lors de
catastrophes qui ont fait des victimes
innocentes par centaines, par milliers et même
par millions :
« où est donc la providence
divine ? ». S'il est vrai que
Dieu est bon et qu'il exauce les prières et
intervient dans la vie du monde, comment
permet-il cette souffrance, pourquoi n'a-t-il
pas empêché ce malheur, s'il le peut ?
On comprend parfois ces malheurs comme des
punitions méritées par l'inconduite des hommes.
Des télévangélistes américains ont dit que
l'attentat sauvage contre le World Trade Center
et les tremblements de terre qui se produisent
ici et là sont la punition que Dieu inflige aux
hommes qui ne s'opposent pas suffisamment à
l'homosexualité et à ce qu'ils appellent les
autres « vices »
sexuels. Ce qui implique aussi que Dieu
s'intéresse particulièrement aux question
sexuelles !
Or n'est-il pas écrit que
Dieu fait
lever son soleil sur les bons
comme sur les méchants et il
fait tomber la pluie
(bienfaisante) sur les justes
et sur les injustes
Matthieu 5.45.
Et il est vrai que Dieu ne modifie pas le cours
des événements à notre demande. Nous lui sommes
néanmoins attachés avec ferveur et bonheur, mais
non parce que nous obtenons ses faveurs. Nous
n'aimons pas Dieu à cause des exaucements qu'il
nous donne comme on l'est à notre député s'il
nous a fait obtenir un passe-droit !
La prière ne persuade
pas Dieu d'intervenir dans les
affaires des hommes. Elle nous persuade de
considérer nos prochains avec les yeux du Christ
et elle nous délivre ainsi de tout esprit de
domination intégriste et dominatrice.
Elle nous ouvre les yeux afin de nous faire voir
notre prochain comme un être en qui Dieu demeure
déjà et qu'il aime.
Prenons garde que notre prière induit une
certaine image de Dieu selon la manière dont
nous la formulons.
Le théisme se trouve
dans l'islam où l'on répète
constamment « inch
Allah », c'est-à-dire « s'il plaît à
Dieu ». On dit : « mektoub »,
« c'était écrit ». Comme si
Dieu avait écrit l'avenir du monde et que les
hommes étaient totalement des marionnettes entre
ses mains, prisonniers de leur Destin.
Le
panthéisme
Une seconde manière se
nomme le panthéisme :
l'hindouisme, le bouddhisme occidentalisé qui
réintroduit l'idée de Dieu, l'animisme des
religions africaines et du shintoïsme japonais.
Dieu (ou les dieux ) est l'Esprit de la Nature.
Il est l'esprit du vent qui souffle, de l'eau
qui coule. Il est l'esprit des hommes, des
bêtes, des plantes. Dieu n'y fait rien de
nouveau, tout est pleinement en lui.
Alors que dans le théisme Dieu est face au
monde, à l'humanité, aux bêtes, aux plantes,
comme un jardinier est face à son jardin et un
général face à son armée. Il commande,
intervient, modifie.
Le
panenthéisme
La troisième manière
est le pan-en-théisme dont le nom signifie « tout est en
Dieu ». Dieu est à l'intérieur,
dans nos âmes comme le Dieu du panthéisme plutôt
que dans le ciel. Il est le sang qui circule
dans nos veines, le souffle qui monte en nous,
le dynamisme créateur, le saint Esprit. Mais il
est plus que nos âmes, il est aussi à
l'extérieur. Il nous entraîne à sortir de
nous-mêmes, de nos sentiers battus et de nos
habitudes. Comme les Hébreux ont quitté l'Égypte
pour marcher à travers la mer Rouge vers la
Terre promise.
Ceci est fort différent de la conception
théiste selon laquelle Dieu fait ce qu'il veut,
à sa guise, comme un despote oriental.
Dieu est en nous, il n'est
pas sans nous, mais il est plus que nous.
Pas seulement en nous
les hommes : nous ne sommes
pas au centre de la création : Regardez
autour de vous : tout bouge, grandit, se
complexifie. Nous assistons sans cesse au
renouveau des hommes, des animaux, des plantes,
de la nature entière. Tout naît, se développe,
puis disparaît et laisse la place à d'autres
mouvements. Nous nous levons le matin, malgré
tout ce qui nous attend dans la journée, (et je
pense en particulier à ceux qui se réveillent le
matin dans un lit de prison, d'hôpital,
d'inquiétude... et nous puisons en nous le
courage qui y est constamment renouvelé. D'où
tout cela vient-il sinon de la source de la
vie ?
Et si vous n'aimez pas utiliser le mot « Dieu » à
cause de toutes les lourdeurs qu'il véhicule,
Églises antipathiques, éducation rigide dans
l'enfance, mauvais exemple de croyants
dominateurs et prétention, ne dites pas « Dieu », le
vocabulaire n'a aucune importance. Dites « Nature »
si vous préférez, avec un N majuscule (bien
qu'il soit plus que la Nature). Cela revient au
même. Mais ne dites pas que vous n'êtes pas
sensible à ce grand flot de la vie qui nous
entoure et dans lequel nous baignons, auquel
nous appartenons : élan vital à l'oeuvre en
nous et dans le monde ! Bien sûr qu'il y a
un dynamisme créateur, une force de vie
apaisante et tonique pour nous, pour les animaux
et pour les plantes !
Non pas un créateur siégeant à l'extérieur du
monde, à l'extérieur de nous-mêmes. Il n'est pas
un super empereur regardant toutes choses de
là-haut et dont nous, misérables vermisseaux,
essayerions d'obtenir parfois de lui quelque
faveur ! Dieu n'est pas « ailleurs »,
il n'est pas « au
ciel », il n'est pas « tout autre »,
il est le dynamisme intérieur aux hommes et au
monde.
Dieu ne tombe pas sur
nous du dehors, il monte en nous du dedans.
Il est présent dans la vie de notre monde, il en
est le moteur, l'âme, il en est l'élan. Et pas
seulement de nous mais aussi des animaux, des
plantes, et peut-être aussi des minéraux. Il est
aussi indispensable à la vie du monde que le
moteur à la vie d'une voiture. Il participe à
tout ce qui se passe, à toutes les réalités
auxquelles nous avons à faire et d'abord à
nous-mêmes. Il agit en tout ce qui bouge :
rien n'échappe à son action de même que rien
n'échappe aux rayons du soleil ou à l'air qui
nous baigne.
Il ne faut pas le chercher dans des « miracles »,
dans l'extraordinaires et le surnaturel,
modifiant le cours des événements de
l'extérieur. On le rencontre dans le quotidien,
l'habituel, le normal. Tout vient de lui, toute
vie est par lui. Rien n'est plus normal que de
croire en lui.
Il est en nous,
il n'est pas sans nous, il est plus que nous.
Dieu se trouve au cœur
du monde, comme le levain qu'une
femme a caché dans la pâte pour la faire lever
Matthieu 13.33. Mais Dieu n'est pas la
pâte. Il est dans le monde mais il est tout de
même un peu distinct du monde, comme le moteur
est un élément de la voiture mais n'est pas
toute la voiture.
Plutôt qu'à un souverain, dit le professeur
André Gounelle, il faut comparer Dieu à un chef
d'orchestre qui propose la partition aux
musiciens ; partition de vie et de joie. Il
distribue des partitions plus simples ou plus
riches selon les moyens de chacun. Il encourage,
dynamise les musiciens et suivant leur jeu peut
modifier leur partition.
Il souffre des fausses notes et de la mauvaise
qualité de certains musiciens. L'orchestre
n'atteint jamais la perfection.
Il y a un premier violon, Jésus-Christ, dont le
rôle dans l'orchestre est primordial. Il ressent
la joie de la réussite des musiciens : Dieu est
un Dieu de joie.
Et je ne parle pas de
la « joie » qu'il
faudrait éprouver en se disant qu'il a manipulé
la circulation dans Paris pour faire arriver
l'autobus à temps pour qu'on ne soit pas en
retard ou qu'il a fait arriver notre dossier
avant celui de quelqu'un d'autre (qui ne sait
pas si bien prier que nous) pour que nous
obtenions un logement social ou un avancement
professionnel !
Je parle de la « joie »
qu'il y a effectivement à puiser en nous son
dynamisme créateur, son Esprit de paix et de
fraternité de sorte que nous avons été un peu
plus semblable à Jésus, semblable aux prophètes
d'Israël, à Martin Luther King et à Gandhi, à
Vincent de Paul et à Mgr Romero, un homme digne
de ce monde, un véritable enfant de Dieu dont la
vie est réussie !
Dieu n'est pas
« tout-puissant » dans
la mesure où il est clair que d'autres
puissances que la sienne sont à l'oeuvre dans le
monde, à commencer par la nôtre : d'autres
actions concurrencent sa volonté et s'y
opposent.
- Nous
pouvons bien lui dire : « nourris ceux qui ont
faim », mais si nous collaborons à
un système économique où la Bourse de Paris ou
de Tokyo fait baisser le cours des matières
premières qui font vivre le Tiers-Monde, Dieu ne
peut pas modifier lui-même les cours de la
Bourse pour qu'ils arrivent au niveau nécessaire
à ses enfants, nos frères africains ou
d'Amérique latine.
- Un
étudiant peut bien prier pour trouver une
chambre
pas-trop-chère-mais-bien-quand-même : si
les propriétaires de chambres préfèrent les
conserver libres ou louent 9 m2 sans eau
chaude à un prix insensé, Dieu ne multipliera
pas les chambres d'étudiants dans Paris et je ne
crois pas qu'il pistonnera celui qui appartient
plutôt à telle Église qu'à telle autre.
- Dieu
souhaite toujours que les parents élèvent bien
leurs enfants et contribuent à leur
épanouissement, mais sa volonté peut être
tragiquement contrecarrée par un automobiliste
qui choisit de boire et de brûler les feux
rouges.
Dieu est donc l'élan
vital en nous, dynamisme créateur intérieur.
Il est en nous,
il n'est pas sans nous, mais il est plus que
nous
Il nous entraîne en
dehors de nous-mêmes, vers les
autres et nous fait nous dépasser nous-mêmes.
Il n'est pas seulement le Dieu des
hommes ; les hommes, avec leurs péchés et
leur bonnes actions, avec leurs défauts et leurs
qualités ne sont pas sa seule préoccupation,
loin de là. Il est le Dieu de la Création tout
entière, avec les hommes, bien sûr, mais aussi
les animaux, si nombreux et si divers, si beaux
et si étonnants, des plantes, si magnifiques
elles aussi et naturellement aussi des minéraux,
des montagnes et des plaines, des planètes, des
étoiles et des soleils. Dieu de l'infiniment
petit et des immenses et lointaines galaxies
avec peut-être tous les êtres pensants qui y
vivent, y ont vécu, y vivront dans les millions
de siècles du cosmos.
Notre prière nous fait participer au dynamisme
créateur de Dieu ; elle nous enracine dans son
éternelle activité créatrice.
Notre prière ne veut pas non plus changer le
dessein de Dieu comme si Dieu avait de la
mauvaise volonté, qu'il était distrait et qu'il
fallait attirer son attention.
Il ne faut pas s'imaginer non plus que nous
aimons les hommes plus que ne le fait Dieu et
que sans notre demande il n'aurait pas pris la
peine de s'en occuper !
Il est plus proche de nous que notre veine
jugulaire. Ne demandez pas à quelqu'un d'autre
de prier pour vous, priez vous-même. Ne demandez
même pas à votre pasteur ou votre prêtre, à un
saint, à la Vierge Marie ou à je ne sais
qui : Dieu est plus que nous, il est en
nous, il n'est pas sans nous. Ne vous imaginez
pas qu'il y a d'un côté les hommes, solidaires
entre eux face à Dieu, faisant bloc ensemble
face à lui, se disant qu'à plusieurs on sera
davantage efficace ou en faisant appel à des
privilégiés (« Sainte
Rosalie, libérez-nous de la Mafia » ! peut-on lire
sur les murs de Palerme. Comme si une libération
pouvait venir de manière surnaturelle de
l'extérieur sans qu'on s'y implique avec courage
et dynamisme)
Il est en nous, il est notre vie, il est le
souffle qui monte en nous, il est la Vie qui
fait circuler le sang dans nos veines, qui nous
donne le dynamisme créateur, le courage de
vivre, la paix dans nos cœurs, il est notre élan
vital.
Il n'est pas là-bas au ciel il est ici en nous,
il n'est pas sans nous mais il est plus que
nous.
J'ai toujours pensé que, pour ne pas déraper
dans la superstition et la magie, toute prière
devrait commencer par les mots :
O Père, fais monter en moi
ton saint Esprit, afin que, devenant davantage
semblable à Jésus, je sois capable de...
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