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L'homosexualité dans la Bible


de Sodome et Gomorrhe à David et Jonathan
quelques considérations
sur l'homosexualité dans la Bible hébraïque

 

article publié précédemment dans Évangile et Liberté

 

Thomas Römer

professeur au Collège de France
professeur à l’université de Lausanne

 

Parler de l'homosexualité dans la Bible est souvent une affaire piégée et ceci pour plusieurs raisons. Depuis longtemps, dans des milieux « bien-pensants » ou « intégristes », on a recours aux textes bibliques, notamment aux interdits dans le livre du Lévitique (et dans le Nouveau Testament quelques versets des épîtres pauliniennes) et surtout l'histoire de Sodome et Gomorrhe pour « prouver » que la Bible condamne l'homosexualité, et que celle-ci compte parmi les plus graves péchés, les homosexuels agissant contrairement à « l'ordre naturel » voulu par Dieu ; ces mêmes milieux déclarent bien sûr, sans hésitation aucune, que l'histoire de David et Jonathan sur laquelle nous allons revenir, n'a absolument rien à voir avec l'homosexualité.

De l'autre côté, et surtout ces dernières décennies, des théologiens homosexuels, ou sympathisants de la lutte des personnes homosexuelles, s'efforcent de démontrer qu'aucun des textes utilisés par les fondamentalistes anti-homosexualité n'interdit vraiment les rapports homosexuels. Par exemple, les interdictions dans le livre du Lévitique ne se prononceraient pas contre l'homosexualité, mais contre certaines pratiques de la prostitution sacrée, en vogue dans la culture cananéenne. A mon avis, les deux types de lecture du texte biblique ont le même défaut. Ils procèdent à une lecture apologétique du texte biblique, c'est-à-dire que le texte biblique est utilisé directement, sans médiation aucune, pour justifier des prises de position d'éthique sexuelle. On oublie alors que plus de 2000 ans nous séparent de la rédaction de ces textes que je viens de citer.

Pourquoi les auteurs bibliques, pour qui l'esclavage, par exemple, ne pose aucun problème et qui n'ont jamais entendu parler du droit des femmes, auraient-ils une vision ouverte voire progressiste en ce qui concerne l'homosexualité ?

Il est également impossible, si l'on prend la Bible au sérieux, d'extraire quelques versets dans lesquels des rapports homosexuels sont appelés une « abomination » pour construire ensuite une éthique sexuelle pour notre société à la fin du XXe siècle.

Cette utilisation fondamentaliste me semble être surtout liée à une lecture indifférenciée de la Bible, lecture qui ne tient pas compte des circonstances historiques et culturelles des témoignages vétérotestamentaires.

Pour bien comprendre ce que la Bible sur l'homosexualité, comme ailleurs sur n'importe quel autre sujet, on doit prendre en compte les contextes historiques et culturels dans lesquels les différents énoncés ont vu le jour. Sans la volonté de se replacer dans le contexte conceptuel et idéologique des milieux producteurs de ces témoignages, nous risquons de faire un énorme tort au texte biblique comme d'ailleurs à nous-mêmes.

 

Problème de terminologie et de définition

Il faut rappeler le fait que le Proche Orient ancien ne connaît pas le concept abstrait d'homosexualité comme décrivant une orientation sexuelle (mais aussi sentimentale) opposée à l'hétérosexualité. Le terme d'homosexuel, d'homosexualité est un terme forgé à la fin du XIXe siècle par un médecin autrichien.

Selon plusieurs sociologues, l'idée que les hommes et femmes vivant dans une société peuvent être répartis entre hétérosexuels et homosexuels est donc une invention moderne.

L'idée qu'il s'agit là de deux orientations, identités opposées, incompatibles l'une avec l'autre a été d'ailleurs mise en question par les fameux rapports Kinsey des années 1950 selon lesquels 37 % de la population masculine américaine avait eu au moins une expérience homosexuelle et que 4 % étaient exclusivement homosexuels. Ces rapports mirent en question l'idée de normalité sexuelle et suggèrent l'hypothèse d'une homosexualité ou de bisexualité graduée. L'opposition hétérosexuel - homosexuel est sans doute trop simpliste.

A cela s'ajoute qu'il existe dans différentes civilisations des pratiques sexuelles qui entrent difficilement dans l'opposition moderne entre hétérosexuel et homosexuel. Ainsi O. Halperin pose la question suivante : Est-ce que le « pédéraste », c'est-à-dire l'adulte grec, marié, qui de temps en temps va pénétrer un adolescent a la même sexualité que le mâle indien américain appelé « berdache » qui dès son adolescence a été élevé comme une femme et qui a été marié à un homme dans une cérémonie publique ? (Hundred years of homosexuality, p. 46). Ou encore ce dernier a-t-il la même sexualité qu'un guerrier d'une tribu de la Nouvelle Guinée qui, entre 8 et 15 ans, a quotidiennement des rapports sexuels avec d'autres adolescents avant d'être marié et de devenir « hétérosexuel » ?

Est-ce que ces cas correspondent à la définition moderne d'un homosexuel ? Le contact et l'attirance vers des partenaires du même sexe peut donc se manifester de manière fort différente selon les conventions culturelles et religieuses en vigueur.

Si dans la suite de l'exposé j'utilise néanmoins le terme d'homosexualité, je le fais par commodité et faute d'avoir à disposition une autre terminologie. Mais il ne faut en aucun cas oublier que les hommes et les femmes du Proche Orient ancien concevaient leur identité, et donc leur identité sexuelle, autrement que nous le faisons aujourd'hui [...]

Que se passe-t-il alors au moment où le monothéisme devient définitivement le facteur constitutif de l'identité du judaïsme et aussi, si l'on peut dire, de « l'identité » de Dieu ? L'élaboration d'une théologie basée sur un Dieu transcendant pose bien sûr la question des médiations. Et la place des médiateurs va être occupée par des prêtres et des scribes qui se proposent de définir l'appartenance à ce Dieu par règles de pureté.

Dans ce cadre, les lois touchant à la sexualité définissent clairement l'hétérosexualité comme norme absolue. Cette définition s'accompagne d'une méfiance, voire d'une crainte vis-à-vis de la sexualité (cf. par contre la vision de la sexualité dans le Cantique des Cantiques). La sexualité, en effet, ne devient légitime que dans le cadre de la procréation (Genèse 1) toute autre activité sexuelle devenant alors condamnable. A partir de ce moment on commence également à interdire la fréquentation des prostitués, ce qui était tout à fait une pratique courante (cf. Genèse 39). C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre les lois du Lévitique contre l'homosexualité laquelle, en Lévitique 20, est même menacée de mort (il semble cependant que la peine de mort dans ce contexte n'a jamais été appliquée). Les lois du Lévitique veulent interdire l'homosexualité, comme d'autres lois interdisent des relations sexuelles entre des couples non mariés ; d'autres lois imposent des règles alimentaires très strictes, d'autres encore légitiment l'esclavage.

Ceux qui veulent condamner l'homosexualité à l'aide de Lévitique 18 et 20 devraient alors scrupuleusement respecter toutes les autres lois énoncées dans le même livre.

 

Sodome et Gomorrhe tous des sodomites ?

Mais plus important dans l'histoire de la condamnation de l'homosexualité dans la tradition judéo-chrétienne fut l'histoire de la destruction de Sodome et Gomorrhe, histoire à laquelle nous devons les noms de « sodomie » et « sodomites ». Rappelons brièvement le passage qui nous concerne. A la suite de ce forfait des habitants de Sodome, seul Lot et ses filles seront sauvés et l'histoire se termine d'ailleurs par un récit d'inceste. Les filles de Lot couchent avec leur père pour s'assurer ainsi une descendance (à noter que l'auteur n'apporte aucun jugement par rapport à cet épisode).

Les allusions à la destruction de Sodome et Gomorrhe en dehors du premier livre de l'Ancien Testament font de ce récit l'épisode le plus cité dans la Bible parmi les histoires de la Genèse.

Certains de ces textes font apparaître une expression stéréotypée : comme le « renversement » de Sodome et Gomorrhe par Dieu (toujours Elohim, jamais YHWH).

Il s'agit d'une tradition concernant un jugement divin aux premiers jours, comparable au récit du Déluge (2 Pierre 2.5-6, comme beaucoup de textes juifs de la même époque, met les deux histoires en relation). Genèse 19 est donc une mise en narration de cette tradition d'une (première ?) destruction d'une ville (d'une civilisation) par le feu (Déluge: par l'eau). L'originalité de notre auteur est d'avoir mis cet événement en relation avec le personnage de Lot - ce qui n'est nullement attesté dans les autres références à Sodome et Gomorrhe dans l'Ancien Testament. L'histoire en Genèse 19,1-11, concernant Ia transgression du tabou de l'hospitalité, a un parallèle très étroit dans l'Ancien Testament avec l'histoire du Lévite d'Ephraïm : Juges 19,15-25.

On a la même structure, beaucoup de phrases sont identiques ; dans les deux cas l'hôte est un étranger parmi les habitants de la ville. Il semble y avoir dépendance littéraire mais il est difficile de trancher dans quel sens va la dépendance. On pourrait avancer l'hypothèse que Genèse 19 est la base pour Juges 19 ; l'auteur de Juges 19 aurait intégré ce récit dans un épisode plus long (l'histoire du lévite, ch. 19-20) pour montrer que l'époque des Juges se finissait en décadence totale (« il n'y avait pas de roi... ») et que le crime des habitants de Sodome avait été réitéré par une tribu israélite (Benjamin).

 

Le récit de Genèse 19

Mais revenons aux versets cruciaux de Genèse 19 à cause desquels on a condamné l'homosexualité presque tout au long de l'histoire de l'Eglise et de la synagogue.

Notons au verset 4 :

- l'agression des habitants de Sodome se trouve en contraste total avec le comportement de Lot et justifie dans la suite la destruction de la ville,

- ce verset insiste d'abord sur le fait que tous les habitants de Sodome participent à cette agression : les hommes de la ville, les hommes de Sodome, de l'adolescent au vieillard, toute la population jusqu'au dernier.

Cette insistance doit probablement être interprétée dans le sens que même les futurs gendres de Lot sont parmi les agresseurs.

La demande adressée à Lot : « Fais-les [les invités] sortir pour que nous les connaissions » a fait fantasmer beaucoup les commentateurs chrétiens et juifs qui ont souvent interprété cette histoire sous l'angle du « péché abominable de l'homosexualité » dont tous les Sodomites se seraient rendus coupables.

Mais ce n'est guère, ou pas en premier lieu, la présumée homosexualité des habitants de la ville qui va provoquer le jugement.

Notons d'abord des commentaires qui ont contesté toute connotation sexuelle : on a remarqué que le mot yada (= connaître) peut bien désigner des rapport sexuels, mais hétérosexuels ; pour les rapports homosexuels (Lévitique 18,22 ; 20,13) l'Ancien Testament utilise shakan. Selon Bailey, yada pourrait en 19 5 simplement signifier « faire connaissance avec ». Lot qui est expressément appelé étranger par les habitants aurait outrepassé ses droits en accueillant deux inconnus dont les intentions pouvaient être hostiles et dont les identités n'avaient apparemment pas été contrôlées. Cette explication donnerait une raison suffisante à la demande : « Où sont les hommes qui sont venus chez toi ? Fais-les sortir pour que nous puissions voir qui ils sont ».

Si une telle interprétation pouvait à la limite encore être défendue pour le seul verset 5, elle est exclue pour la suite. La réaction de Lot montre bien que les hommes de Sodome tentent une agression d'ordre sexuel, mais en même temps l'initiative de Lot met quelque peu en question l'homosexualité des Sodomites puisque Lot veut leur offrir ses filles en échange. D'ailleurs il n'est logiquement guère concevable que tous les habitants de Sodome (v. 4) soient des homosexuels. Ce qui est en jeu ici c'est le viol, une sexualité sans relation qui réduit l'autre à l'état d'objet pour satisfaire son propre désir. D'ailleurs tous les autres textes de l'Ancien Testament qui parlent du péché de Sodome ne mentionnent jamais l'homosexualité.

Par exemple Ezéchiel 16,49s : « Voici ce que fut la faute de ta sœur Sodome : orgueilleuse, repue, tranquillement insouciante... »

Dans Jérémie 23, 14, il est question d'adultère, fausseté, encouragement des malfaiteurs. Le Siracide 16,8 parle simplement de l'orgueil.

Cette diversité dans la description du comportement de Sodome montre que la tradition n'était pas fixée sur un péché spécifique mais plutôt sur la destruction effrayante de cette ville. Selon Genèse 19, le péché majeur de Sodome est clairement une atteinte à l'hospitalité et la violation, voire le viol des droits des étrangers - l'hospitalité étant un des piliers de toute société dans le Proche Orient ancien. Cette interprétation du péché majeur de Sodome comme relevant de l'inhospitalité se retrouve dans le Nouveau Testament lorsque Jésus discute le cas où ses disciples seraient reçus avec hostilité :

« Mais dans quelque ville que vous entriez et où l'on ne vous accueille pas, sortez sur les places et dites : même la poussière qui s'est collée à nos pieds nous l'essuyons pour vous la rendre... Je vous déclare : ce jour-là Sodome sera traitée avec moins de rigueur que cette ville-là » (Luc 10,10-12).

Nous n'allons pas traiter maintenant du comportement de Lot qui, pour protéger ses invités, va jusqu'à offrir ses filles ; Lot se trouve dans un conflit de loyauté par rapport à l'hospitalité. Notons juste l'ironie du récit : à la fin ce sont les filles qui vont « abuser » de leur père.

Finalement il y a un « happy end » (au moins de cet épisode). Les invités sauvent Lot qui a si vaillamment défendu l'hospitalité. Donc le problème principal, c'est bien la transgression du devoir d'hospitalité. Cependant cette transgression est décrite en prêtant aux habitants de Sodome des tendances homosexuelles agressives qui les mènent vers le viol. Il est difficile de dire quels étaient les fantasmes de l'auteur qui nous a transmis ce texte. L'idée de présenter toute une ville comme potentiellement homosexuelle présuppose éventuellement la connaissance d'une certaine civilisation grecque contre laquelle l'auteur prendrait position. Mais cela est hautement spéculatif et dépend de la datation très incertaine de Genèse 19.

Même si Genèse 19 ne met pas l'homosexualité au premier plan, et c'est là peut-être l'ironie de l'histoire, il n'est guère un seul traité de droit criminel, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, qui ne rappelle en préambule le récit de Genèse 19 afin de justifier la rigueur inouïe des lois anti-homosexualité. Et il n'est guère (au moins jusqu'à peu) de traité de morale religieuse qui ne fonde sur la fable biblique l'énoncé mille fois répété de l'interdit.

Mais face à Genèse 19, ou plutôt face à une certaine interprétation de Genèse 19, se trouve dans la Bible hébraïque une autre histoire où la relation entre hommes apparaît dans une autre lumière. L'histoire de David, Saül et Jonathan que j'aimerais brièvement présenter en dernier point.

 

Saül, David et Jonathan, une histoire d'amour à trois ?

L'histoire de ces trois hommes se trouve relatée entre 1 Samuel 13 et 2 Samuel 1. L'histoire raconte l'amour entre Jonathan, fils de Saül et dauphin destiné à succéder à la royauté de son père, et David, originaire de la campagne et venu à la cour, consacré par le prophète Samuel pour devenir le prochain roi sur Israël. Jonathan devrait donc voir en David un concurrent mais, malgré cette situation, ils vont vivre une relation qui a passablement troublé les rabbins et les exégètes modernes. David et Jonathan sont en effet le seul couple d'amis (ou d'amants) dont parle la Bible.

La plupart des commentaires « scientifiques » s'efforcent en effet de démontrer que la liaison entre David et Jonathan n'a absolument rien à voir avec une relation homosexuelle. Par exemple, F. Stolz : « Ce texte ne doit pas être mal interprété. Il n'a absolument rien à voir avec l'homosexualité qui était en usage en Grèce, mais détestée et condamnée en Israël. C'est tout simplement une histoire d'amitié très forte entre deux hommes qui a duré toute une vie. »

De même, Mme Sakenfeld : Quand l'histoire parle d'amour (ahab) le terme est utilisé dans le sens de « loyauté ». Lorsque Jonathan « aime » David, il lui signifie sa loyauté et le narrateur veut ainsi démontrer que David est le roi légitime reconnu même par la famille de Saül.

Un autre argument contre la lecture homosexuelle est avancé par Georg Hentschel. Il écrit : « Il est connu que David aimait les femmes jusqu'à son grand âge. A cause de son attirance pour les femmes on ne peut pas interpréter sa relation avec Jonathan comme une relation amoureuse. D'ailleurs l'homosexualité était interdite en Israël. »

Face à cet argument, il faut dire trois choses :

- les textes du Lévitique qui interdisent l'homosexualité viennent d'une époque tardive comme nous l'avons vu plus haut ; les histoires de David ont été rédigées avant cette époque. Et ce qu'on interdit ce sont des choses qui existent !

Le fait qu'un homme se marie n'exclut nullement la possibilité qu'il ait des sentiments ou des relations homosexuels. Dans l'Antiquité encore plus qu'aujourd'hui, il était socialement indispensable qu'un homme soit marié. Il était tout simplement impensable que quelqu'un de la position de Jonathan ou de David reste célibataire.

D'ailleurs les mariages étaient aussi contractés avec des intentions diplomatiques et politiques (ce n'est pas par hasard que David épouse entre autres la fille de Saül et Batshéba issue de la noblesse cananéenne...).

Si on lit cette histoire de près on constate que certaines scènes comportent clairement des allusions d'ordre érotique ou sexuel. Certains exégètes l'ont vu, mais ont essayé de l'expliquer par le fait que seul Jonathan avait des attirances homosexuelles pour David. David aurait profité des sentiments de Jonathan pour s'allier Jonathan contre Saül. Il est apparemment inadmissible que David lui aussi ait pu avoir des sentiments d'amour vis-à-vis de Jonathan.

Notons encore que les écrivains-romanciers qui « réinventent » la biographie de David, contrairement aux exégètes, pensent très souvent que David et Jonathan avaient une liaison érotique (cf. en dernier lieu, Alan Massie, Les mémoires de David).

Parcourons maintenant ce que le texte biblique nous dit: selon 1 Samuel 16, David arrive à la cour de Saül en tant que thérapeute musical pour guérir les dépressions du roi Saül.

1 Samuel 16,21. David arriva auprès de Saül et se mit à son service et Saül l'aima beaucoup et il devient son écuyer (= porteur d'armes). Saül envoya dire à Jessé : « Que David reste donc à mon service, car il a trouvé grâce à mes yeux » (= il me plaît).

La position du porteur d'armes signifie dans le Proche orient ancien une position de confident. La manière dont Saül exprime son attachement à David est ambiguë : « aimer », « trouver grâce aux yeux de... » peut désigner la faveur qu'un supérieur accorde à un inférieur, mais peut également désigner une relation entre un homme et sa femme : Deutéronome 24,1 : divorce si une femme ne trouve plus grâce aux yeux de son mari ; Esther 5, 2 :le roi perse tombe amoureux d'Esther.

Et en 1 Samuel 18,2, on lit : « Saül retint David et ne le laissa pas retourner chez son père ». Cette expression évoque la coutume selon laquelle les femmes, au moment du mariage, quittent la maison de leur père (elles n'y retournent plus, sauf en cas de veuvage ou de divorce : Lévitique 22, 13 ; Juges 19,2).

C'est dans ce même contexte qu'on parle pour la première fois de la relation étroite entre David et Jonathan. Lorsque David eut fini de parler à Saül la nefesh de Jonathan se lia à la nefesh de David et il l'aima comme sa nefesh... Jonathan conclut une alliance avec David, car il l'aimait comme sa propre nefesh.

Se pose d'abord le problème de la traduction de nefesh. Ce mot signifie d'abord la gorge et à partir de cela les différentes pulsions et désirs de l'existence humaine (en Genèse 34,3, par exemple le désir sexuel). Dans le Cantique des Cantiques 1,7, la femme appelle son amant : « Celui que ma nefesh aime » ; de même en 3,1-4. Suite à ces parallèles, on peut reconnaître un aspect érotique dans l'amour de Jonathan pour David.

1 Samuel 18,3 est également ambigu : « Jonathan fit alliance avec David ». Il peut bien sûr s'agir d'un pacte d'amitié (mais nous n'avons de parallèle pour cela), mais berit peut dans certains textes aussi désigner un contrat matrimonial (Proverbes 2,17 ; Malachie 2,11).

Notons qu'au verset 4, Jonathan enlève tous ses vêtements et se met tout nu devant David. On peut y voir un simple geste symbolique de soumission - Jonathan renonce à son statut royal -mais il y a à mon avis ici de claires connotations érotiques.

On peut dès lors se demander si la jalousie de Saül concerne exclusivement les exploits militaires de David, ou si la relation entre David et Jonathan n'y est pas aussi pour quelque chose. Toujours est-il que Saül cherche à tuer David.

1 Samuel 19,1 : Saül parla à son fils Jonathan et à tous ses serviteurs de son projet de mettre à mort David. Or Jonathan, fils de Saül, avait beaucoup d'affection pour David. Le terme « avoir de l'affection » peut, en hébreu, avoir des connotations sexuelles : par exemple en Genèse 34, 19, Sichem et Dinah Deutéronome 21,14 : si un homme n'éprouve plus de désir pour son esclave-femme.

En 1 Samuel 19, c'est Mikal qui sauve David des projets de Saül, mais en 1 Samuel 20, c'est Jonathan qui considère son amour pour David plus important que la loyauté vis-à-vis de son père (d'ailleurs le verset 3 montre clairement que Saül est au courant de leur liaison).

Ensuite, David et Jonathan élaborent un plan grâce auquel Jonathan peut avertir David des intentions de son père.

20,11. Dans ce contexte Jonathan dit à David : « Allons, sortons à la campagne et tous deux sortirent ». Qui va à la campagne ? Ceux qui veulent être seuls, notamment les amoureux (Cf. le Cantique des Cantiques 7,12 : « Viens mon chéri, sortons à la campagne »). Ce sont exactement les mêmes termes qu'en 20, 11. A la campagne, les deux hommes se disent au revoir. Notons encore que David ne sent apparemment pas le besoin de dire au revoir à sa femme. En 20, 41 le texte dit : Il Ils s'embrassèrent l'un et l'autre et ils pleurèrent l'un sur l'autre.(Après, le texte est obscur : jusqu'à ce que David eut rendu grand... ?).

Le même chapitre nous informe également que Saül est au courant de leur relation.

20,30 : alors Saül s'enflamma contre Jonathan et il dit : « Fils d'une dévoyée. Je sais bien que tu as une liaison avec le fils de Jessé à ta honte et à la honte de la nudité (du sexe) de ta mère ». L'accusation de Saül implique apparemment qu'il est au courant d'une relation érotique entre David et Jonathan. Jonathan qui est ici appelé avec l'équivalent de « fils de pute » est censé porter honte à sa mère.

L'amour de Jonathan pour David représente aux yeux de Saül un tel scandale qu'il équivaut à un inceste avec sa mère - la pire des insultes. Saül ne supporte absolument pas cette relation entre David et Jonathan. Les deux doivent maintenant se séparer pour la suite de l'histoire. David ne reverra plus Jonathan vivant et lorsqu'il reçoit le message de la mort de Saül et de Jonathan, David les pleure les appelant « les aimés et les chéris » et plus spécifiquement Jonathan, disant ce célèbre vers : « Que de peine j'ai pour toi, mon frère Jonathan, toi tu étais mon grand désir; ton amour était pour moi plus merveilleux que l'amour des femmes » (2 Samuel 1, 26). Le terme « merveilleux » est utilisé en Proverbes 30, 18-19 pour décrire « le chemin de l'homme vers la femme », c'est-à-dire l'acte sexuel.

La relation entre David et Jonathan se termine de manière tragique, mais la complainte de David fait partie des plus belles poésies de la Bible hébraïque.

 

Pour conclure

Contrairement aux interdits du Lévitique et à l'histoire de Sodome et Gomorrhe, les livres de Samuel nous relatent une histoire d'amour entre deux hommes, sans condamner cette relation. Il se peut même que Saül aussi soit décrit comme amoureux de David, comme l'est dans la tradition grecque l'éraste (l'amant, le vieux) par rapport à l'éromène (l'aimé). Nous ne savons pas si cette histoire est déjà influencée par la culture hellénistique (la Palestine entre en contact avec la culture grecque environ vers le VIlle siècle avant J.C.).

On peut sans doute observer de nombreux parallèles avec l'épopée de Gilgamesh et voir en David et Jonathan la version hébraïque de Gilgamesh et Enkidu (cf. le géant, la lamentation, etc.). Evidemment, le texte ne dit jamais explicitement que David et Jonathan ont couché ensemble. C'est pourquoi certains exégètes laissent ouverte la question de savoir si David et Jonathan étaient des homosexuels. Mais il y a beaucoup de mots à connotation érotique qui parlent en faveur d'une relation homosexuelle entre Jonathan et David.

Si cette interprétation est juste, cela ne signifie pas que la Bible entière est prohomosexualité. Par contre, nous voyons qu'à côté des interdits il y a de nombreux textes bibliques qui mettent au premier plan l'amour: que ce soit l'amour hétérosexuel comme dans le Cantique des Cantiques ou l'amour homosexuel comme dans l'histoire de David et Jonathan.

 


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