Libres opinions
Lettre à
Diognète
Anonyme
Écrite entre 160
et 200 après Jésus-Christ, sans doute à
Alexandrie (Égypte)
Fragment
11 juin 2008
Les chrétiens ne se distinguent
des autres hommes ni par le pays, ni
par le langage, ni par les vêtements. Ils n'habitent pas les
villes qui leur soient propres, ils ne se servent pas de quelques
dialectes extraordinaire, leur genre de vie n'a rien de
singulier.
Ce n'est pas à l'imagination ou aux rêveries d'esprits
agités que leur doctrine doit sa découverte ; ils
ne se font pas, comme tant d'autres, les champions d'une doctrine
humaine.
Ils se répartissent dans les cités grecques et barbares
suivant le lot échu à chacun ; ils se conforment
aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et la
manière de vivre, tout en manifestant les lois extraordinaires
et vraiment paradoxales de leur république spirituelle.
Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des
étrangers domiciliés. Ils s'acquittent de tous leurs
devoirs de citoyens et supportent toutes les charges comme des
étrangers.
Toute terre étrangère leur est une patrie et toute
patrie une terre étrangère.
Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils
n'abandonnent pas leurs nouveaux-nés. Ils partagent tous la
même table, mais non la même couche. Ils sont dans la
chair, mais ne vivent pas selon la chair.
Ils passent leur vie sur la terre, mais sont citoyens du ciel.
Ils obéissent aux lois établies et leur manière
de vivre l'emporte en perfection sur les lois.
Ils aiment tous les hommes et tous les
persécutent. On les
méconnait, on les condamne, on les tue et par là ils
gagnent la vie. Ils sont pauvres et enrichissent un grand nombre. Ils
manquent de tout et ils surabondent en toutes choses. On les
méprise et dans ce mépris ils trouvent leur gloire. On
les calomnie et ils sont justifiés. On les insulte et ils
bénissent. On les outrage et ils honorent. Ne faisant que le
bien, ils sont châtiés comme des
scélérats. Chatiés, ils sont dans la joie comme
s'ils naissaient à la vie. Les Juifs leur font la guerre comme
des étrangers; ils sont persécutés par les Grecs
et ceux qui les détestent ne sauraient dire la cause de leur
haine.
En un mot, ce que l'âme est dans le
corps, les Chrétiens le sont dans le monde. L'âme est répandue dans tous les
membres du corps comme les chrétiens dans les cités du
monde. L'âme habite dans le corps et pourtant elle n'est pas du
corps, comme les chrétiens habitent dans le monde mais ne sont
pas du monde.
Invisible, l'âme est retenue
prisonnière dans un corps visible : ainsi les chrétiens, on voit qu'ils
sont dans le monde, mais le culte qu'ils rendent à Dieu
demeure invisible. La chair déteste l'âme et lui fait la
guerre, sans en avoir reçu de tort, parcequ'elle
l'empêche de jouir des plaisirs: de même le monde
déteste les chrétiens qui ne lui font aucun tort,
parcequ'ils s'opposent à ses plaisirs. L'âme aime cette
chair qui la déteste, et ses membres, comme les
chrétiens aiment ceux qui les détestent.
L'âme est enfermée dans le corps: c'est elle pourtant
qui maintient le corps; les chrétiens sont comme
détenus dans la prison du monde : ce sont eux pourtant
qui maintiennent le monde.
Immortelle, l'âme habite une tente mortelle: ainsi les
chrétiens campent dans le corruptible, en attendant
l'incorruptibilité céleste. L'âme devient
meilleure en se mortifiant par la faim et la soif:
persécutés, les chrétiens de jour en jour se
multiplient toujours plus. Si noble est le poste que Dieu leur a
assigné, qu'il ne leur est pas permis de
déserter.
Comme je l'ai dit plus
haut, leur tradition n'a pas une
origine terrestre, ce qu'ils professent conserver avec tant de soin
n'est pas l'invention d'un mortel, ni ce qui est confié
à leur foi une dispensation de mystères humains. Mais
c'est en vérité le Tout-Puissant lui même, le
Créateur de toutes choses, l'Invisible, Dieu lui-même,
qui l'envoyant du haut des cieux, a établi chez les hommes la
Vérité, le Verbe saint et incompréhensible et
l'a affermi dans leurs coeurs.
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